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LE NUMÉRO FICTION 2011

Numbers, extrait

Il y a un tel foisonnement de branches d'arbre tombantes que le soleil n'apparaît qu'à travers une constellation de minuscules points fluctuants et de béances anarchiques.

DE JOHN RECHY

TRADUCTION : NORBERT NAIGEON, PUBLIÉ AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DES ÉDITIONS LAURENCE VIALLET

l y a un tel foisonnement de branches d’arbre tombantes que le soleil n’apparaît qu’à travers une constellation de minuscules points fluctuants et de béances anarchiques.

L’atmosphère d’un crépuscule éternel, triste…

Johnny a l’impression d’être « venu » ici il y a peu de temps – non : plutôt l’impression d’avoir connu le même sentiment. La nuit dernière dans le parc ? Oui – et sur le balcon, au cinéma. Mais différent de celui-ci.

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C’est alors qu’il se souvient : l’aube mauve à la sortie de Phoenix.

Le large chemin se scinde en petits sentiers, qui rétrécissent à leur tour plus encore, deviennent tortueux, décrivent des cercles autour des arbres, traversent des buissons touffus, débouchent sur une légère montée ici, une faible pente là. Et des arbres, des arbres. Toujours personne.

C’est comme déambuler dans un monde vert et gris, gelé.

Sur la lisière d’une bande de terre ensoleillée, Johnny aperçoit un bout de serviette multicolore ; et puis : allongé dessus, un jeunhomme blond qui prend le soleil avec ostentation : « avec ostentation », car la parcelle de lumière, qui déjà se dissipe, est un peu plus petite que la longueur de son corps au carré.

Johnny tombe si soudainement sur lui qu’il est estomaqué de le voir allongé dans ce qui semble être une nudité complète – estomaqué au premier abord mais seulement parce qu’il n’y était pas préparé. Avant de détourner soudain les yeux (hors de question que le jeunhomme, ni quiconque d’ailleurs, puisse penser qu’il éprouve de l’intérêt – c’est lui que l’on doit remarquer), Johnny se rend compte qu’en fait le jeunhomme porte un maillot de bain, avec des boutons-pression sur le côté.

Il paraît nu car il a défait l’une des deux boucles en métal afin que le pan du devant ne cache presque plus rien de son entrejambe. Bien qu’il soit censé être ici pour s’adonner au bronzage, il a déjà repéré Johnny, et, appuyé sur un coude, il le regarde avec concupiscence, tandis que son maillot de bain manque de glisser. Quelques mètres plus loin, un autre homme, tout habillé, est adossé à un arbre.

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Le jeunhomme blond s’aperçoit que Johnny s’en va et l’interpelle, plein d’espoir :

– Tu as dit quelque chose ?

Johnny Rio le regarde à peine, refroidi par les tentatives du jeunhomme pour attirer l’attention par sa quasi-nudité. (En tout cas, moi, il ne m’attire pas ! pense Johnny, bravache).

– Nan, s’est-il contenté de répondre en s’éloignant.

– Dommage, a lâché le jeunhomme dans un soupir triste, d’un ton semblant indiquer qu’il aurait cédé à Johnny aux conditions de ce dernier.

Néanmoins, Johnny poursuit sa route parce qu’il y a cet autre homme près de l’arbre. Si, ayant également aperçu Johnny, il préfère le jeunhomme blond, Johnny en sera extrêmement déprimé. Plutôt que de le vérifier, il progresse rapidement sur un autre sentier encerclant le large tronc circulaire d’un arbre qui pourrait facilement cacher une personne adossée, une autre agenouillée.

La verdure grise est comme un voile.

Une autre poche de soleil. Le brusque accès de chaleur est un ­soulagement sur la peau de Johnny.

Un autre homme, jeune, brun, et vêtu d’un maillot de bain marron, fait également mine de prendre le soleil. Johnny remarque tout de suite – il jauge toujours la concurrence éventuelle – que le jeunhomme brun est très beau. Johnny le soupçonne de rechercher un partenaire pour un plan avec réciproque. Aussi Johnny ne lance-t-il pas d’invite : il ne le fait que lorsque l’autre personne exprime un désir clair, inéquivoque, qui correspond à ses conditions unilatérales.

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Comme Johnny déambule dans la pénombre verte sur un chemin en pente douce qui mène à une sorte de grotte formée par des branches ­pendantes, le jeunhomme au maillot de bain marron se lève. Plus haut sur le chemin, Johnny remarque un homme plus âgé en train de les observer. Johnny a vu quatre personnes jusqu’ici, il y avait six voitures garées. Les autres sont encore dans les parages, invisibles.

