Société

Comment la Chine vend les « organes halal » de ses prisonniers Ouïghours aux riches 

trafic organes

Un an après notre enquête, en juin 2021, des experts de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) font état de prélèvements d’organes sur les minorités ethniques, linguistiques ou religieuse en Chine et se disent « extrêmement alarmés » par ces informations.


Il ne fait pas bon être d’une autre ethnie que les Han, la majoritaire, en Chine. Depuis de nombreuses années, les minorités religieuses sont persécutées en Chine. Musulmans, catholiques, Tibétains ou encore Falung gong sont considérés comme des ennemis de l’État de par leurs croyances. En 2014, des camps d’internement ont été construits dans la province autonome du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Le but étant d’y enfermer des centaines de milliers de musulmans Ouïghours, Kirghiz, Hui et Kazakhs. Selon Amnesty International, un million de Ouïghours seraient actuellement détenus sans procès, ni raisons particulières. Mais en plus de travail forcé dans ces camps, les organes des détenus seraient prélevés pour être revendus.

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Après avoir longtemps nié l’existence de ces camps, la Chine a fini par les reconnaître officiellement, en octobre 2018, sous le nom de « camps de transformation par l’éducation». Certains n’en sortent jamais. Selon bon nombre d’enquêteurs la raison de ces disparitions serait simple : ils seraient tués pour leurs organes.

Pour la journaliste française, Sylvie Lasserre, autrice de Voyage au pays des Ouïghours : de la persécution invisible à l’enfer orwellien, dénonce ce trafic d’organes de prisonniers des camps du Xinjiang. Il y a cinq ans, Sylvie Lasserre a recueilli un témoignage alarmant sur le sujet. Un jeune Ouïghour interné dans un camp lui a raconté avoir été emmené dans un hôpital et avoir reçu une injection d’un produit inconnu qui lui a fait perdre connaissance. Le lendemain, à son réveil, l’homme avait une cicatrice au niveau du rein.

Depuis 2016, le gouvernement chinois a lancé une vaste campagne de bilan médical dans la région autonome du Xinjiang. Des tests uniquement obligatoires pour ses habitants Ouïghours âgés de 12 à 65 ans. Dans la batterie de tests proposés, du sang est prélevé mais aussi des examens échographiques sont parfois réalisés. Ces derniers permettent de visualiser la taille, la forme et la structure interne d’un organe. Des bilans médicaux douteux que la Chine n’a jamais cherché à justifier.

Pour beaucoup, cela ne fait aucun doute, ces tests permettent de récolter une base de données de futurs donneurs. Le journaliste d’investigation américain, Ethan Gutmann, a travaillé pendant plusieurs années sur les prélèvements d’organes en Chine. Pour lui, il est évident que la Chine tente de garder un œil sur les minorités ethniques à travers ces contrôles médicaux : « Tous les rescapés de camps que j’ai pu interviewer, qu’ils soient Ouïghours, Kazakh, Kyrgyz ou Hui, ont eu des prélèvements sanguins tous les mois. On pourrait se dire que c’est pour éviter des maladies infectieuses mais ce n’est pas possible puisque les Chinois Han représentent plus de la moitié de la population dans le Xinjiang et pourtant ils ne sont pas testés. Ces bilans permettent donc de les surveiller et de potentiellement les repérer pour des prélèvements d’organes. » Grâce à ces tests, le gouvernement peut donc connaître et collecter le groupe sanguin des Ouïghours ainsi que l’état de leurs organes. Mi-juin, selon le New York Times , la Chine a étendu ces tests sanguins à d’autres ethnies que les Ouïghours pour créer une gigantesque base de données ADN.

La Chine fait partie des pays où le temps d’attente pour une greffe est le moins long. Pourtant dans la culture chinoise, il est important de garder intact le corps après la mort et donc ne pas faire don de ses organes. Alors que les dons d’organes ne sont pas monnaie courante, les donneurs sont pourtant toujours disponibles. Comment la Chine obtient-elle tous ces organes ? L’attente se compte souvent en jours et parfois en semaines. Alors que pour beaucoup de pays, il faut parfois attendre plusieurs mois voire années. Aux États-Unis, il faut en moyenne 3,6 ans pour obtenir une greffe alors que 145 millions de personnes sont enregistrées donneurs d’organes. En Chine, il faut environ 12 jours seulement pour la même demande alors que 373 536 personnes sont enregistrées donneurs d’organes. Ces chiffres sont également confirmés par le député européen Raphaël Glucksmann qui a mené l’enquête sur le sujet. Certaines personnes apprennent même à l’avance la date exacte de la transplantation. En d’autres termes, les hôpitaux connaissent à l’avance les dates des décès des patients.

