Toute la culture et l’art de vivre de la scène locale du skate est à découvrir dans notre série VICE « LE SKATE EN BELGIQUE ».
La ville de Gand a récemment investi 1,8 million d’euros pour la construction d’un nouveau skatepark qui verra le jour en 2019. À Bruxelles, il n’est malheureusement pas question d’un tel projet. C’est pourquoi Youssef Abaoud a décidé de fabriquer un skatepark de A à Z. Après plusieurs tentatives, il a enfin réussi. L’année dernière, il a mis sur pied à Anderlecht le seul skatepark indoor de Bruxelles et le week-end dernier, il a ouvert les portes du parc extérieur qui lui est adjacent.
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Le nouveau skatepark s’appelle Byrrrh et tire son nom du célèbre apéritif français, le Byrrh, qui est en gros un mélange aigre-doux de vin rouge et de tonic. L’origine du nom vient de l’inscription qui prenait place sur les murs du bâtiment où Youssef a tenté pour la première fois de monter un skatepark à Bruxelles. Il espère cette fois-ci que le nouveau parc d’Anderlecht sera là pour rester, car ils ne savent pas vraiment quand ils devront quitter le bâtiment attenant. Tant que la fête est permise, tout le monde peut venir skater ici pour cinq balles.
Je suis allé à la soirée d’ouverture du skatepark afin de rencontrer Youssef et lui demander comment il avait pu réaliser son rêve et quels étaient ses projets pour l’avenir.
VICE : Salut Youssef, pourquoi tenais-tu tant à ouvrir un skatepark à Bruxelles ?
Youssef : La réponse est simple : parce qu’il n’y en avait pas. Depuis 2005, il n’existe plus de skatepark couvert à Bruxelles. Depuis longtemps, on essaye d’en obtenir un de la ville, mais cela s’est avéré être impossible. Puis j’ai réalisé qu’en fait, nous n’avions pas besoin de la ville. Ce dont nous avions besoin, ce sont des personnes, des connaissances techniques et un peu d’argent. C’est comme ça que j’ai commencé à mettre sur pied le premier parc.
« J’ai réalisé qu’en fait, nous n’avions pas besoin de la ville. Ce dont nous avions besoin, ce sont des personnes, des connaissances techniques et un peu d’argent. »
C’était un rêve de gosse ?
Je suis originaire de Dour, et là où j’ai grandi il n’y avait pas de skatepark. Pour pouvoir skater, j’ai dû fabriquer des trucs à base de palettes dès mon plus jeune âge. Bon, je n’avais jamais pensé que j’allais construire un vrai skatepark, mais l’occasion s’est présentée. Je connaissais quelqu’un qui m’avait dit que je pouvais utiliser un entrepôt pour skater. Quand nous avons dû quitter les lieux, nous avons reçu l’aide de Citydev, une organisation bruxelloise qui achète de vieux bâtiments pour en reconstruire de nouveaux. La destruction d’un bâtiment aussi ancien, ça prend énormément de temps et en attendant que ça se fasse, ils nous ont donné la possibilité de le louer à un bon prix. C’est également le cas pour l’endroit que nous occupons maintenant. Il semblerait qu’on puisse l’occuper pendant encore trois ans, mais avec ce système, on ne peut jamais être sûrs de la durée.
C’est maintenant le troisième endroit où tu tentes le coup. Pourquoi avez-vous dû fermer les deux premiers sites à Laeken et à Evere ?
Ouais, on a dû fermer ces deux parcs dans le courant de l’année. Les propriétaires des lieux organisaient souvent eux-mêmes de nombreuses fêtes, et ça a donc entraîné pas mal de visites de la police. Après un moment, la municipalité est venue nous dire que nous devions fermer. Surtout à cause de ces fêtes, pas à cause de notre skatepark.
Actuellement, on entretient de bonnes relations avec Citydev. Ils sont contents de nous et de ce que nous construisons, aussi parce qu’on organise des stages de skate pour les gosses. Tous les mercredis après-midi, on apprend à skater aux élèves d’une école locale d’Anderlecht C’est bien souvent la première fois qu’ils montent sur une planche.
Y a-t-il eu des moments où tu étais sur le point d’abandonner ?
C’est un combat de tous les jours. Chaque fois qu’on a dû fermer, j’ai été super déçu de ne pas pouvoir mener mon projet à terme. Mais grâce à ces trois sites, nous avons pu construire quelque chose de différent à trois reprises. A chaque fois, ça nous a apporté quelque chose, ce qui permet d’être mieux préparé pour la fois d’après.
Niveau technique, ça n’a pas l’air simple de construire un skatepark, surtout en béton. Comment as-tu fait ?
La première fois que j’ai travaillé avec du béton, ça a été lors de la construction du premier skatepark à Anvers. C’était la société américaine Team Pain qui s’en occupait. J’y suis allé pour aider et apprendre avec Jan, un de mes coéquipiers. Dix ans après, j’ai également participé à la construction du skatepark de Namur avec le collectif BRUSK. J’ai aussi aidé Mashers-crew à construire le skatepark de l’Allee du Kaai à Tour & Taxis. C’est comme ça que j’ai acquis mes connaissances techniques et mon expérience, au final.
« Au fil des ans, j’ai rencontré beaucoup de gens lorsque j’aidais moi-même à construire des skateparks. Et beaucoup d’entre eux sont venus nous aider. »
Plus de cinquante personnes sont venues vous aider pour ce skatepark DIY. Comment as-tu rameuté tant de gens ?
