Avec la Marocaine qui s’attaque à la misogynie dans le monde arabe

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Après le lycée, Fatima Zohra Serri voulait étudier la photographie, ce qui impliquait de quitter sa ville natale de Nador, dans le nord du Maroc. Pour son père conservateur, il en était hors de question – selon lui, les filles ne doivent pas vivre loin de chez elles. La jeune femme de 23 ans s’est donc résolue à étudier à l’Institut de technologie appliquée de Nador et est finalement devenue comptable dans sa ville natale.

Mais Fatima n’a jamais perdu sa passion pour la photographie. Parallèlement à son travail alimentaire, elle s’est fait connaître sur les réseaux sociaux grâce à son travail sur la discrimination à laquelle de nombreuses femmes de sa communauté sont confrontées. Elle a accepté de nous présenter certaines de ses œuvres les plus populaires et les plus controversées.

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Fatima Zohra Serri

VICE : Bonjour, Fatima. En tant que photographe, pourquoi avez-vous décidé de vous concentrer sur les problèmes des femmes ?
Fatima Zohra Serri : Ces problèmes me tiennent à cœur car je vis dans une société très conservatrice. Mon objectif est de renverser la perception des femmes et de corriger la manière dont les gens nous traitent. Par exemple, mon père est très autoritaire et m’empêche de faire énormément de choses pour la simple raison que je suis une femme. J’ai pleuré quand il m’a forcée à porter un hijab, mais je ne pouvais rien y faire. À travers mes photographies, j’essaie de faire prendre conscience de ces détails de nos vies. Et comme je n’ai pas le droit de sortir, j’ai créé mon propre studio à la maison.

Le port du hijab est-il toujours un défi pour vous ?
Je me suis habituée à le porter, même s’il y a des moments où j’aimerais l’enlever. Cependant, cela ne m’empêche pas de pratiquer mon art et de m’exprimer. Au contraire, je le vois parfois comme une force – je suis une femme, je porte le hijab et, en même temps, je traite de sujets controversés.

Que pense votre famille de votre travail ?
Tous les membres de ma famille me suivent sur les réseaux sociaux et semblent apprécier mon travail – même mon père. Ma mère est particulièrement fan ; nous sommes très proches. La plupart des critiques que je reçois ne viennent pas de mes proches, même si certaines photos les ont dérangés, comme celle où j’ai utilisé une serviette hygiénique pour mettre en lumière la violence à l’égard des femmes.

Que représente la serviette hygiénique ?
J’aurais pu photographier une femme avec du sang et des ecchymoses sur le visage, mais je voulais utiliser une serviette pour montrer que la douleur pouvait venir de n’importe où. Je voulais aussi parler ouvertement des règles – un sujet qui est encore tabou dans notre société.

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Pouvez-vous nous expliquer certaines de vos autres photos ? Par exemple, l’image d’une fille tenant un jus de fruit « 100 % halal ».
C’est une version sarcastique du mantra souvent entendu dans notre société qui exige que les femmes couvrent toujours leurs « parties sexy ». L’idée est de démontrer les défis qui pourraient se présenter. Dans le cas présent, la femme ne peut pas boire quelque chose d’aussi inoffensif que du jus parce que sa bouche est couverte. J’ai dessiné une bouche sur les lunettes pour qu’elle n’ait pas à montrer sa peau et j’ai fabriqué du jus « 100 % halal » pour qu’il ne reste plus rien à reprocher à personne.

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Qu’en est-il de la photo avec la mention « J’en ai marre d’être traitée de Awrah » ?
J’ai été inspiré par un projet américain intitulé « I’m tired of… », dans lequel les contributeurs évoquaient les plus gros problèmes personnels qu’ils rencontraient. J’ai tellement aimé l’idée que je voulais l’adapter en disant « J’en ai marre d’être traitée de Awrah » [un terme souvent utilisé dans les pays arabes pour inciter les femmes à s’habiller et à se comporter de manière plus conservatrice].

Par exemple, mes collègues masculins me demandent très vite de baisser la voix lorsque je prends la parole ; ou lorsque mes cheveux glissent hors de mon écharpe, tout le monde me demande immédiatement de les remettre. Même mes collègues féminines disent qu’il faut éviter de porter du parfum au travail car cela stimule les hommes. Et puis il y a ceux qui me disent de ne pas porter certains vêtements qui montrent mes courbes. Tous ces commentaires me placent dans la catégorie « Awrah ». Les fleurs dans l’image signifient que la beauté n’est pas quelque chose que les femmes devraient cacher.

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Et enfin, la photo de l’homme tenant un journal ?
Ici, beaucoup de parents retirent leurs filles de l’école primaire pour les marier, alors qu’ils envoient leurs fils à l’étranger pour étudier. Quand j’étais plus jeune, beaucoup de mes amies ont arrêté l’école pour apprendre à faire le ménage et se préparer au mariage.

J’ai essayé d’exprimer cette réalité en une seule image. Premièrement, les hommes de ma communauté sont toujours considérés comme plus importants que les femmes, c’est pour ça que la femme est assise par terre et l’homme au-dessus d’elle, sur une chaise. Ensuite, l’homme lit le journal et, une fois terminé, il jette les bouts de papier à sa femme, qui les utilise ensuite pour allumer le feu et faire bouillir de l’eau chaude pour le thé. Par là, j’ai essayé de montrer que l’acquisition de connaissances est réservée aux hommes.

Merci, Fatima.

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