Novembre 1849. Le bateau au bord duquel voyagent Gustave Flaubert et Maxime Du Camp accoste à Alexandrie, après une traversée houleuse. Les deux hommes de lettres français entament un long voyage au Proche-Orient, qui commence par une minutieuse exploration des vestiges archéologiques de l’Égypte. Les compères se sont débrouillés pour se faire soutenir respectivement par le ministère de l’Agriculture et du Commerce et le ministère de l’Instruction publique et consignent leurs découvertes et leurs impressions par écrit et en photos — on retiendra un carnet de voyage posthume de Flaubert et un recueil de photographies de Du Camp.
Un peu plus d’un siècle plus tard, Fouad Elkoury revient sur les traces de cette expédition orientaliste. Le photographe libanais se lance à son tour, en compagnie de sa femme de l’époque, dans une chronique picturale et sensible de l’Égypte. S’étalant entre 1985 et 1998, ses pérégrinations s’éloignent indubitablement du simple mimétisme pour s’orienter vers l’élaboration d’un récit personnel. Au-delà des ruines, Elkoury montre aussi, avec Suite égyptienne, une Égypte mouvante, urbaine et fantasmagorique.
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« C’était inévitable, un jour, le fil s’est emmêlé et m’a lâché. Il fallait le reprendre à zéro. Qui suivais-je réellement, Nada, Flaubert ou Du Camp, à ce jour je n’ai pas de réponse, sauf à évoquer mon instinct », écrit ainsi Elkoury en préface de son ouvrage publié en 1997 aux éditions Actes Sud. Nada, c’est sa femme, qui l’accompagne tout au long de cette épopée et apparaît, fugace silhouette, tantôt amante et caméo, tantôt muse et incarnation d’une rencontre flaubérienne. Elle se manifeste en majesté dans le cliché Kuchuk Hanem, pris en 1990 au Caire — du nom de la danseuse égyptienne qui fit tourner la tête de l’écrivain en son temps.
80 images de cette série hallucinée en noir et blanc sont exposées à la galerie The Third Line, à Dubaï. Le lieu a décidé de jouer sur la dimension temporelle du travail d’Elkoury. Les paysages ont été collés en grand format à même les murs, les vouant à la destruction une fois arrivée l’échéance de l’exposition. Faisant référence aux gardiens des temples égyptiens que le photographe imagine « surveiller des tombes silencieuses dans un état de suspension, à mi-chemin entre l’éphémère et l’éternel », les clichés sont à leur tour soumis à une irrémédiable disparition — induite par la temporalité de l’exposition, comme le souligne l’historienne de l’art Kathryn Brown dans un essai sur Suite égyptienne. Un juste retour à la poussière, en somme.
« Suite égyptienne » est à voir à la galerie The Third Line, à Dubaï, jusqu’au 16 mai 2017. Toutes les infos ici, et pour voir le travail de Fouad Elkoury, c’est par là.