Les prélèvements d’organes ne sont pas nouveaux en Chine. Durant de nombreuses années, le pays a prélevé sur des condamnés à mort avant d’annoncer à la communauté internationale en 2015 la fin de cette pratique.

Enver Tohti, un ancien médecin ouïghour, a assisté et participé à des prélèvements d’organes sur des condamnés à mort en 1995. Il a, depuis, fui la Chine. Son chef de service lui a ordonné à l’époque de prélever des organes sur un condamné à mort. « On attendait les coups de feu pour sortir du véhicule dans lequel les autres médecins et moi étions. Il y avait plein de cadavres allongés par terre. Mon chef m’a ordonné de retirer un foie et un rein. Alors c’est ce que j’ai fait », raconte l’intéressé. Sauf que ce condamné à mort était encore en vie. Lorsque Enver Tohti a commencé à opérer l’homme, du sang a jailli, preuve que son coeur battait toujours. « Il a gesticulé. Son corps essayait de lutter mais il était trop faible pour résister. Il n’était pas mort et je lui ai quand même retiré son foie et son rein. Mon chef a récupéré les organes et m’a dit de tout oublier. » Les condamnés à mort ont longtemps servi de banques à organes et rien ne prouve que cette pratique s’est vraiment arrêtée en 2015.

Les Falun Gong sont aussi victimes de prélèvements d’organes et incarcérés dans des camps. Ce mouvement fondé sur la pratique de la relaxation est poursuivi et réprimé par le gouvernement chinois car considéré comme une menace au parti communiste chinois. L’ancien ministre chinois de la santé, Bai Shuzhong, a d’ailleurs abordé, lors d’appels téléphoniques, l’existence de prélèvements d’organes sur des Falun Gong.

Le China Tribunal a recueilli plusieurs témoignages comme celui Gulbahar Jelilova, une jeune femme kazakhe d’origine ouïghoure réchappée d’un camp d’internement. Elle a été détenue pendant un an et trois mois. Emprisonnée avec des femmes Ouïghours, elle a très vite entendu parler des prélèvements d’organes et a constaté la disparition de prisonnières.

Régulièrement, elle devait se soumettre à des examens échographiques ainsi qu’à des prélèvements de sang. Mais avant sa libération, en août 2018, la jeune femme a été emmenée dans une nouvelle prison pour faire un dernier examen médical. Examen qui l’aura peut-être sauvée.

La famille de He Lifiang, un Falun gong, a également témoigné. Après avoir été arrêté, il est mort au bout de deux mois de détention. Sa famille a pu voir son corps et observer une incision recousue sur sa poitrine mais aussi une incision encore ouverte dans son dos. Des zones pour prélever des organes comme un poumon ou encore un rein. Face aux questionnements de la famille, la police répondra qu’il s’agit seulement d’opérations dues à l’autopsie. Un argument qui ne convainc pas la famille He Lifiang. Dans ce même rapport, une autre famille raconte ne pas avoir pu voir le corps du membre de leur famille qui a, sans autorisation, été incinéré.

Témoignage du rescapé Omir Bekali d’un camp qui a subi plusieurs tests médicaux dont des examens échographiques d’organes.

Les acheteurs viennent du monde entier pour ces greffes d’organes. Les prélèvements servent en partie à alimenter les besoins de la Chine puis de ceux qui ont les moyens de se les payer à l’étranger. Les porteurs étant musulmans, la Chine cible principalement le monde musulman pour acheter ces organes qui n’ont jamais eu d’alcool ou de porc dans le sang.

Erkin Sidick, conseiller du World Uyghur Congress, est l’un des premiers à avoir alerté sur l’existence d’organes halal en croisant plusieurs sources : « Dernièrement, on m’a appris que le Parti communiste chinois avait récemment commencé à transporter une grande quantité d’organes de Ouïghours entre Shanghai et l’Arabie saoudite. Le gouvernement chinois fait la promotion de ces organes halal en Arabie Saoudite pour attirer les musulmans. » Selon lui, il s’agirait de l’une des raisons pour lesquelles plusieurs pays du Golfe (Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis) ont signé une lettre de soutien à la politique chinoise.

