Pour une nation qui se targue d’être indépendante – et qui l’ouvre encore plus depuis le référendum sur le maintien dans l’UE – c’est assez chelou de constater que la Grande Bretagne n’utilise pas plus ses propres ressources. Par exemple, il y a un truc qu’elle a en abondance, c’est l’eau de mer.
Les Britanniques disposent d’environ 18 000 kilomètres de côtes sur lesquelles vagues et marées se brisent. Mais à part y tremper un orteil deux fois par an pour frimer sur Instagram, ils se contrefichent bien de l’eau de mer. Franchement, pourquoi l’utiliser à des fins pratiques comme la plupart des Européens le font depuis des siècles ?
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Né en Italie, Mauro Palomba aimerait bien changer les mœurs des Rosbifs. Dans son restau, O Ver, situé près du London Bridge, il intègre l’eau de mer à sa cuisine. C’est le premier chef à le faire en Angleterre. Et probablement le seul aussi.
Un rapide coup d’œil au menu montre que Palomba n’en est pas à son galop d’essai en matière de « bouillon marin ». Toutes les pâtes qu’il sert sont cuites avec de l’eau de mer. Les légumes ? Marinés dans de l’eau de mer. Même la pizza, le plat signature de O Ver, est faite avec de l’eau de mer.
, explique Palomba. « Ils étaient longtemps sur leur bateau et devaient se faire à manger pendant la pêche. Ils récupéraient donc un peu d’eau de mer et l’utilisaient à la place de l’eau normale. Quand vous y réfléchissez, c’est quelque chose de simple et de naturel. »
Les Italiens ne sont pas les seuls à profiter de cet ingénieux modus operandi. En Espagne, la cuisine à l’eau de mer existe depuis des centaines d’années, des habitants des petits villages côtiers aux chefs étoilés du Michelin Ferran Adrià (elBulli) ou Quiqe Dacosta qui la déploient de manière étrange et magnifique. L’eau de mer est tellement présente dans les cuisines espagnoles qu’il est super fastoche de trouver de grosses bouteilles en supermarché. Le pack familial est même vendu sous le nom de sal perfecta ou « sel parfait ».
Quand Palomba a lancé O Ver, il s’est tourné vers le mets qui a rendu célèbre sa ville d’origine : la pizza napolitaine.
, raconte-t-il. « Je l’ai rencontré quelques mois après et on a réfléchi aux capacités uniques de cet ingrédient. »
Vuolo fait partie de l’Associazione Verace Pizza Napoletana. L’organisation, qui est une sorte d’Olympe réunissant les dieux des pizzas en Italie, a notamment le pouvoir de définir l’authenticité d’une pizza napolitaine. Et pour ce faire, ils ont des critères assez drastiques. En juin dernier, Vuolo a joué les filles de l’air et préparé une pâte à pizza avec de l’eau de mer. L’Associazione n’a pas voulu lui donner de certificat, quand bien même ils auraient trouvé la pizza délicieuse – ce qui était le cas.
« Si vous voulez être validé par l’Associazione, il faut respecter les règles. À 100 % », explique Palomba. « Ils sont vachement stricts. Il faut utiliser un four à bois spécifique, des ingrédients comme les tomates de San Marzano et une mozzarelle particulière. Tout est question de tradition et c’est impossible de les faire changer d’avis. Ils ont aimé la pizza au sel de mer et Guglielmo fait partie de l’organisation mais à la fin, ils ont tout simplement dit que c’était deux choses différentes. La pizza est dingue, mais vous ne pouvez pas l’appeler pizza napolitaine. »
La pizza rebelle a pris aujourd’hui ses quartiers à Londres. Qu’est-ce qu’elle de plus qu’une pizz’ normale ?
, décrit Palomba. « Elle est même moins salée que d’ordinaire parce que dans un litre d’eau de mer, il y a seulement 40 grammes de sodium alors que pour la pâte à pizza napolitaine, c’est généralement 50 grammes de sel dans la même quantité d’eau. La réaction chimique des minéraux, de la farine et de la levure donne un ensemble plus léger et plus facile à digérer. »
Si O Ver est assez unique dans le sens où c’est la première pizza avec de l’eau de mer qui voit le jour en Angleterre, elle a un autre atout : un chef qui a étudié à l’Associazione. Un peu comme Jiro Ono qui apprend son art de maître-sushi pendant des années, Marino Bove a passé une décennie entière à apprendre à faire des pizzas parfaites. Il bosse avec eux depuis 25 ans maintenant et c’est probablement le chef le plus qualifié pour faire des pizz’ en Grande Bretagne.
Pour faire une simple margherita, Bove commence par sortir une des bouteilles de 20 litres d’eau de mer des stocks du restau qui en reçoit 150 litres par semaine. Elle vient d’une société italienne qui la tire d’un joli endroit dans la Méditerranée et la purifie mécaniquement sans utiliser de produits chimiques.
Palomba file un coup de main pour traduire ce que dit Bove qui mélange l’eau de mer, la farine et la levure.
« Le chef sait exactement quand est-ce qu’est il punto di pasta. Quand la pâte est à point. C’est son métier », explique-t-il. La pâte est ensuite étalée sur le comptoir en marbre et fortement malaxée. Elle repose ensuite pendant 12 heures avant d’être à nouveau étirée et d’accueillir les ingrédients..
Pour tenter de faire la meilleure pizza possible, O Ver cherche la garniture la plus fraîche et la plus savoureuse. Des tomates de San Marzano réduites en purée à la main pour la base à la mozzarella di buffala certifiée en provenance d’Italie – livrée 3 jours par semaine – en passant par l’huile de l’olive ou les citrons de Sorrento. Pour faire une pizz’ capable de rivaliser avec celles qui sortent des fours des maîtres de l’Associazione, il n’y a pas de raccourcis.
La pizza se dandine sur la spatule avant d’atterrir dans le four à bois qui brûle à une température de 400° Celsius. Alors que je m’attends à patienter une dizaine de minutes avant de pouvoir me faire les dents dessus, Bove la tourne d’une main experte à plusieurs reprises dans le four avant de la sortir au bout de 60 secondes. Prends ça Usain Bolt.
« Sur la croûte, on commence à voire des petites taches brunes. C’est pour ça qu’on l’appelle tigrata. Comme un tigre », montre Palomba.
Découpée en parts, la pizza dégouline de fromage et d’huile d’olive. On me dit de la manger « à la napolitaine », en repliant ses bords comme un chausson. La pâte est délicieuse – ni trop craquante, ni trop lourde – elle renferme toutes les saveurs les plus fraîches. C’est vraiment une des meilleures pizzas que j’ai jamais mangées. Mais difficile de déceler un goût de mer et j’en parle aux chefs.
« Il ne fallait pas s’attendre à voir un poisson ou un coquillage pointer le bout de son nez », rigole Palomba. « C’est un truc très délicat – même si vous êtes un expert, la différence de goût est très subtile. »
Comme quoi, la Grande Bretagne peut encore recevoir des leçons de l’Europe.