Cela fait déjà une bonne heure que l’on roule sur les petites routes sinueuses varoises, à 45 kilomètres de Marseille. Olivier, pins, chênes, cyprès et garrigue nous encerclent jusqu’à m’hypnotiser. Mais cette quiétude provençale se stoppe brusquement lorsque les barrages policiers se succèdent, essayant tant bien que mal de gérer les milliers de voitures cul-à-cul immatriculées de toute la France et de toute l’Europe. Niché dans le Parc naturel régional de la Sainte-Baume, le mythique circuit Paul Ricard – ou du Castellet, comme sa commune – finit par pointer le bout de son nez derrière une flotte de jets privés installés sur le tarmac de l’aéroport qui longe l’ensemble.
Il n’est que onze heures du matin mais on note déjà 33 degrés à l’ombre, 62 degrés sur la piste. Des corps étendus jonchent le sol sous les arbres encore présents dans l’enceinte du circuit pour éviter un soleil pesant. La course ne débute que dans plusieurs heures mais les tribunes sont déjà pleines de drapeaux tricolores. Plus de 200 000 fans ont fait le chemin pour (peut-être) dire au revoir à ce tracé qui accueille la Formule 1 depuis 1971. Les raisons ? Un contrat qui arrive à terme, de nouveaux circuits plus “glamour” qui veulent se faire une place mais surtout une question d’argent. Comme le disait si bien le quadruple champion du monde Sebastian Vettel, « Money is king ». Pas assez sexy et pas assez bling-bling paraît-il. De son côté, le pilote français Esteban Ocon me rassurait tant bien que mal la veille : « Grand Prix est un mot français non ? ».
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En faisant mes premiers pas au milieu des fans, l’accréditation que je porte autour du cou semble prêter à confusion et plusieurs d’entre eux me demandent où sont les toilettes. Je bégaye que je ne travaille pas ici et certains me commandent de, « Vous êtes journaliste ! Il faut parler du GP de France hein, c’est le plus beau ! ». Je continue vers le paddock, sorte d’épicentre d’un Grand Prix. Ici se trouvent tous les QG des écuries. On y croise des pilotes, des ingénieurs, des journalistes et beaucoup de stars. Enfin, je présume que ce sont des stars car une horde de personnes s’agglutine autour et ils sont habillés comme des DJ brésiliens. Je croise le pilote Valtteri Bottas et son bob Ricard, passant inaperçu au milieu de la foule. Je demande à un ingénieur de l’écurie italienne Alpha Tauri qui termine de ranger des pneus s’il veut rester ici : « Avec plaisir. Il fait beau et on y mange presque aussi bien qu’en Italie », dit-il.
M’étant fait ensuite refoulé du Paddock Club (le paddock, mais pour les VIP), je me dirige vers « La plage », à dix minutes de marche entre les friteries et les stands de merchandising. Sorte de butte de terre brûlée trop proche du soleil et située au bout du virage 14, dit du lac, où les spectateurs les plus aguerris se retrouvent. Ils sont plusieurs milliers à être venus aux aurores pour poser leur chaise de camping et leur parasol afin d’être certain d’avoir la meilleure vue possible. Jean, 48 ans, présent depuis la réouverture du circuit en 2008, est autant heureux qu’amer. « Quand je vois tous ces jeunes qui s’intéressent à la Formule 1, c’est magnifique. C’est autre chose que le foot quand même. » Pas faux. « Il ne faut pas retirer ça à la France sérieux », ajoute un trentenaire, torse nu assis à côté de lui.
Si plusieurs années en arrière tout le monde (ou presque) se serait bien foutu d’une vague histoire de circuit de F1 en perdition au profit d’un autre, Netflix (et Canal+) ont entre-temps fait passer ce sport que vos oncles regardaient en roupillant le dimanche à l’un des événements sportifs les plus suivis du monde. Cette exposition a provoqué deux choses. La première est qu’aujourd’hui, plus personne ne veut voir la France et son circuit quitter la Formule 1. Les politiques et pilotes en parlent, les fans grondent face à ce business sans pitié. La seconde est que même vos potes qui n’y connaissent rien vous expliquent après trois épisodes de Drive to Survive que « Franchement, Hamilton est surcoté ».
L’ambiance monte alors que les pilotes opèrent leur parade d’avant course. Au passage des deux français, Pierre Gasly et Esteban Ocon, les tribunes grondent et encouragent les deux hommes. Eux semblent galvanisés comme rarement. Sans doute qu’Ocon repense à sa victoire en Formule Renault de 2013, sur ce même circuit, et rêverait d’y goûter de nouveau en F1.
Je m’arrête un instant à la piscine, ou plutôt le grand bac avec de l’eau dedans qui dispose d’une belle vue sur l’épingle. Certains, déjà bleu métal et bière à la main, sont dedans depuis des heures. Si bien que leur âme semble s’évaporer sous la chaleur. « On veut garder notre Grand Prix ! », crie Thierry depuis la piscine, casquette Ferrari sur le crâne. Le message est clair : tout le monde est là pour le spectacle que seule la F1 peut offrir, mais aussi pour faire passer un message. La chaleur sur cette butte est intense et tout le monde cherche de l’ombre comme il peut – jusqu’à utiliser une chaise comme parasol. Mais la passion semble prendre le dessus sur l’insolation.
