Gaming

Avec les e-girls qui sont payées pour jouer aux jeux vidéo

E-girls

Fiverr est un site pratique si vous cherchez un graphiste, un monteur vidéo ou un ghostwriter en freelance. Désormais, vous pouvez aussi payer des jeunes femmes pour qu’elles vous tiennent compagnie lorsque vous jouez à des jeux vidéo en ligne. On trouve des centaines de comptes dans la section « gaming ». Certains (généralement des hommes) proposent une formation pour maîtriser une compétence, d’autres (généralement des femmes) proposent de jouer au jeu de votre choix ou de regarder un anime avec vous pour seulement 1 euro par session.

Ce type de listing existe depuis un certain temps sur Fiverr, mais en mars 2020, une nouvelle plateforme entièrement dédiée a été lancée. EPal.gg, anciennement connu sous le nom de Egirl.gg, héberge des centaines de profils de femmes. Beaucoup d’entre elles adoptent l’esthétique e-girl avec des clins d’œil aux anime et aux emojis kawaii. Selon le site, E-Pal met en relation des personnes partageant un intérêt commun pour les jeux vidéo, en privilégiant la convivialité à l’entraînement. Et vous pouvez être sélectif : le site vous permet de filtrer les joueuses en fonction de leur aspect physique et du ton de leur voix pour trouver la meilleure adéquation.

Videos by VICE

Le créateur du site, Brian Xiong, 25 ans, étudiant à l’université de Californie à Berkley, explique que la plateforme passe au peigne fin tous les profils soumis pour s’assurer que rien n’est explicitement sexuel. Mais selon les filles travaillant sur E-Pal, cela n’empêche pas les mauvaises expériences. Quelques-unes d’entre elles nous ont parlé de leur boulot, de leur salaire et des mecs creepy qu’elles rencontrent au quotidien.

Aurora, 20 ans

1593515537329-aurora_videogiochi
Aurora

Salut, Aurora. Quand as-tu commencé à jouer aux jeux vidéo ?
Quand j’étais petite, je regardais mon père jouer – principalement à World of Warcraft – alors je m’y suis mise aussi. Grâce à ce job, j’ai découvert pas mal d’autres jeux. Aujourd’hui, je joue surtout à League of Legends, World of Warcraft, Hearthstone et Grand Theft Auto 5.

Parles-tu aux gens de ton boulot chez E-Pal ?
Ma famille et mes amis sont au courant, je ne le cache pas. Je ne donne jamais de détails personnels aux clients. Je ne partage que mon nom, mon âge et ma nationalité. Parfois, je leur raconte ma journée, mais j’ai créé un compte privé Instagram pour ce travail et je ne partage jamais mes données sociales personnelles.

Les prix sont assez bas sur E-Pal. Combien gagnes-tu ?
Pas grand-chose. Ça commence à 1 euro par jeu, mais les filles les plus populaires peuvent demander 20-25 euros. J’étudie l’informatique à l’université, donc mettre un peu d’argent de côté est une bonne chose, mais je le fais aussi pour rencontrer de nouvelles personnes, m’amuser et jouer avec quelqu’un.

Qui sont tes clients ?
Jusqu’à présent, tous mes clients ont été des hommes, je n’ai jamais eu de fille. Ils ont moins de 30 ans et sont tous employés. Il y a quelques Italiens, mais la plupart sont originaires des États-Unis ou des Émirats, ainsi que des Asiatiques, principalement des Japonais.

Pourquoi te payent-ils pour jouer avec eux, selon toi ?
D’après ce qu’ils m’ont dit, ils préfèrent jouer avec des filles parce que celles-ci les encouragent au lieu de leur faire remarquer leurs erreurs. Ils aiment bien les étrangères parce qu’elles veulent apprendre une autre langue ou faire connaissance avec quelqu’un qui vient de l’autre bout du monde.

E-Pal ressemble un peu à un site de rencontres, il s’appelait même egirl.gg jusqu’à récemment. Que penses-tu de cela ?
Epal.gg a tendance à mettre les filles en première page, mais les mecs font aussi ce travail. Ça me semble sexiste. Cela donne l’impression que les gens cherchent des joueuses juste parce qu’elles sont des filles, et non parce que nous sommes douées pour jouer ou nous divertir. Je pense que nous devons ouvrir ce travail à plus de mecs.

Sara*, 21 ans

Comment as-tu commencé à jouer ?
Mon père m’a acheté une Nintendo DS quand j’avais 6 ou 7 ans, mais j’y jouais toujours seule à la maison. La première fois que j’ai eu une connexion Internet, j’avais 13 ans, mais à l’époque, je jouais assez peu. J’ai commencé à jouer en compétition à 15 ans.

Pourquoi le fais-tu pour de l’argent ?
Parce que ça rapporte plus que vendeuse à temps partiel dans un magasin ; 30 à 40 euros par jour. Je fais ça depuis quelques mois maintenant. J’ai aussi d’autres projets : j’étudie à l’université et j’aimerais avoir une carrière.

Qui est ton client moyen ?
Ce sont tous des hommes, qu’ils soient jeunes ou âgés de plus de 50 ans. Au début, ils veulent juste jouer, mais ensuite ils vous demandent d’autres choses comme des nudes. Un mec vient de m’offrir 50 euros pour une photo les seins nus. Beaucoup de filles font ça et gagnent beaucoup d’argent. J’ai joué avec des mecs qui voulaient juste jouer, mais le sujet est inévitablement abordé. C’est un environnement très sexualisé.

