Si on vous demande ce qu’est un faussaire, il y a de fortes chances que vous ayez quelques images en tête : un imposteur qui peint de faux tableaux de maîtres ou encore Léonardo Di Caprio qui signe de faux chèques dans Arrête-moi si tu peux… En l’occurrence, pour Chris*, le pinceau ce n’est pas son truc mais il a un point commun avec tous ceux qui partagent sa profession : il sait tromper son monde. Lui, c’est le gars que vous venez trouver lorsque vous avez besoin d’un faux document administratif plus vrai que nature. Mais contrairement à ce qu’on pourrait s’imaginer de la part d’un faussaire, l’essentiel n’est pas de créer une réplique parfaite. Pour le temps passé sur chaque document cela ne serait pas rentable car il suffit d’en faire juste assez pour être crédible.
Comme lorsqu’on était tenté de signer une fausse dispense de sport à l’école, le premier faux que Chris a fabriqué était pour lui-même : un rapport de discipline afin de cacher une bêtise à sa mère. Puis, il est monté au niveau supérieur en s’apercevant qu’il pouvait gagner de l’argent grâce à ses talents particuliers. Ses clients sont souvent des étudiants et des jeunes adultes, bloqués dans leurs démarches, à cause d’un bout de papier. Pour eux, il fournit tout ce qu’il faut, de la convention de stage jusqu’au faux diplôme.
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Aujourd’hui, même s’il a un travail respectable, il lui arrive de prendre des « contrats ». Pour le délit de faux et usage de faux, il risque jusqu’à 3 ans de prison, 45.000 euros d’amende et surtout la possibilité de voir tous ses efforts pour sortir de la délinquance être réduits à néant. L’idée de parler de son petit business à VICE ne lui plaisait donc pas trop au début. C’est avec l’assurance que je ne sois pas une balance que l’on s’est retrouvé un après-midi, à Paris, pour parler de sa vie parallèle.
VICE : Pour quelles raisons tu as commencé à falsifier des documents ?Chris : J’ai commencé lorsque j’étais en classe de 5ème au collège. C’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser à l’informatique, je voulais devenir game designer. À l’époque, j’avais réussi à cracker une version de Photoshop et je me suis entraîné sur ça parce que je voulais sécher les cours sans me faire griller. J’étais dans le trafic de drogue à l’époque, j’étais mule, je connaissais un peu tout le monde dans les cités d’Île-de-France. Quand ils ont su ce que je faisais, j’ai commencé à fabriquer des faux pour les autres.
**Tu fabriques quel genre de document et comment tu t’assures qu’on ne te dénoncera pas ?
**Je traite toujours avec des gens que je connais, ça peut être des connaissances de l’époque où j’étais dans le trafic, des amis ou bien des amis d’amis. La règle de base c’est qu’on ne balance pas les noms. Si quelqu’un se fait chopper et interroger, il dit qu’il s’est procuré un faux mais qu’il ne connaît pas le nom du faussaire et basta. Tous mes échanges sont sécurisés par divers protocoles et après avoir fini mon travail, je l’efface toujours. Si un jour les “schmitt” viennent me voir, ils n’auront aucune preuve contre moi. De toute manière je ne fais que les petits documents comme les diplômes par exemple, pour éviter ce genre de problème.
**Un diplôme ce n’est pas un gros document ?
**Non, un gros document c’est un casier judiciaire, un contrat de travail ou de location. L’impact juridique n’est pas le même, parce que ce sont des papiers qui sont très surveillés et les conséquences qui viennent avec leur falsification sera totalement différent. Un brevet n’a pas la même valeur qu’un doctorat par exemple.
« Je lui ai falsifié un diplôme de Master de Nanterre, Master Management. Aujourd’hui il est chef de projet dans une entreprise de l’énergie cotée en bourse. »
**En général, comment les gens t’approchent ?
**La plupart du temps, ce sont eux qui viennent me voir mais ça peut m’arriver de proposer mes services. Je connaissais un mec qui cherchait désespérément un emploi après un BTS marketing. Il me faisait de la peine et surtout il avait de l’argent. Je lui ai falsifié un diplôme de Master de Nanterre, Master Management. Pour les références de stages qui permettent de valider le diplôme je lui ai dit d’inscrire plusieurs références sur son CV avec mes coordonnées, un numéro lycamobile, au cas où le recruteur appelle. Aujourd’hui il est chef de projet dans une entreprise de l’énergie cotée en bourse.
**Ça t’est arrivé d’avoir des commandes inhabituelles ?
**Un jour j’ai fabriqué un brevet des collèges. Ça a l’air anodin dit comme ça mais c’était pour un Soudanais débarqué en France. Il demandait la nationalité française et pour ça il faut passer le TCF (Test de Connaissance du français) et valider un niveau de langue B1. Sauf que tu n’es pas obligé de passer ce test si tu peux attester d’un diplôme de niveau 5 comme le brevet des collèges. Ça lui a évité de passer le test.
**Tu pratiques quel tarif en comparaison à ce que peuvent proposer des faussaires sur le Darknet ?
**Aucune comparaison n’est possible, eux, ils se font payer en Bitcoin. Moi comme je travaille au bouche à oreille, je prends du cash. Il n’y a pas de prix fixe, tout dépend de ce que le client est prêt à mettre sur la table pour que je l’aide et la difficulté de ce qu’on me demande. Pour le brevet, c’était 200 euros et pour le Master 2 de Nanterre c’était 1700 euros. Pour un diplôme universitaire, il faut récupérer le tampon de l’académie, la signature du recteur de l’académie et du président de la fac, c’est très compliqué. Il y a aussi tous les arrêtés sur lesquels se basent les universités pour délivrer leur diplôme et un numéro d’immatriculation unique en bas de chaque diplôme délivré. Un jour j’ai failli me faire piéger. J’avais fabriqué un diplôme sans me rendre compte que le président de l’université avait changé entre temps ! J’ai dû tout refaire en cherchant le bon modèle de diplôme avec la bonne signature.
