La van life au féminin
Photo : Marie-Claude Surprenant

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La van life au féminin

Avec les adeptes de Westfalia qui ont formé un club pour femmes seulement.

J’ai rencontré Hermann en 2015 dans un garage de Sainte-Madeleine, village mythique d’un peu plus de 2000 habitants, principalement connu pour son camping du même nom, quant à lui réputé pour sa proximité avec l’autoroute 20.

On avait tous les deux 30 ans, il était aussi brun que dans mes rêves et il avait les yeux ronds. Depuis ce jour, on traîne ensemble sur le bitume et la garnotte de ce côté-ci de l’Amérique du Nord sans trop de chicanes, sauf la fois où il a menacé de s’immoler sur l’autoroute 10. Avec lui, je vis le grand rêve d’aventure, la liberté avec un grand L et l’insouciance. Sauf quand je dois calmer mes hypocondries mécaniques et recourir à l’aide de Sylvain, mon mécanicien, ou du groupe Facebook « Les Mononcs en Folie ».

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Photo : Marie-Claude Surprenant

Hermann, c’est mon Westfalia, et le groupe des Mononcs, c’est la référence virtuelle en matière de Westfalia de type Vanagon (le modèle des années 80 qui ressemble à un toaster) au Québec. C’est une communauté qui réunit les passionnés de ce véhicule mythique; un espace où des érudits de la mécanique et des novices du West se rencontrent pour échanger et s’entraider dans une ambiance solidaire digne de l’ère peace and love. La plupart du temps, en tout cas. Parce que le groupe comporte aussi son lot d’indignés, comme ceux qui revendiquent leur droit de partager des images sexistes, sous prétexte que le nudisme et le hippie-isme, ça va ensemble. Mes préférés.

Bref, toutes les sortes de monde qu’il faut pour faire un monde et rien pour m’empêcher de fermer l’œil la nuit, mais rien non plus pour me stimuler le sentiment d’appartenance ou m’encourager à participer aux dizaines de rassemblements de vanning organisés chaque année.

Jusqu’au jour où, par un matin tranquille de juillet, une femme publie sur le groupe : « Je suis curieuse, j'aimerais savoir COMBIEN de femmes seules ont un West, (…) je commence : j'ai un West et je suis seule. »

40 likes et 109 commentaires plus tard, le groupe Facebook « Femmes en bolides » est né et les pourparlers concernant un premier événement vont bon train. Une nouvelle accueillie avec enthousiasme chez les Mononcs, sauf chez les indignés qui vont évidemment jusqu’à nous traiter de stupides, ou pire encore, de diaboliques féministes.

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Du côté des Femmes en bolide, c’est l’euphorie. Surtout que le premier rassemblement promet du jamais vu chez les Mononcs : un cours de mécanique. Un cours organisé par une femme mécanicienne, en plus.

C’est comme ça qu’Hermann et moi, on s’est retrouvés avec une cinquantaine de mesdames et exactement 45 autres bolides dans un champ de la Vallée Bras-du-Nord, une destination plein air située dans la ville de Saint-Raymond-de-Portneuf, au nord-ouest de la ville de Québec.

J’avais accepté de faire la route en partance de Montréal avec Josée H., une membre des Femmes en bolides qui préfère ne pas rouler seule lorsqu’il fait noir. On se rejoint donc vers 19 heures le vendredi, au McDo près des Galeries d’Anjou. C’est une femme aux longs cheveux poivre et sel qui m’attend, tout sourire au volant de son West ‘86. Ensemble, on forme un duo de bolides bruns et je suis émue tellement c’est beau.

C’est elle qui prend les devants et Josée, elle pèse sur le champignon. Je la suis, non sans un léger stress, alors qu’elle frôle les 105 km/h sur l'autoroute; c’est au moins 10 km/h de plus que ma vitesse maximale habituelle. Je vérifie compulsivement la jauge de température, le RPM et les rétroviseurs. Tout va bien et au bout d’une demi-heure, je recommence à respirer normalement.

Arrivées à Saint-Raymond, on croise Diane et sa fille Ève à bord d’un Westfalia bleu clair, sur les quatre flashers, en plein questionnement d’ordre géographique. Ça finit en convoi à trois, Hermann en tête, puis on arrive au camping 20 minutes plus tard.

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Il est déjà 23 heures – nos véhicules n’ont pas l’aérodynamisme requis pour les 90 km/h des routes de campagne – et on devine le troupeau de bolides qui parsèment le terrain par leurs grandes silhouettes carrées. Je stationne ma machine sur le gazon mouillé avec quelques difficultés, je me débouche une bière en canette et j’ouvre le toit pour installer mon lit. Dix minutes plus tard, j’ai rejoint la dizaine de femmes qui discutent autour du feu, la face dans la boucane, prête à crier « Lapin ». Je sors ma guitare et je découvre que des femmes en bolides, ça a le sens de la veillée. Et que passé une certaine heure, ça a aussi de la difficulté à rester en équilibre sur sa chaise.

