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Aux bains turcs avec le consultant français du premier parti d’extrême droite hongrois

Je me suis mis en maillot de bain avec le type chargé de tisser des liens avec les nationalistes français pour le compte du Jobbik.

Toutes les photos sont de l'auteur.

Fondé il y a seulement dix ans, le parti d'extrême droite Jobbik est un météore dans le champ politique hongrois. Propulsé par un programme fustigeant entre autres la corruption, la finance mondiale, le sionisme, l'homosexualité, l'Union européenne et les Tsiganes, ce parti ultra-nationaliste se prépare malheureusement à atteindre de nouveaux records lors des élections municipales d'octobre. Aux législatives d'avril 2014, il a obtenu 20,5 % des voix. Et comme tout parti de premier plan, le Jobbik cherche aujourd'hui à tisser ses réseaux dans la galaxie nationaliste européenne.

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Ferenc Almassy - son nom a été changé - est installé en Hongrie depuis quatre ans. Âgé de 26 ans, ce franco-hongrois est depuis un an le « monsieur France » du Jobbik, s'employant à créer des liens dans le milieu nationaliste français pour le compte du parti hongrois. Je l'ai rencontré aux bains Lukacs à Budapest, capitale du pays et ville thermale comptant plus d'une centaine d'établissements de ce genre, afin d'essayer de comprendre comment il en était venu à défendre les intérêts d'un parti dont les positions « feraient pousser des cris d'orfraie à Marine Le Pen ».

VICE : Pourquoi êtes-vous parti vivre en Hongrie ?
Ferenc Almassy :Je devenais fou à Paris. Ici j'ai trouvé un cadre de vie plus sain, plus agréable, et surtout un pays qui me donne une chance sans me demander mes diplômes. Avant de venir m'installer en Hongrie, je venais un mois chaque année depuis ma naissance. À 22 ans je suis tombé amoureux d'une fille d'ici, et ça m'a convaincu de venir vivre en Hongrie.

Quel est votre parcours politique ?
Je n'ai jamais été affilié à un mouvement en France. Comme chaque ado en colère, j'ai été un moment anarchiste. En travaillant sur des chantiers j'ai pu observer la corruption, à une ampleur dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Ça a nourri mon dégoût du capitalisme mondialisé. Je passais beaucoup de temps sur Internet et j'ai eu mes périodes islamophobe, identitaire, et raciste. Finalement je me suis passionné pour le racialisme, l'étude scientifique des races humaines. Je pense que c'est ce qui m'a sorti de mon racisme.

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Pourquoi avez-vous choisi de vous affilier au Jobbik ?
C'est un mouvement unique en Europe. Il s'oppose au monde libéral, tant du point de vue économique que politique et moral. Ça n'existe pas en France. De ce que je connais en France, aucun parti n'a une position aussi intelligente, idéologiquement solide et surtout réaliste. En France, ce genre de mouvement ne réunirait qu'une vingtaine de gogos, alors qu'ici le Jobbik est le 2e parti du pays, tout en tenant des positions qui feraient pousser des cris d'orfraie à Marine Le Pen.

Je n'ai pas de carte là-bas ; ils n'ont jamais insisté pour que je la prenne. Je préfère ça, j'ai toujours été un électron libre, et mon rôle n'est pas celui d'un ambassadeur du Jobbik. Je suis plus un consultant. Le fait de ne pas prendre ma carte me permet d'avoir une souplesse très pratique pour remplir ma mission auprès du Jobbik.

Une manifestation du Jobbik à Budapest, en octobre 2012. Photo via

Vous pouvez me décrire votre rôle de consultant pour le Jobbik ?
J'ai commencé l'an dernier comme interprète, lorsqu'un Français est venu rendre visite à Marton Gyöngyösi, le n°2 du Jobbik, en charge des affaires internationales. J'ai gagné la confiance de Gyöngyösi, et il m'a fait savoir que ça serait intéressant qu'un franco-hongrois « garde un oeil » sur ce qui se passe en France. Je fais des revues de presse francophone quand il y a des articles sur le Jobbik, et je leurs explique certains phénomènes sociaux français difficile à comprendre pour des Hongrois. L'affaire Dieudonné leur paraissait complètement surréaliste par exemple. Je leur ai expliqué dans les grandes lignes, et le bonhomme leur plaît. On a même évoqué l'idée de l'inviter à Budapest, histoire de faire une petite quenelle !

