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Clé USB dans un sandwich et resto sur écoute : quand les espions passent à table

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Automne 1940. Parachuté en Angleterre pour cartographier les défenses côtières en prévision d’un futur débarquement, un espion des services de renseignement de l’armée allemande est arrêté après avoir tenté de commander une pinte de cidre à 10 heures du matin dans un pub. En temps de Blitz, tout le monde sait qu’on ne sert pas d’alcool avant midi. Au même moment, un autre opérateur envoyé canoter jusqu’en Albion dans le cadre de l’opération Lion de Mer, perd sa couverture après la découverte de bratwürste dans ses bagages. En temps de Blitz, tout le monde sait qu’on ne se trimballe pas avec des saucisses ennemies interdites à l’importation.

Quelle mouche a pu piquer les deux agents nazis ? C’est l’historienne Monika Siedentopf qui révèle leurs déboires dans son ouvrage Operation Sealion : Resistance inside the Secret Service précisant au passage que l’échec de leur mission n’était pas uniquement dû à leur incompétence mais aussi à un acte de sabotage délibéré des cadres de l’Abwehr opposés aux envies d’invasion d’Hitler. Ces deux anecdotes illustrent assez opportunément la place de la gastronomie dans l’histoire de l’espionnage ; pour les agents, la bouffe est à la fois une arme qui peut s’avérer mortelle, un médium capable de faire passer toute sorte de messages ou un outil pour se fondre dans la masse.

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À la même époque, le Secret Intelligence Service (SIS) constate par exemple que ses espions envoyés en mission dans les pays méditerranéens – et notamment l’Espagne – manquent de « saveur locale ». L’austère régime alimentaire britannique mettrait en péril la discrétion de certains agents et oblige le MI6 à se lancer dans la confection d’une barre de chocolat à l’ail comme raconté par Peter Taylor dans Weird War Two : Intriguing Items and Surprising Stuff From the Second World War. L’auteur suggère que la confiserie n’a pas dépassé le seuil de prototype mais s’adapter aux mœurs culinaires du pays dans lequel on opère permet de s’éviter bien des emmerdes.

Dans Inglorious Basterds (2009), Quentin Tarantino détourne ce motif récurrent du renseignement : le mythe de l’agent desservi par sa méconnaissance des coutumes autochtones. Dans une taverne de la France occupée, un espion de sa Majesté déguisé en officier de la Wehrmacht commande trois verres de whisky à l’anglo-saxonne – comprendre avec l’index, le majeur et l’annulaire au lieu du pouce – se trahissant aux yeux de l’officier SS assis à sa table.

Les lieux de bouche sont assez prisés de la communauté du renseignement et pas uniquement pour la qualité de la cuisine. Interrogée par NPR à l’occasion de la sortie de ses mémoires, Life Undercover : Coming of Age in the CIA, Amaryllis Fox soutient que les « restaurants et les cafés sont des éléments vitaux de l’espionnage. Ils offrent l’opportunité de rencontrer les gens que l’on cherche. Parfois, ces meetings sont accidentels. La plupart du temps, ils sont élaborés pour ressembler à un accident. » Lindsay Moran, autre ancienne de Langley, renchérit dans Blowing My Cover : My Life as a CIA Spy : « Quand vous recrutez un agent étranger, vous vous organisez pour manger avec lui ou prendre un verre. (…) Typiquement, vous choisissez un endroit où vous n’aurez pas à croiser des connaissances de votre cible – comme un restaurant loin de son lieu de travail – à un horaire où il n’y a pas trop de monde. La meilleure table est généralement celle près des sorties de secours. »

Certaines adresses ont acquis avec le temps une indéboulonnable aura comme l’Aragvi, restaurant ouvert à Moscou en 1938 proposant une cuisine géorgienne à même de séduire le palais de Béria. Le chef de la police secrète stalinienne aurait, selon la légende, agencé lui-même les lieux fréquentés par le gratin de la capitale ; stars du cinéma, cosmonautes, membres du NKVD, champions d’échecs ou agents doubles (dont Kim Philby). Un vétéran du KGB, Yury Kobaladze, assurait que toutes les tables étaient sur écoute. Aujourd’hui, ce sont les chaînes de fast-food qui ont plus la cote : ils sont ouverts plus tard et facilement identifiables. Fox cite un instructeur de la CIA qui expliquait comment communiquer à l’aide de cartes cadeaux Starbucks : « Chaque élève en recevait une et n’avait qu’à acheter un café pour rentrer en contact avec l’instructeur. Lui surveillait sur un ordinateur le solde de toutes les cartes – discrètes car non nominatives – et quand une était vide, il savait qu’il allait avoir un rendez-vous. »

Faire passer un message à travers de la bouffe, c’est aussi le choix de Jonathan Toebbe. Cet ingénieur nucléaire de 42 ans, marié et père de deux enfants, n’a pourtant reçu aucune formation d’espion. À l’hiver 2020, les autorités américaines sont informées par une puissance étrangère que Toebbe, habilité top secret par le Pentagone, tente de monnayer des secrets concernant les moteurs des sous-marins atomiques de l’US Navy. Pour choper l’employé en pleine défection, un agent du FBI se fait passer pour un intermédiaire et, après moult négociations, parvient à arranger une première livraison de dossiers contre un virement de 10 000 dollars en cryptomonnaie. Toebbe s’exécute et glisse une carte mémoire de 16 gigabits entre deux tranches de pain d’un sandwich au beurre de cacahuètes, selon des documents juridiques obtenus par l’agence AP.

Deux autres transactions ont lieu (pour la dernière, Toebbe utilise même un paquet de chewing-gum) avant que le FBI ne l’arrête le 9 octobre dernier. Inculpé d’espionnage, il attend son procès en prison et risque la perpétuité. L’histoire rocambolesque de Toebbe a depuis fait le tour du monde. Probablement parce que le décalage entre le sandwich au beurre de cacahuètes, grand classique de la gamelle de l’écolier américain, et les plans secrets escamotés donne à ce fait divers une dimension humoristique. Ça serait oublié toutes ses années ou cuisine et espionnage ont fait si bon ménage. Dans Les Petits plats de l’histoire, Jean Vitaux insiste sur le lien particulier qui les unit, rappelant notamment que les fraises que nous mangeons aujourd’hui sont toutes issues de plants rapportés du Chili au début du XVIIIe siècle par Amédée François Frézier, espion envoyé par la couronne de France pour observer les installations espagnoles sur place plus que la flore locale. On ne lui en tiendra pas rigueur.

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