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Quelques leçons que j’ai apprises en devenant chef scout

On voit souvent les scouts de France comme des cul-bénits tout bons à construire des cabanes – ce qui est à peu près vrai.

L'auteur à 12 ans, en compagnie de ses frères et sœurs en chemise scoute : vert pour Compagnon, rouge pour Pionnier, bleu pour Scout et jaune pour Louveteau

Alors que certains ont passé l'été à se demander quel filtre Instagram choisir pour accentuer sournoisement leur teint hâlé, je cultivais malgré moi – et sans tricher – le bronzage communément surnommé « de camionneur », sous le soleil de Strasbourg exactement. Je suis chef scout. Et comme chaque année, mes retours de camp d'été s'accompagnent d'une nostalgie comparable à celle d'un lendemain de fête. La différence tenant au fait que l'ivresse scoute est plus salutaire et que les choix musicaux – je dois l'avouer – sont assez discutables.

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Les scouts d'aujourd'hui se sont éloignés de l'image de cul-bénit que leur avait collé Robert Baden-Powell, militaire britannique et initiateur du scoutisme. En 1920, il les décrivait comme des « garçons arborant un chapeau à large bord et un large sourire, avec la chemise, la culotte courte, le foulard et le bâton. » La majorité des scouts (moi inclus) s'évertuent à expliquer que ce n'est pas parce qu'ils se rassemblent pour chanter des chansons autour d'un feu de bois qu'ils sont illuminés pour autant. Le mouvement a d'ailleurs été reconnu d'utilité publique dès 1927 pour sa dimension pédagogique et spirituelle – et même s'il côtoie des questions religieuses ou nationales, c'est surtout pour des raisons historiques.

Si un jour je venais à sonner à votre porte, ce ne serait donc pas pour quelque démarchage sectaire, mais plutôt pour vendre le calendrier annuel. Mon seul tort serait peut-être de faire de la concurrence aux pompiers du coin : on ne se prend ni pour des bienfaiteurs de l'humanité, ni pour des Témoins de Jéhovah venus prêcher la bonne parole. Les gens tiennent souvent des propos réducteurs sur le scoutisme : on nous voit comme ceux qui font des cabanes et chient dans les bois. D'ailleurs, c'est vrai – mais peu comprennent la dimension pédagogique de notre activité, qui est pourtant la plus importante.

L'auteur en train de faire le signe scout. Photo : Maxence Strasser

Pour être honnête, à 7 ans, je ne m'étais pas vraiment posé de question. Sans trop savoir dans quoi je m'embarquais, j'ai commencé à être scout parce que mes frères et sœurs l'étaient avant moi. J'ai par la suite décidé de continuer parce que j'aimais ça, on ne m'a jamais forcé à y rester – même si dans quelques familles, certains y sont contraints.

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Je suis maintenant scout depuis 12 ans. Petit, j'ai d'abord appris le B.A.-BA du scoutisme : faire des nœuds, construire des cabanes, allumer un feu. Ça a vite pris une dimension sociale : je crois que c'est ce qui m'a permis d'acquérir une certaine maturité. Je suis parti en Bolivie dans un orphelinat, j'ai rencontré des gens très différents, appris à être autonome, plus ouvert et à avoir confiance en moi. Tout ça, jamais je n'aurai pu le faire si je n'avais pas été scout. C'est aussi en apprenant à devenir scout que j'ai fumé mes premières clopes, fabriqué des lance-flammes artisanaux à partir de déodorants, mis des pétards dans des bouses de vache, ou encore piqué une chèvre pour la ramener dans le camp. À mon tour aujourd'hui de laisser le champ libre à l'imagination des plus jeunes, tout en veillant à respecter un certain cadre. Être chef était une suite logique. J'ai pensé qu'il en était de mon devoir de rendre la pareille, et de faire aimer à mon tour cette expérience qui m'a énormément apporté.

Photo : Maxence Strasser

Pour devenir chef, j'ai dû valider la première étape du BAFA. C'est un stage technique d'une semaine, où on apprend aussi bien à organiser des jeux comme la thèque, la sioule – qui sont typiquement scouts – qu'à gérer les situations délicates. Par exemple, lorsqu'il s'agit de pionniers, dont l'âge est compris entre 14 et 17 ans, on doit absolument savoir comment réagir face à deux jeunes en pleine poussée d'hormones qui décideraient d'aller baiser dans un champ. On doit savoir gérer leur soif de nouvelles expériences, comme boire de l'alcool ou fumer un joint. S'il existe une loi scoute, elle n'informe pas sur ce genre de sujets – on s'en tient donc à la loi française. Si un jeune a moins de 18 ans, on ne peut pas cautionner qu'il se mette une taule ou se défonce. En théorie, fumer une clope est interdit par la loi pour les mineurs, mais si leurs parents les y autorisent, on est un peu moins regardants, on n'est pas là pour les fliquer. En ce qui concerne le sexe, c'est une autre histoire : baiser n'a jamais été interdit par la loi. Dans ce cas là, il faut réussir à concilier esprit scout, morale et légalité. Évidemment, si un jour j'ai le malheur de voir deux scouts de 12 ans en train de forniquer, j'interviendrai. Et même s'il arrive souvent que les plus jeunes se mettent tous à courir en criant « gang bang », je n'ai heureusement jamais surpris d'orgie de jeunes louveteaux – ils emploient plutôt ça comme un cri de guerre pour se taper dessus.

