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Bosser dans un bar le soir du réveillon est une invitation à la débauche et à la déprime

Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu’il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des restaurants. Si vous vous êtes déjà demandé ce que ça faisait de servir des coups lors de la journée la plus chargée émotionnellement de l’année, cet épisode est fait pour vous.

Cela fait quelques années que je travaille le jour de Noël à New York. La première fois que j’ai bossé lors des fêtes, je vivais à San Francisco. Cette année-là – ça devait être 2011 – j’ai taffé pendant Thanksgiving et Noël.

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Le réveillon de Noël aura été l’expérience la plus chelou. Le bar où je bossais avait accepté d’accueillir une petite sauterie ce soir-là. Au final, la fête s’est transformée en véritable orgie de stupéfiants. Les gens qui y participaient n’auraient pas dû prendre de drogues à la base, mais ils les consommaient en plus le jour le plus déprimant de l’année.

Quand on m’a demandé de bosser dans ce bar de San Francisco le jour de Noël, on s’est tous dit « Et si on se faisait un petit mix punk rock trap et musique de Noël ?! On va mélanger tous les genres et la soirée pourra commencer ! ».

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Cette ville est tellement pleine d’orphelins ou de sans-famille qu’on s’est donc que tous allaient vouloir sortir et se mettre une mine. On avait des DJs et tout. Les gens rentraient dans notre bar. Un pote et collègue à moi, que je ne nommerais pas, a décidé d’aller s’acheter 200 dollars de crack. Ce n’est que vers 22h que l’idée de bosser le jour de Noël m’a vraiment déprimé. D’autant plus que j’enchaînais deux services et que je travaillais donc de 15h à 2h du matin. On peut dire qu’à 22h j’étais dans le creux de la vague. J’ai dû prendre une petite douzaine de shots pour tenir la soirée. Et je me suis dit que ce serait sympa de faire le boulot tout en étant défoncé.

Et il y avait cette fête. Et j’étais déjà bourré. Pas étonnant que l’idée de fumer du crack m’a semblé plutôt ingénieuse. Je devais faire semblant de choper une bière, m’accroupir en me cachant derrière les portes des frigos sous le bar et j’expirais la fumée en remontant. Il n’a pas fallu plus de dix secondes aux personnes autour de moi pour griller ma combine. Trop marrant. Visiblement, mater un punk fumer le jour de Noël, c’est une version de l’apocalypse pour tous les petites bourges.

Je devrais me reconvertir et animer un programme où j’emmènerais des jeunes hipsters voir ce que c’est, un bar plein de vieux immigrés polonais sans le sous.

À ce moment de la soirée, j’étais déjà tellement défoncé que je me suis dit « Ça ne sert rien de s’arrêter en si bon chemin ». Vers minuit, j’ai commencé à salement redescendre. J’ai fini mon service sans broncher et puis je suis rentré directement chez moi. Je ne suis plus sorti de mon appart pendant deux jours et demi. Pas tant à cause de la gueule de bois. J’étais juste vraiment choqué d’avoir fumé au boulot. Le jour de Noël. Je suis resté bloquer sur le fait de m’être drogué à Noël pour ne pas penser au fait que j’avais bossé à Noël. Ce qui est déprimant. J’ai dû agir en mode « Je vais être pire que tous ces crétins. Tu es triste et tout seul le jour de Noël ? Tes enfants ne veulent plus entendre parler de toi ? Eh bin regarde-moi bien, je fume du crack en bossant, moi. »

Je pense que les gens ont tendance à se dire « Je suis tellement seul à Noël que je vais me mettre la misère ! » mais qu’il y a aussi un sens à cette réaction là.

Cela fait cinq années maintenant que je bosse pendant les vacances. En janvier, je prends généralement des vacances dans un pays chaud. Je mets mes émotions entre parenthèses et je me dis que je fais ça pour l’argent, mais si j’ai commencé à bosser le jour du réveillon, à Noël et à Thanksgiving, c’est bien pour une raison : je n’avais rien de mieux à faire. Les clients s’en étonnent parfois, « Tu n’as rien d’autre à faire que de bosser ce soir ? Si je viens dans ce bar, c’est justement pour oublier mon boulot ». Mais dans le milieu, ça fait partie du job. « Je n’ai personne avec qui manger un bout ce soir, autant que je serve quelques verres à ceux qui veulent boire. »

J’ai un peu plus de respect pour le type qui rentre seul dans le bar, en mode « Et ouais les mecs, je suis tout seul le jour de Noël ». Je me demande ce qu’il a fait dans sa vie pour finir ainsi.