D’ailleurs, il y en a peut-être beaucoup d’autres mais cela ne signifie pas qu’on les croise tous, car cette zone longe la route sur une distance à peu près égale à une courte rue – puis dévale la colline. Les sentiers, formés par les pieds qui les ont foulés encore et encore – la terre, une poudre granuleuse – sinuent de manière irrégulière et doivent, mis bout à bout, couvrir plusieurs longueurs de rue, bien que la zone en elle-même soit loin d’être aussi vaste.

Johnny a l’impression de marcher – éveillé – dans un rêve.

Le chemin qui serpente et sur lequel il se trouve conduit à la « grotte » créée sur le flanc d’une pente par les rameaux, les lianes et branches des arbres entremêlés, asséchés et blanchis en dessous par le manque d’exposition au soleil. Il y a des « entrées » des deux côtés – sorte de tunnels formés par un enchevêtrement de branches.

Johnny remarque la tête sombre du jeunhomme qui progresse sur le même chemin. Johnny part dans la direction opposée, qui mène plus haut, et aperçoit le jeunhomme blond en maillot de bain (à présent reboutonné) qui prend appui d’une main contre un arbre, les yeux baissés vers lui. Le jeunhomme brun, comme s’il était conscient que le blond se prépare peut-être à s’approcher de Johnny, accélère l’allure en ­direction de la zone close, à l’intérieur de laquelle Johnny a légèrement reculé pour se placer dans la cavité. À l’affût.

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Devant le creux de cette sorte de grotte, une brèche au milieu des branches révèle l’incroyable spectacle qu’offre le reste du parc comme il s’ouvre sur des kilomètres d’étendues ensoleillées et indolentes.

Deux autres hommes parcourent les chemins plus en hauteur. À nouveau les lents mouvements silencieux d’un rêve ; à nouveau le ­sentiment pénétrant d’une transe silencieuse où les chasseurs de sexe se réunissent dans un but précis. Peut-être cette humeur sombre est-elle le revers de celle des bars homo, où les rires enflent jusqu’à l’euphorie ; ou peut-être est-ce une manifestation supplémentaire de celle-ci, juste à un degré supérieur : des rires à l’euphorie, jusqu’à une hébétude hallucinée.

Johnny se demande, des deux jeunhommes, lequel ferait le plus beau trophée. Ils sont également beaux – le blond est très mince, fluet comme un adolescent ; le brun plus masculin, au corps athlétique. Mais une pensée l’accable soudain :

et s’ils étaient en train de se ­draguer – que je n’étais pas concerné

! Mais non : jusqu’à preuve du contraire, les signes ont été suffisamment explicites.

Celui qui viendra à moi en premier, décide Johnny.

Mais il se produit ceci – ce qui amène Johnny Rio à opter presque désespérément pour le brun :

Le blond, qui avance sur le chemin, a calé sa bite afin que le gland dépasse du maillot de bain, et il le caresse. Johnny se détourne avec fureur, extrêmement contrarié – il le hait d’avoir manifestement pensé qu’un tel geste l’attirerait. Il se tourne fiévreusement vers le brun, qui, enfin encouragé, pénètre aussitôt dans la grotte, touche Johnny entre les jambes – sans prêter attention au jeunhomme blond qui s’approche. Johnny s’adosse à l’armature formée par un entrelacement de branches et de lianes.

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Le jeunhomme blond s’avance avec vivacité vers l’entrée de l’enceinte pour mieux profiter du spectacle. Cela aurait excité Johnny s’il n’y avait pas eu le geste précédent. Au lieu de quoi, il en éprouve du malaise ; mais il reste car il brûle encore d’obtenir les faveurs que le jeunhomme s’apprête à lui accorder. Ce dernier défait la braguette du pantalon de Johnny, lequel, ample, tombe. Comme il ne portait déjà pas de chemise, Johnny Rio est presque entièrement nu.

Penché en avant, mais de biais, le jeunhomme brun suce Johnny – avec maladresse, dans cette position, ses dents frottent la queue de Johnny. Celui-ci pose sa main sur la tête de l’autre pour la positionner devant lui. Agenouillé, agrippé aux cuisses de Johnny, le jeunhomme brun le suce désormais avec facilité.

Le premier de la journée ! pense Johnny.

Je suis vivant

!