Photo : Chantal Valade

Les couche-tard, dont je suis, vont se coucher vers les 3 heures du matin; on a tout de même un cours à 10 heures tapant au bout du champ. Quelques heures plus tard, le soleil dit bonjour aux montagnes et je suis une des dernières à me diriger vers la table à pique-nique et l’attroupement de chaises pliantes qui font office de salle de classe. Au passage, je recueille les plaintes de celles qui se sont levées avec la poésie du désormais regretté Patrick Bourgeois dans la tête, par ma faute. « Je t’aime et tu ne le sauras jamais. Ooh. Ooh. Oooh. »

Photo : Marie-Claude Surprenant

Pendant une bonne partie de la journée, on se bourre le crâne des bases de la mécanique et on s’instruit collectivement pour se défendre contre les garagistes avares qui ont tendance à s’enrichir sur le dos de notre ignorance et de notre genre. On s’extasie devant un galiper, on tâte des pads de frein et on scrute un filtre à air. On apprend même à rabouter des fils avec un bout de caoutchouc et un briquet.

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Photo : Marie-Claude Surprenant

Alors qu’on prend une pause pour le lunch, un Westfalia inconnu s’approche timidement à l’entrée du site avec deux hommes à son bord. On leur fait vite savoir que les hommes ne sont pas admis, mais quand ils invoquent des troubles de moteur, les Femmes en bolides s’attendrissent instantanément. Je leur fait don du litre de Prestone qui traîne sous ma banquette et ils sont vite repartis.

Quand le cours prend fin vers 15 heures, la journée se transforme naturellement en portes ouvertes. Chacune fait le tour du site pour reluquer le véhicule des unes et des autres, s’inspirer des modifications faites par chacune et ventiler au sujet de leurs derniers pépins sur la route.

Je rencontre Josée G. qui en est à son troisième moteur en 13 ans et qui regrette encore son mécanicien de l’Oregon. Son West est vert pomme et fleurs, et elle a complètement décoré l’intérieur à son image, tout en couleurs. Plus tard, je vais à la rencontre de Magali qui m’intrigue avec son Aigle noir, un Chevy Van que j’imagine avoir déjà appartenu à un homme tatoué qui arbore la couette et la longue barbe blanche. J’ai un gros faible pour ses rideaux en velours pourpres et sa console en bois.

Photo : Marie-Claude Surprenant

Diane, elle, a nommé son West Le Grand Bleu pour lui insuffler un surplus de confiance et de force; un genre de baptême spirituel pour éloigner les troubles mécaniques. Stéphanie était occupée quand je suis passée la voir, mais son amie Colombe m’explique que son West lui sert de commerce roulant où elle vend ses savons faits à la main et d’autres produits d’artisanat. Geneviève et Karine ont chacune leur West et elles ont troqué chums et bébés pour les Femmes en bolides. Elles sont accompagnées de leur amie Sophie qui, elle, cherche encore son allégeance en matière de véhicule.

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À la différence de plusieurs autres regroupements de vanning, l’événement est ouvert aux aspirantes propriétaires de bolide qui voudraient s’informer sur le sujet. C’est le cas de Julie qui s’est rendue à l’événement en Kia, question de comparer les différents modèles et années de camionnettes-campeurs. Quand je la recroise, elle est sur son départ et je lui demande si elle a fait son choix. Son verdict : à la lumière du cours de mécanique et des récits de voyage entendus, les Westfalia c’est peut-être trop compliqué, finalement. Elle compte assister à d’autres événements de vanning pour continuer d’alimenter sa réflexion.

Pourtant, toutes les conductrices que j’ai croisées s’entendent pour dire qu’il n’y a pas grand-chose de rationnel dans l’acquisition d’un véhicule qui a 20 ans passés. C’est une question de feeling, comme on dit.

Bientôt, la nuit commence à tomber et l’humidité s’en mêle. Une vingtaine de femmes se rassemblent pour une fondue collective pendant que d’autres s’affairent à partir le feu. Quand le soleil se couche définitivement, on est une quarantaine à se négocier une place auprès des flammes. Le vin et la bière coulent à flots. Je prête ma guitare à Sonia qui a la trempe d’un one-woman-show et l’affaire vire vite en chansons à répondre sous les directives de Christiane, la doyenne du groupe.

Le dimanche matin, les toilettes chimiques sont de trop dans le cocktail camping et lendemain de brosse. Avant de me sauver pour retrouver la civilisation, j’attrape Chantal, la coorganisatrice de l’événement, et sa copine Cécile pour recueillir leurs commentaires. Elles sont tout simplement ravies. Le fait d’avoir rassemblé autant de bolides, de femmes et de générations est un accomplissement en soi. L’ambiance festive, l’enthousiasme général et la camaraderie toute naturelle qui s’est installée sont la cerise sur le sundae.

Au final, je constate que peu de femmes voyagent seules, surtout pour des périodes prolongées. Je ne suis pas certaine si elles en ont réellement l’intention, mais, pour l’instant, elles voyagent avec des amis(es), leurs enfants, leur conjoint(e) et/ou leur chien. Une minorité vit dedans à l’année. Chose certaine, ce rassemblement et son cours de mécanique en ont déjà inspiré plusieurs à sortir de leur zone de confort le temps d’une fin de semaine, et c’est déjà ça de gagné.

Le groupe compte aujourd’hui 624 membres et les rumeurs d’une deuxième édition planent déjà.