Au fil des ans, j’ai rencontré beaucoup de gens lorsque j’aidais moi-même à construire des skateparks. Aussi pas mal de gars que j’ai connus via l’organisation MakeLifeSkateLife. Grâce à eux, j’ai commencé à aider à construire un skatepark au Maroc. Là-bas, j’ai rencontré plein de gens de tous les coins du monde et ils sont venus nous aider ici. Certains sont même restés en Belgique pendant deux ou trois semaines. Bien sûr, on leur a offert un lit dans le parc indoor en échange et on s’occupait de la bouffe et des boissons. De nombreux Belges sont également venus donner un coup de main. Certains de Malines, Gand, Alost et de tout Bruxelles. C’était vraiment un bon moment.
Tu peux m’en dire plus sur ce skatepark au Maroc ?
MakeLifeSkateLife est une organisation sponsorisée par Levi’s qui construit des parcs partout dans le monde, dans des endroits où il n’y en n’a pas par manque de ressources. Ce parc se trouvait à Taghazout, un petit village marocain connu pour ses spots de surf. J’y allais toujours pendant les vacances quand j’étais gosse. C’était vraiment génial de travailler sur ce projet, on était plus de 100 bénévoles, tous avec énormément de connaissances et de passion. Au final, on a construit tout un skatepark en seulement trois semaines.
« Cet été, la devise c’était de boire un maximum d’eau. Et de bière. »
Ici à Bruxelles, la canicule de l’été dernier a rendu le travail très pénible. Comment avez-vous fait face à ça ?
Ouais, c’était dur, mais aussi assez drôle. La devise, c’était de boire suffisamment d’eau. Et de bière.
Vous aviez non seulement besoin d’aide, mais aussi de matériel. Où avez-vous trouvé tout ça ?
On a chopé le béton chez Concrete Dreams à Malines avec le soutien financier de Levi’s. On a aussi reçu beaucoup de choses gratuitement. Du marbre d’un de mes amis, par exemple. Il fait des pierres tombales et nous a donné un bon surplus avec lequel on a pu faire un ledge [un bloc sur lequel faire des grinds, ndlr]. On a dû tailler beaucoup et jouer au puzzle, mais c’était vraiment fun à faire.
« Tous les déchets du sous-sol du bâtiment se trouvent maintenant emprisonnés dans le sol du skatepark. Par exemple, il y a un siège de toilette, un vieux skate et un appareil photo. »
Avant de pouvoir poser le béton, on devait d’abord préparer un apprêt. Pour faire ça, on a littéralement utilisé tout ce qui nous tombait sous la main. Tous les déchets du sous-sol du bâtiment se trouvent maintenant emprisonnés dans le sol du skatepark. Par exemple, il y a un siège de toilette, un vieux skate et un appareil photo.
Et comment avez-vous réussi à récolter l’argent nécessaire ? D’après ce que j’ai compris, vous n’avez pas pu compter sur la ville de Bruxelles…
Non, pas de soutien de la ville de Bruxelles. C’est vraiment bizarre. Ils ne comprennent pas à quel point le skateboard est important. Ils ne perçoivent pas le skate comme le football ou d’autres sports plus connus. C’est d’ailleurs difficile de dire combien de temps on pourra occuper ces lieux. Ils nous ont dit trois ou quatre ans, mais ça ne nous donne absolument aucune sécurité.
Et on a forcément besoin d’argent. Rien que le béton, ça coûte cher. Grâce à Levi’s et au distributeur de skate Transind, on a pu financer la plus grande partie. Levi’s a investi dans le parc et le matériel dont nous avions besoin. Transind nous aide à payer une partie du loyer chaque mois. On donne aussi beaucoup de notre poche, du blé qu’on a économisé au fil des ans.
Avec la combinaison extérieur/intérieur, il y a beaucoup d’espace. Vous envisagez d’organiser des événements ici dans le futur ?
C’est sûr ! On en organise d’ailleurs déjà. Concerts, fêtes d’anniversaire pour les enfants et plus récemment même un défilé de mode. En septembre de l’année prochaine, on voudrait organiser à nouveau le « Byrrrh Bang ». On faisait ça dans les endroits précédents. C’est une sorte de festival avec une dizaine de groupes. En plus de la musique, il y a aussi une compétition dans le skatepark. Mais ici, je veux surtout donner la priorité à nos événements pour les enfants. Ça doit être un endroit où les enfants du quartier peuvent apprendre à skater.
« S’il n’y a rien dans votre quartier, construisez-le vous-même. »
A quel moment considèreras-tu le Byrrrh comme une réussite ?
Avant tout, je veux que ça dure le plus longtemps possible. Ça nous a pris tellement de temps et demandé tant de travail acharné…Je viens ici presque tous les jours, sans être payé. Pour moi, ça doit rester un endroit où tout le monde peut venir skater.
Pour terminer, tu aimerais partager quelque chose avec nos lecteur ?
Je souhaiterais dire une chose aux jeunes lecteurs. Si vous désirez quelque chose, il suffit de le faire. N’attendez pas que quelqu’un d’autre le fasse pour vous. Sinon, ça n’arrivera jamais. Chaque skateur veut un endroit pour skater. S’il n’y a rien dans votre quartier, construisez-le vous-même.
Merci, Youssef!
Vous pouvez en savoir plus sur le Byrrrh et leurs évènements via leur page Facebook et Instagram. Et ici, vous trouvez l’Instagram du photographe Melvin Podolski.
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