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D'accord. Et vous cherchez aussi des nationalistes francophones à rallier à votre cause.
C'est le cœur de mon action. Je me sers beaucoup des réseaux sociaux, et je rencontre des gens à chaque fois que je suis en France. Sans chercher nécessairement à nouer des liens officiels, je suis de près le milieu nationaliste français, et je repère les talents. C'est un petit milieu, tout le monde se connaît. Par ailleurs, si un mec vient passer quelques jours à Budapest, je l'héberge, je lui fais visiter la ville, je le présente aux personnes qu'il faut au sein du Jobbik. Je ne peux pas te donner de noms, mais au total j'ai bien hébergé une cinquantaine de personnes. J'ai logé des gens de toute la grande famille nationaliste française.

Avec quels mouvements français le Jobbik voudrait-il s'associer ?
Le problème avec la France, c'est que les partis qui nous intéressent ne veulent pas s'associer à nous. À l'inverse, ceux qui veulent s'associer à nous ne sont pas des partenaires suffisamment sérieux. Le FN ne veut plus entendre parler de nous plus depuis l'arrivée de Marine Le Pen. Et vu les récentes évolutions du FN, on a fait savoir qu'on ne voulait plus d'eux non plus. Il y a d'autres groupes, comme le Bloc Identitaire, mais on ne veut pas s'associer à eux.

Pour quelle raison ?
Ils sont sérieux, mais nous n'avons pas la même ligne politique. Ces mecs là ne veulent pas changer le système, et n'ont pas produit depuis une décennie une définition de fond de l'identité. Ils sont une réaction épidermique à l'immigration. Leur psychose de l'Islam me semble ridicule. Ils disent défendre la civilisation française, et ils se mobilisent contre les Quick halal… La civilisation française c'est le Quick ? C'est ça qui me désespère avec les identitaires.

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Quelles sont les raisons de la rupture Jobbik-FN ?
En Hongrie, on peut dire des choses qu'on ne peut pas dire en France. Ici on peut se dire ouvertement antisioniste, contre l'immigration, dire que la démocratie c'est de la merde, ou encore que la Hongrie est un pays chrétien. Le FN est un parti laïc, il ne peut pas se dire antisioniste, et il propose une régulation de l'immigration. Le Jobbik, lui, défend l'idée de re-migration, le retour des immigrés et de leurs descendants dans leurs pays d'origine. Avant l'arrivée de Marine le Pen à la tête du parti, le Jobbik était un mouvement jeune, mais apprécié par les anciens du FN. Aujourd'hui, le FN mène une politique de dédiabolisation : il doit donner des gages, et donc se distancier du trop sulfureux Jobbik. C'est compréhensible, mais c'est dommage.

Comment voyez-vous l'évolution du milieu nationaliste en France ?
Depuis l'affaire Dieudonné et la mort de Clément Méric, il n'y a pas un seul nationaliste en France qui ne se dise pas « ça pue la merde pour nous ici ». Une étape a été passée avec l'emballement médiatique qui a conduit à la dissolution de 3e Voie. Pour beaucoup, ça a été un choc. La mise à mort sociale est de plus en plus difficile à supporter et pousse à une radicalisation. Mais beaucoup veulent arrêter le combat. Certains m'ont même contacté pour quitter la France et venir s'installer en Hongrie !

Vous pouvez nous en dire plus ?
Depuis quatre ans j'ai l'idée un peu folle de créer en Hongrie une communauté de Français nationalistes. Il y a encore quatre ans, on me disait que ça ne marcherait jamais, mais aujourd'hui des personnes s'y intéressent - des personnes qui ont fait le deuil de la France et n'y voient pas d'avenir pour eux et leurs enfants. Le but de cette organisation serait d'aider des nationalistes français à venir s'installer ici. La Hongrie a par ailleurs une politique très souple envers ses communautés. À partir de 1000 membres, cette communauté pourra être reconnue officiellement comme minorité française de Hongrie. Pour l'heure je suis en train de définir le cadre légal de cette association.

Comment imaginez-vous cette minorité française de Hongrie ?
J'imagine des villages axés sur l'artisanat, l'agriculture coopérative et l'autonomie énergétique. La démographie hongroise est en berne, nombre de villages se dépeuplent dans l'est de la Hongrie, ça serait fantastique que des patriotes Français viennent s'y installer. Bien sûr, la Hongrie n'est évidemment ni un paradis ni un Eldorado, mais pour ces personnes, ça sera toujours mieux que la France. Huit personnes dont une jeune famille sont en train de s'installer en Hongrie dans ce cadre. Certains ont déjà vendu leur maison en France.

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