En repassant dans le paddock pour une pause boisson, je croise Christian Estrosi venu au micro de Canal+ pour ne rien dire d’intéressant, si ce n’est quelques plateries telles que « avoir un Grand Prix de Formule 1 ici est génial », et rappeler que « Le Grand Prix de France est le premier GP à avoir 0 plastique ». Chouette. Du diffuseur officiel aux organisateurs locaux, tout le monde s’est mis en quatre pour faire rayonner notre beau pays et notre circuit. Comme pour l’écologie ou le capitalisme, il n’y a pas de petits efforts. La Gendarmerie Nationale est bien présente devant cette fausse « Gendarmerie nationale » en carton pâte, servant de décor pour leurs nouvelles voitures Alpine. Fiers comme des coqs.
Juste avant le départ, je retourne vers l’immense tribune principale et discute avec quelques spectateurs. Pour certains commentateurs (et mêmes pilotes), le tracé du circuit Paul Ricard serait l’un des plus chiant du calendrier car peu propice aux risques et aux dépassements. Niché en bas de la tribune, déjà bien rouge mais heureux, Alex* réfute : « Si quelqu’un trouve que Le Castellet est plus ennuyeux que ce qu’on va se manger à Las Vegas, c’est que je ne comprends plus rien. Il est beau, il y a des dépassements. » Un son de cloche confirmé par le pilote Esteban Ocon, qui la veille me confirmait, « Je pense que c’est un super circuit. Il y a eu 40 dépassements l’année dernière, ça le place dans le haut du panier. » Alors qu’est-ce qui ne va pas avec ce circuit ?
La piste se vide de ses ingénieurs et de Matthew McConaughey, présent pour l’évènement en amoureux de la F1 et de la France. La chaleur est insoutenable. Les moteurs s’allument dans un bordel monstre et indescriptible. Les yeux des gamins sont grands ouverts et les gens s’accrochent aux barrières alors que les feux s’éteignent. Hamilton dépasse Perez, Leclerc résiste à Verstappen et Ocon se mange 5 secondes de pénalité pour avoir détruit Tsunoda après quelques virages. Un départ plutôt classique sous les acclamations du public majoritairement français, en admiration devant des pilotes lancés à 330 km/h sur la ligne droite. Et comment ne pas l’être ? En fait, le problème n’a jamais été vraiment le circuit, mais combien ils sont prêts à payer pour figurer dans le calendrier.
Le circuit, telle une franchise NBA, doit payer un ticket d’entrée pour espérer figurer dans le calendrier de la F1. Jusqu’à présent, le circuit Paul Ricard et tous ses soutiens financiers payaient 24 millions d’euros. Mais l’organisation Formula One en demande au moins 50 – ce que payent les circuits les plus récents, comme Jeddah ou Abu Dhabi. Alors comment lutter dans une surenchère pareille ? Pour Jeanne, étudiante de 21 ans venue pour la première fois admirer de la F1, « c’est dommage qu’au final ce ne soit qu’une question d’argent. Si ça continue, il n’y aura plus de Grand Prix en Europe ». Il est vrai que le magnifique circuit belge de Spa serait lui aussi menacé.
Soudain, la foule réagit. Charles Leclerc vient de rater son virage au tour 18 et termine dans le mur. Il va bien, physiquement du moins. Il hurle de rage comme jamais à la radio. Il était premier et doit maintenant abandonner, laissant Max Verstappen prendre le large au championnat. Certains manifestent leur tristesse, d’autres leur joie. S’en suivra une bataille entre Carlos Sainz et Sergio Perez, puis entre Perez et Russell. Une course magnifique avec une ambiance rarement atteinte ici. Mais peut-être était-ce trop tard ? Au moins, tout aura été tenté. Et forcément, les pilotes français sont aux premières lignes pour tenter d’infléchir les idées de la direction de la Formule 1. « Il y a toujours des possibilités, on se parle avec les pilotes. Des suggestions ont été proposées, notamment de faire une année sur deux », dit Ocon.
Un léger passage au Beach Club, sorte de fausse plage où l’on peut regarder la course depuis une télé en buvant du champagne. Yeddah, un dubaïote présent avec sa femme et leur fille, ne cache pas sa tristesse de peut-être ne jamais revenir ici. « Je fais plusieurs GP dans l’année, et venir en France a toujours été un plaisir. Maintenant c’est la F1, et c’est bien aussi de voir de nouveaux circuits comme l’Afrique du Sud ».
La course se termine et tous les ingénieurs qui ont l’air de sortir d’un film de Guy Ritchie commencent à ranger les montagnes de matériel qu’il faut transporter pour chaque course. Côté fans, les visages sont marqués. Que ce soit des vrais fans de longue date ou de nouveaux arrivants grâce à Netflix, tout le monde en a pris plein le visage et va repartir avec de beaux souvenirs d’un sport incroyable. Une forme de torpeur s’installe à mesure que chacun réalise que c’était peut-être la dernière fois. « Il n’est pas encore parti, termine Esteban Ocon. Il y a toujours une solution à trouver. » On lui fait confiance.
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