Comment se déroule une session de jeu ?
Une fois la commande acceptée, nous commençons à jouer et le client décide s’il veut me voir ou non. Je ne refuse jamais d’allumer ma webcam, même si souvent les clients ne se montrent pas. On me demande des choses bizarres lors de la plupart des sessions, même si mon profil indique clairement que je ne fais que jouer.

Quelle est ton opinion sur cette industrie ?
On nous appelle les nouvelles icônes du porno. J’ai vu beaucoup de joueuses qui sont devenues célèbres sur des sites de streaming et qui sont passées à autre chose, comme modèle nu sur Patreon. Mais contrairement au porno, nous sommes en contact avec les clients immédiatement, nous leur permettons de nous voir et de créer une relation. Cela justifie automatiquement l’envoi de nudes à leurs yeux, ce que je n’ai jamais fait.

1593508198751-chat-epalgg
Capture d’écran d’une discussion avec un client.

Alice, 18 ans

Salut, Alice. Comment t’es-tu lancée dans le gaming ?
Je suis autrichienne et ma mère est italienne. Je suis en dernière année de lycée. Mon frère et mon cousin jouaient à League of Legends et j’ai voulu essayer aussi.

Comment as-tu découvert E-Pal ?
Une collègue m’a montré epal.gg pour rire. Au début, j’ai trouvé ça stupide, puis je me suis dit qu’il n’y avait rien de mal à créer un profil.

Tu l’as dit à quelqu’un ?
Juste à une amie. J’ai peur que les gens me trouvent bizarre s’ils le découvrent.

Comment sont tes clients ?
J’aime discuter avec eux avant d’échanger des contacts. Beaucoup recherchent des choses que je n’ai pas envie de faire, comme des nudes. Je préfère jouer avec des clients que j’apprécie personnellement. Certains recherchent une joueuse pour remplir un rôle spécifique dans le match, d’autres veulent juste de la compagnie. Un type m’a proposé un rendez-vous virtuel, nous avons regardé un film et discuté. J’ai joué avec des Allemands, des Autrichiens et des Italiens, en général des Européens d’environ 25 ans.

As-tu des clients réguliers ? Ou s’agit-il toujours de personnes différentes ?
Il y a des gens à qui je parle pendant la journée et avec qui je joue le soir, ou des clients qui veulent jouer deux ou trois matchs par nuit presque tous les jours.

Pourquoi cherchent-ils quelqu’un avec qui jouer ?
Jouer avec des gens au hasard peut être une expérience négative. Il y a beaucoup de toxicité en ligne. Peut-être cherchent-ils à jouer avec quelqu’un qui n’a pas ce comportement toxique. Il est dommage que tant de gens ressentent le besoin de payer quelqu’un pour avoir une expérience de jeu positive.

As-tu des conseils à donner aux personnes intéressées par ce travail ?
Je dirais qu’il faut fixer des limites car de nombreux clients demanderont des choses inappropriées. N’oubliez pas que vous pouvez toujours dire non.

Chiara (Cocobun), 22 ans

1593509807415-Chiara-1
Chiara

Pourquoi as-tu commencé à travailler pour E-Pal ?
Je suis graphiste dans un hôtel 5 étoiles, donc l’argent n’est pas un problème. Je me suis inscrite par curiosité parce que j’aime jouer et que je m’ennuyais pendant la quarantaine. La plateforme est en place depuis fin février et je pense qu’elle a eu beaucoup de succès parce que les gens étaient chez eux.

Qui te contacte habituellement ?
C’est la question qui m’est le plus souvent posée. Ce sont généralement des hommes entre 19 et 40 ans, ils ont souvent du mal avec les femmes ou ils se plaignent d’anxiété ou de problèmes d’image corporelle. Un type m’a dit qu’il m’avait écrit parce qu’il n’aime pas le sexe, qu’il n’est satisfait que par les relations en ligne et que c’est en quelque sorte un fétichisme d’engager des filles en ligne. Je précise que je ne fais pas de porno, je n’offre que ma compagnie et ma voix.

Qu’entends-tu par « voix » ?
Eh bien, il n’est pas vraiment nécessaire de bien jouer, mais il faut savoir comment discuter et divertir quelqu’un, peut-être le faire rire ou le détendre pendant une demi-heure. Les gens me contactent parce qu’ils sont attirés par ma voix et certains m’ont dit qu’ils se sentaient mieux après m’avoir parlé. La voix est importante, tout comme l’apparence.

Certains te contactent juste pour discuter ?
Oui, il y a une section spéciale sur le site. En général, ils me contactent en fonction de mon apparence. Ensuite, on parle d’un peu de tout – du confinement, du boulot, de nos lieux de vie, car souvent les clients viennent de l’étranger, principalement du Canada ou des États-Unis. Un type m’a dit qu’il paie des filles en ligne pour avoir quelqu’un qui partage ses intérêts avec lui pendant une demi-heure. Puis il m’a demandé quelle était ma taille, mon poids et si j’avais un petit ami.

As-tu des habitués ?
Il y a un type de Milan, j’accepte toujours sa commande parce que je l’aime bien depuis le début. Il y a un Allemand qui m’engage trois ou quatre fois par semaine et qui m’envoie quelques recettes, un type très normal. Il s’est pris d’affection pour moi et il me fait souvent des cadeaux – par exemple sur League of Legends – ou il envoie de l’argent sur mon compte PayPal, jusqu’à 80 euros parfois.

*Les prénoms ont été modifiés.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.