En tant qu’étranger, il est très facile de trouver sur Internet des offres attrayantes dans des cliniques privées. De nombreux hôpitaux tentent de séduire les patients internationaux à l’aide de publicités en anglais et les personnes de confessions musulmanes sont directement ciblées. L’hôpital Tongshantang de Pékin propose sur plusieurs de ses sites des transplantations de rein et se vante sur sa chaîne Youtube d’avoir un espace de prière pour musulmans ainsi qu’une cantine halal pour ses patients ( voir vidéo ci-dessous).

Pour le journaliste Ethan Gutmannn, les organes halal sont vendus à destination des musulmans : « C’est facile. Les hôpitaux chinois vendent les organes et les musulmans qui ont besoin d’une greffe les achètent. » Si aucun prix n’est forcément visible sur les sites, beaucoup estiment qu’il faudrait tripler le prix d’un organe “normal” pour pouvoir se procurer un organe halal. En 2006, le site d’un hôpital chinois proposait par exemple un foie pour 100 000 dollars. Selon plusieurs de nos sources, un prisonnier d’une trentaine d’années rapporterait un demi-million de dollars à lui seul.

Pendant plusieurs années, le Tianjin Central Hospital a été dans le viseur des organismes luttant contre ce trafic d’organes. Le site de l’hôpital proposait pour les étrangers une version en anglais et en arabe. « Cet hôpital propose environ 5 000 transplantations par an. J’ai recueilli de nombreux témoignages et de preuves sur le nombre croissant de patients venant des pays du Golfe », raconte le journaliste d’investigation Ethan Gutmann. Ce même hôpital a aussi vu son nom être traduit en arabe pour s’adapter à ses nouveaux patients.

Dans la région des Ouïghours, le Xinjiang, l’aéroport de Kachgar permet le transfert d’organes. Au sol, un marquage en chinois et en anglais indique une voie destinée aux transports d’organes. « Cet aéroport se trouve dans une zone peu peuplée ce n’est pas logique. Ce serait logique dans la province du Hunan mais le Xinjiang ne compte que 25 millions d’habitants. Comment peut-on avoir autant d’organes ? » rappelle le médecin ouïghour Enver Tohti dans une interview accordée à VICE, lui qui a assisté et participé à des prélèvements d’organes sur des condamnés à mort.

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Un des signaux dans l’aéroport de Kachgar. Photo de James Millward

Mais il n’est pas nécessaire d’être musulman pour espérer un organe rapidement et de plus en meilleure santé puisque le donneur n’a jamais consommé d’alcool. Récemment, plusieurs pays comme le Royaume-Uni, la Belgique, la Norvège, l’Italie, Taïwan, l’Espagne ou encore Israël ont instauré une taxe pour dissuader ceux qui souhaiteraient se rendre dans un pays, notamment la Chine, pour avoir une greffe d’organe. Une décision qui peut être saluée mais qui semble quasiment impossible à mettre en place. À moins de ficher la population qui est dans l’attente d’un organe.

Le peu de transparence de la Chine empêche de savoir où est redistribué l’argent gagné grâce à ce trafic. Pour le journaliste Ethan Gutmann, il y a de fortes chances pour que l’argent soit disséminé dans les hôpitaux, les établissements locaux du Parti Communiste Chinois ainsi que dans les camps d’internement.

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Un site chinois de vente d’organes repéré par le Tribunal of China qui ne semble plus actif. Le compte Whatsapp du vendeur est cependant toujours connecté même s’il a préféré ne pas nous répondre.

Ethan Gutmann a également travaillé sur les nombreuses disparitions des membres des minorités ouïghoures et kazakhes dans le Xinjiang. Son constat est effarant. 25 000 Ouïghours de 25 à 35 ans seraient tués chaque année pour leurs organes selon le journaliste. Toutes nos sources ont affirmé que les cadavres étaient brûlés pour éviter toute preuve.

La Chine se méfie encore plus depuis que la communauté internationale s’intéresse aux camps d’internement dans le Xinjiang. Plusieurs crématoriums ont vu le jour, en quelques années seulement, dans la région des Ouïghours. Chose étrange, plusieurs gardes sont postés nuit et jour devant ces crématoriums. « Pour le tout premier crématorium, ils ont recruté 50 gardiens pour un salaire de 1 200 dollars » raconte Ethan. Une somme rondelette en Chine qui attire encore plus l’attention sur ces crématoriums qu’aucun de nos interlocuteurs n’a pu approcher.