**Tu ne fabriques donc pas tes faux papiers à partir de rien, il te faut quand même des modèles.
**Bien sûr. C’est la technique de base de la falsification, je fais jouer mon réseau personnel. On connaît tous le frère de la tante d’un pote qui a fait HEC. Je demande un scan du diplôme par l’intermédiaire de quelqu’un. Souvent pour me justifier, je prétends que c’est pour un projet photo ou bien un mémoire de recherche sur les diplômes et ça passe. Si je ne trouve rien autour de moi je trouve ce que je cherche sur Internet. Il y a plein de personnes qui pour justifier d’une compétence, affiche leur diplômes comme par exemple les coachs sportifs, les bijoutiers… Mon ami c’est très bien que tu aies fais un CAP pâtisserie, mais le laisse pas sur Internet comme ça !
**Les gens ne se méfient pas ? Comment tu peux protéger ton diplôme ?
**Tu ne l’affiches pas, tout simplement, ou bien tu mes des watermarks partout très facilement sur Paint, pour le rendre peu ou pas falsifiable. Même s’il existe des limites à ces méthodes. Il est très facile de faire un détourage, de couper la transparence pour récupérer une copie utilisable. Quand je demande des scans de diplômes, la plupart du temps les gens ne se méfient pas. Ils sont même parfois très content de me montrer leur beau diplôme d’une grande école, ça flatte leur égo.
« Non, je fais ça principalement pour dépanner les amis, les gens de ma cité. Je fais ça à la commande, je suis pigiste si tu veux »
**Quand tu en parles ça à l’air si facile de fabriquer des faux documents. Comment les employeurs s’assurent que les diplômes sont vrais dans ce cas ?
**C’est ce qui me fait marrer, la majorité du temps ils ne vérifient pas, certains ne demandent même pas une photocopie du diplôme ! Il se contentent de lire la ligne sur ton CV. C’est facilement compréhensible. Avec le nombre de candidatures qu’ils reçoivent, c’est impossible de tout traiter. Tu imagines si ils devaient vérifier chaque candidat alors qu’ils ne sont même pas sûr de l’engager ? Ils ne peuvent pas perdre du temps avec ça, c’est une question de rentabilité et ils ne peuvent pas passer leur temps à vérifier les sources en permanence. Dans la majeure partie du temps ils se disent que le mec n’aurait aucun intérêt à mentir !
**On en revient à ce que tu me disais par rapport aux petits et gros documents. Un gros document c’est celui qui va être systématiquement vérifié par la Police par exemple ?
**La police n’est pas le premier danger auquel tu te confrontes. Le risque c’est que le recruteur découvre que tu as inscrits un faux diplôme sur ton CV par exemple. La police n’a pas le temps ni les moyens pour traquer chaque fraude, ils s’attaquent aux gros réseaux organisés. Je ne suis pas un gros poisson et c’est pour ça que je suis relativement tranquille. Je fabrique occasionnellement maintenant, je fais pas ça en permanence mais à la commande. Je suis pigiste si tu veux, un pigiste faussaire.
**Tu n’as jamais été tenté d’en faire ton travail à plein temps ?
**Non, je fais ça principalement pour dépanner les amis, les gens de ma cité. Les grosses commandes comme le diplôme payé 1700 balles, c’est très rare. Quelqu’un ne vient pas me voir toutes les semaines pour lui faire un diplôme de polytechnique. Quand tu vas tous les samedis au resto du cœur avec la daronne, tu as besoin d’argent et tu n’as pas le choix d’accepter ou refuser. Aujourd’hui j’ai un bon travail donc je n’ai pas envie de tout gâcher. Pour vivre de la falsification je devrais multiplier les commandes, prendre de l’ampleur. Ça attirerait l’attention de la Police et augmenterait les canaux par lesquels je pourrais me faire chopper.
**C’est marrant, depuis le début tu fais beaucoup de lien avec l’informatique. La plupart du temps quand on évoque les faussaires on s’imagine plutôt quelqu’un qui travaille dans un atelier que derrière un écran.
**Ce que tu décris c’était sans doute vrai il y a 20 ans mais maintenant. Si j’ai besoin de reproduire un tampon par exemple je me le fais faire chez un serrurier ou un cordonnier qui fait des tampons minute. Tant qu’ils ont leur argent ils ne se doutent de rien. Personne ne va te demander de présenter des originaux aujourd’hui, tout fonctionne à la photocopie. Aujourd’hui tu as Open Classroom pour apprendre à manipuler les logiciels , faire du montage graphique etc.
**Donc au final être un faussaire c’est la même chose qu’être graphiste ?
**Ça demande les mêmes compétences.
**Tu estimes qu’ils sont nombreux les personnes qui font la même chose que toi ?
**C’est difficile à estimer, il n’existe pas vraiment de syndicat des faussaires. Dans les organisations criminelles, dans les fours de cité (lieu de vente de drogue), chacun à un rôle précis selon ce qu’il sait faire et généralement il y en a un qui joue le rôle de faussaire de la bande. Ce dont les gens ne se rendent pas compte c’est que tu n’as pas besoin de chercher un faussaire professionnel, si tu connais quelqu’un qui se débrouille bien avec Photoshop ou en in design. On connaît tous quelqu’un de fortiche en informatique et en graphisme.
* Prénom modifié par souci d’anonymat.
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