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La veillée d'ouverture du Jamborée ayant eu lieu à Strasbourg cette année. Photo : Maxence Strasser

Tout au long de l'année, on prépare le camp d'été – souvent financé avec des rouleaux de pièces de 10 centimes gagnés au supermarché du coin, en emballant les cadeaux de Noël des retardataires. Tous les quatre ans, notre engouement est à son zénith lorsqu'il est ponctué – comme ce fut le cas cette année – d'un « Jamboree », rassemblant 15 000 scouts venus de tous pays. Pour l'anecdote, c'est surtout au Zénith de Strasbourg qu'on s'est réfugié alors qu'une tempête foutait en l'air tout le campement. L'incident aura fait notre minute de gloire au Journal de 13h par Jean-Pierre Pernaut – entre deux sujets sur les auberges villageoises et la canicule.

Un chef scout apprend à plus ou moins à assurer trois fonctions. D'abord, l'autorité, puisqu'avant tout « un chef, c'est fait pour cheffer » comme disait Jacques Chirac. L'idée est de maintenir un lien hiérarchique pour se faire obéir, même si parfois on a presque le même âge. Vient ensuite le rôle de « grand frère », dans le sens où on peut être proches, mais pas potes. Un scout peut venir se confier, on peut rigoler mais sans dépasser les limites. Je ne défierai jamais un de mes scouts pour qu'il aille chier dans une boite aux lettres, par exemple. Ça, je l'ai déjà fait quand j'étais scout, mais les chefs de l'époque ne sont pas au courant. Enfin, il y a le rôle de « modèle ». Ça ne signifie pas devenir leur idole, mais simplement essayer de renvoyer une image positive, être motivé et donc motivant – pour qu'ils se disent « tiens, j'aime bien ce mec » et être écouté.

Encadrer des louveteaux et des pionniers n'est pas la même chose. Les louveteaux ont entre 7 et 11 ans. Pour être franc, je trouve ça moins intéressant parce qu'il est difficile d'avoir de vraies discussions avec eux, et ils ne pensent souvent qu'à se taper dessus. J'ai une préférence pour les pionniers. Je leur apprends des choses autant qu'ils m'en apprennent. Il y a de vrais échanges et ils sont plus débrouillards – quoi qu'ils aient récemment fait la vaisselle avec de l'huile d'olive.

Photo : Maxence Strasser

Les chefs peuvent avoir un dernier rôle, qui consiste à aborder certains sujets que des parents auraient du mal à aborder. Assez récemment, les parents d'un scout sont venus me demander comment réagir après avoir appris qu'il fumait des joints de temps à autre. Je ne pense pas qu'avoir été « médiateur » soit le terme approprié – mais disons que j'ai profité de ma position pour d'une part temporiser auprès d'eux, et d'autre part aborder ce sujet avec le scout en question, qui s'est confié à moi plus facilement. Finalement, ça a permis de désamorcer la bombe.

Je crois que tout mouvement touchant de près ou de loin à une religion aura son lot de préjugés : cathos, fachos, tradis et j'en passe. Les clichés ne sont pas là par hasard, et les parents qui inscrivent leurs enfants aux scouts le savent. Si mon expérience dans le scoutisme m'a fait connaître des jeunes aux personnalités très différentes – il est vrai que leur cadre familial a souvent trahi un milieu social sinon aisé, au moins du style « bien sous tous rapports ». En revanche, les gens qui portent un jugement négatif sur le scoutisme en général sont ceux qui en ignorent toutes les nuances. Je suis scout de France, c'est une association apolitique et catholique. Ça ne veut pas dire qu'on passe notre temps à prier. Il existe les scouts d'Europe – de qui on préfère se différencier –, bien plus conservateurs. Il y a aussi des scouts juifs, musulmans, protestants et carrément laïcs. Mettre tout le monde dans le même sac, c'est prendre un trop gros raccourci. De nombreuses activités sont similaires, mais les valeurs transmises ne sont pas les mêmes puisque les religions ou leurs degrés sont différents. Je ne m'en suis jamais caché, et pour être honnête, je suis fier d'être scout. À la fac où j'étudie, ça n'est pas inscrit sur mon front – et ma copine et mes potes ne sont heureusement pas tous scouts.