« L’histoire se répète et l’Europe ne fait rien. Cela me rend malade »

Le journaliste reste stupéfait par le peu d’intérêt accordé par la communauté internationale pour ce qui s’avère être un crime contre l’humanité : « Angela Merkel n’a pas l’air de comprendre ce que tout cela signifie. Peut-être que l’économie passe en premier pour elle. L’histoire se répète et l’Europe ne fait rien. Cela me rend malade. »

En juin 2019, un tribunal indépendant, le China tribunal (présidé par l’avocat britannique, Geoffrey Nice, reconnu internationalement pour son implication dans la lutte contre crimes de guerre au Kosovo) a enquêté à la demande du groupe ETAC (End Transplant Abuse) sur les prélèvements d’organes des prisonniers en Chine. Dans son jugement final étayé sur 60 pages, le tribunal conclut sur l’existence de vols d’organes à grande échelle organisés depuis plusieurs années mais également le prélèvement d’organes sur les prisonniers de camps d’internement. Selon plusieurs rapports, ce sombre marché rapporterait des milliards de dollars chaque année.

Vient alors la question difficile des enfants Ouïghours et des autres minorités enfermées dans des camps. Que deviennent-ils lorsque leurs parents sont arrêtés ? Les mineurs sont envoyés dans des camps d’endoctrinement pour y recevoir une “éducation patriotique” avec l’interdiction formelle d’y parler ouïghour. Plus de 500 000 enfants seraient actuellement dans ce genre de camp. De quoi rappeler les heures les plus sombres de notre histoire.

Si quelques trafics d’organes d’enfants existent en Chine, rien n’indique pour l’instant que des prélèvements d’organes à grande échelle sont organisés. « Il y a beaucoup de rumeurs autour des enfants dans les camps d’endoctrinement mais il n’y a aucune preuve directe. J’ai seulement connaissance de la mort de deux enfants qui ont été battus à mort d’une manière si violente que leurs organes ne pouvaient pas être récupérés après. »

Alors que les preuves s’accumulent autour de cette épuration ethnique, la communauté internationale est encore frileuse à l’idée de condamner la Chine pour ces pratiques qui ressemblent à s’y méprendre aux camps de concentration nazis. « Les gens ont l’air d’avoir oublié l’Holocauste. Pourtant c’est bien un Holocauste qui se passe sous nos yeux au 21ème siècle. On enferme des hommes dans des camps de concentration où ils font du travail forcé, on fait des tests sur eux, on leur prélève leurs organes et on force les femmes à se marier à des Han » raconte Erkin Sidick, membre du World Uyghur Congress, épouvanté par ces camps.

Le 12 juin dernier, les sénateurs belges ont demandé l’ouverture d’une enquête des Nations Unies sur le trafic et la transplantation d’organes en Chine. Une demande qui n’est pas nouvelle. En 2019, Hamid Sabi, avocat membre du China Tribunal, avait demandé au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme d’enquêter sur le sujet. Cette année, en France, le député européen Raphaël Glucksmann a travaillé pendant plusieurs mois sur les conditions de détention des Ouïghours en Chine. Il souhaite mettre en place une commission d’enquête internationale ainsi que des sanctions contre le gouvernement chinois.

« Nous sommes face à un État qui a érigé le mensonge en norme. Un État qui a nié l’existence de camps de Ouïghours jusqu’à l’année dernière. Un État qui a caché aux yeux du monde entier la naissance du Covid-19, avant de trafiquer tous ses chiffres sur l’épidémie. Un État qui, depuis sa création, a étouffé et massacré toutes ses minorités » raconte Raphaël Glucksmann qui a fait de la cause ouïghoure son cheval de bataille.

Dernièrement le député européen et l’Institut Ouïghour d’Europe ont lancé un compte Instagram, Ouïghours News pour regrouper toutes les informations francophones sur le sujet dans l’espoir de faire avancer les choses : « Je me battrai inlassablement afin qu’une enquête des Nations unies sur le trafic et la transplantation d’organes en Chine se constitue. Et que le régime chinois paie pour ses crimes. »

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