Les gens sortent souvent en groupe le jour de Noël, mais il y a toujours certains clients qui sont seuls. Généralement, les groupes sont formés de personnes seules qui se disent « On n’a pas de famille avec qui fêter ça, donc autant se rassembler ». J’ai un peu plus de respect pour le type qui rentre seul dans le bar, en mode « Et ouais les mecs, je suis tout seul le jour de Noël ». Je me demande ce qu’il a fait dans sa vie pour finir ainsi.

Si un groupe de gars du sud des Etats-Unis débarquent parce qu’ils sont bloqués là pour leur service militaire et qu’ils veulent passer la soirée au bar à parler foot en se bourrant la gueule, pas de problème. Mais on croise aussi ces hipsters prétentieux qui pourraient très bien rentrer chez eux pour Noël mais qui ne veulent pas. « Je pourrais rentrer chez moi, mais je ne veux pas faire la route jusque Beacon pour avoir à supporter mon oncle. » Une heure en voiture, c’est un trajet bien plus court que la plupart des gens qui rentrent dans leur famille à Noël, mais c’est déjà trop pour eux. C’est souvent ce genre de personnes qu’on croise. Ils ont l’opportunité de rentrer chez eux passer du temps dans leur famille, mais ils préfèrent éviter.

Je vais probablement paraître impertinent, mais est-ce que se lamenter sur son sort rend plus cool ? Le fait d’être seul, accoudé à un bar, le jour de Noël – tout ça est très romancé, embelli. Je l’ai vécu et je l’ai observé. Depuis douze ans, je n’ai passé que cinq Noëls dans ma famille. Ils vivent à 5 000 km d’ici et nous ne sommes pas très proches. En tout cas, se sentir vraiment seul n’est pas le genre de sentiment qu’on veut ressentir – c’est d’ailleurs bien pour ça qu’on se rend dans un endroit plein de monde pour boire un verre. Forcément, c’est plus fun.

Maintenant j’ai tendance à penser « Je vais me faire un ramen et je vais mater un petit film au lit » plutôt que de me dire « Haha, je vais profiter de ce type qui vient de perdre ses parents pour me faire de la thune »

Si tu veux voir ce que c’est la vraie solitude, va dans ce bar près de là où j’habite, le Pit Stop Bar. Les types attendent à la porte avant l’ouverture. Ils passent leur temps à jouer aux jeux à gratter et ils se servent de leurs allocs pour descendre des Bavaria bien assis sur leur chaise. C’est ça, la solitude. Je devrais me reconvertir et animer un programme où j’emmènerais des jeunes hipsters voir ce que c’est, un bar plein de vieux immigrés polonais sans le sous.

C’est assez ironique. Quand on bosse dans un bar, on se dit que oui, « Je vais bosser à Noël, c’est normal, des gens vont se sentir seul à Noël et ils vont sortir boire ». Ok, c’est logique, mais c’est aussi carrément pervers. Je comprends – dans ce business, on fait de l’argent sur la misère humaine – mais espérer que les gens se sentent seul lors d’une fête familiale, c’est quand même glauque.

C’est peut-être que je vieillis, peut-être que je l’ai trop fait, mais maintenant j’ai tendance à penser « Je vais me faire un ramen et je vais mater un petit film au lit » plutôt que de me dire « Haha, je vais profiter de ce type qui vient de perdre ses parents pour me faire de la thune ».

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Même si je n’étais pas barman et que je n’avais vraiment pas de famille, je ne voudrais pas aller dans un bar le jour de Noël. Peut-être que j’utiliserais la journée pour méditer sur ma solitude tout en mangeant mes nouilles chinoises dans mon lit, mais en tout cas je ne voudrais pas me donner en spectacle. J’essaye en tout cas de toujours être très gentil le jour de Noël. C’est la moindre des choses, non ?

En général, tout est bien qui finit bien. Si tu sors dans un bar et qu’au final, tu rentres avec quelqu’un – une autre âme esseulée, elle aussi venue d’un petit patelin inconnu au bataillon – et que tu te réveilles le lendemain de Noël en charmante compagnie, c’est tout bénéf. Même si c’était un mauvais coup, le sexe, c’est comme la pizza : on ne crache jamais dessus.

L’année dernière, je n’ai pas bossé le jour de Noël. J’étais en Albanie en train vider une bouteille de Fireball à moi tout seul tout en matant un groupe en pleine reprise d’un titre des Skrewdriver se faire attaquer par des skinheads. Mais c’est une autre histoire. Cette année-là, je m’étais dit « Je suis barman, donc je vais prendre une mauvaise décision pour savoir comment passer Noël ».

Propos rapportés par Hilary Pollack