Life

La pandémie change la nature de nos amitiés

Si certaines relations se sont brisées, d'autres, que l'on croyait terminées depuis longtemps, se sont à nouveau nouées entre deux appels virtuels.
Hannah Smothers
Brooklyn, US
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
apéro zoom
Photo via Getty 

Leah, 28 ans, et sa meilleure amie se connaissent depuis plus de dix ans. La première vit au Texas, la deuxième en Floride. Les deux États ne sont pas si différents sur le plan politique, mais Leah prenait le coronavirus très au sérieux : elle a annulé son mariage, a choisi de rester à la maison et d'éviter les lieux publics. Lorsqu'elle a remarqué que son amie en Floride continuait à fréquenter les bars, les restaurants et Disney World, elle a pris ses distances. 

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« Elle a posté une photo sur Instagram où elle était dans un bar et je me suis énervée contre elle, dit Leah. Je lui ai dit qu’elle ne devrait pas poster ce genre de choses. C’est vraiment tendre le bâton pour se faire battre. Surtout pour quelque chose d'aussi important. On ne s'est pas parlé pendant une semaine. » 

Finalement, son amie lui a expliqué qu'elle avait subi un test de dépistage des anticorps avant d'aller dans le fameux bar – une mesure qui ne la protégeait pas vraiment, ni personne d'ailleurs, contre une infection au Covid-19. Quoi qu’il en soit, il était hors de question pour elle d’arrêter de sortir. La seule façon pour Leah de maintenir cette amitié, dit-elle, était de supprimer son amie sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, elles sont toujours amies, mais évitent tout sujet de conversation qui pourrait mener à la pandémie et à leurs divergences de points de vue sur les moyens de se protéger.

Dan Gentile, 36 ans, a fini par couper complètement les ponts avec son colocataire, un ami proche avec qui il vivait depuis plus d’un an, en raison de leurs différences de comportement face à la pandémie.

« En fait, j'étais beaucoup plus prudent que lui, explique Dan. Pour lui, les règles sont faites pour être enfreintes, et avant, je trouvais ça marrant. Mais il y a une différence entre se garer à un endroit interdit et mettre son entourage volontairement en danger. » 

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Lorsque la pandémie a éclaté, la même approche ludique et libre de son ami s'est traduite par des sorties et des soirées en groupe, des choix qui, à ce moment-là, constituaient une menace pour la santé et la sécurité de Dan. Il a décidé de déménager lorsqu'il a compris que son ami ne changerait pas. 

Meghan O'Dea, 34 ans, s’est installée dans une nouvelle ville fin 2019, peu de temps avant la pandémie. Mais contrairement à Dan, elle a emménagé seule et ne connaissait personne. « Pendant les quatre mois que j'ai passés à Nashville avant le coronavirus, je n'ai pas vraiment eu le temps de construire une vie sociale, dit-elle. Puis la pandémie est arrivée et a ruiné mes chances de me faire de nouveaux amis dans cette nouvelle ville. »

Bien que les amis d'enfance de Meghan se soient au fil du temps dispersés aux quatre coins du pays, le fait de ne pas pouvoir se voir en personne les a étrangement rapprochés. « J'ai été surprise de constater à quel point la proximité géographique n'avait pas grand-chose à voir avec le degré d'intimité émotionnelle que certaines personnes dans ma vie étaient prêtes à m'offrir à ce moment-là », dit-elle. En même temps, les personnes qu'elle a rencontrées à Nashville et en ligne l’ont aussi aidée à traverser cette période difficile. La pandémie lui a montré que la proximité et la durée d'une relation ne comptent pas autant qu'elle le pensait.

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« La pandémie a réussi à rendre toutes ces relations plus comparables les unes aux autres », dit-elle. Les personnes avec lesquelles elle parle tous les jours sur Zoom sont tout aussi importantes à ses yeux que celles avec lesquelles elle échange des messages occasionnels sur Instagram.

Meghan fait aussi partie d’un club de lecture qu’un de ses amis a créé. « Nous nous sommes engagés à parler toutes les semaines ou deux du chapitre que nous avons lu, et à partir de là, nous avons commencé à parler de nos vies, dit-elle. « Ce qui m'a vraiment aidée, et je pense que c’est le meilleur aspect de tout cela, c'est qu'il est parfois très difficile d'appeler les gens, ou d’aller sur Zoom alors que vous avez déjà passé toute la journée dessus pour le travail. Mon ami a créé l'excuse parfaite pour nous permettre de rester en contact et s'assurer que l'autre va bien, sans se sentir obligé. » 

Comme Meghan, Alex Lleras, 25 ans, souligne l'importance d'avoir des communications régulières pour éviter l'angoisse qu'un « comment vas-tu » occasionnel suscite de nos jours. Ale et ses amis du lycée se retrouvent une fois par semaine sur FaceTime – le jeudi soir à 21 heures – pour boire du vin et se défouler. « Avant la pandémie, on se voyait peut-être une fois tous les deux mois, dit-elle. Il y avait toujours ce moment gênant où chacun devait récapituler ce qui s'était passé dans sa vie entre-temps. Aujourd'hui, nous sommes parfaitement à jour. Notre amitié est devenue beaucoup plus profonde. »

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Alex n'est pas la seule à s’accrocher à ses amitiés de longue date. Ellen Payne et Maren McGlashen, 29 ans toutes les deux, disent qu’elles n’avaient pas gardé un contact aussi étroit depuis leur enfance. Elles sont amies depuis la maternelle, mais parce qu’elles ont déménagé sur des côtes séparées – Ellen à Portland et Maren à New York – elles communiquaient moins régulièrement et se voyaient environ une fois par an. Au début du confinement, elles ont commencé à faire des apéros Zoom chacune de leur côté avec leurs amis et ont décidé de faire la même chose mais toutes les deux.

Comme la plupart des gens, elles ont rapidement abandonné Zoom. Depuis mars, elles sont passées à l'application de messagerie Marco Polo, où elles parlent de tout et de rien et s’échangent des vidéos marrantes. « En cas de crise, qu'il s'agisse d'une pandémie mondiale ou de problèmes personnels, les relations superficielles deviennent évidentes, dit Maren. On voit qui est vraiment là pour nous. »

Leah ignore ce que va donner son amitié désormais tumultueuse. « J'espère que ça va s'arranger avec le temps, mais je suis plutôt rancunière, dit-elle. J'ai peur de continuer à lui en vouloir, même longtemps après la pandémie. » De même, Alex n’imagine pas l’avenir au-delà de la pandémie. « C’est si étrange de penser que les appels en visio vont finir par s'arrêter, dit-elle. Je ne sais pas si nous pourrons continuer à nous réunir chaque semaine après la pandémie, mais je pense que nous sommes tous beaucoup plus proches depuis qu’elle a commencé. »

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