zone 51 ovnis France
Toutes les photos sont de Samuel Aden
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Champs de lavande et petits gris : bienvenue dans la Zone 51 française

Entre le plateau d’Albion et Valensole, cette région du sud de la France a connu son lot de phénomènes inexpliqués.

Les jeunes mariés chinois qui se font prendre en photo dans les champs de lavande de Valensole prennent des risques : il paraît que ça grouille de vipères. Mais bon. C’est beau, cette mer violette qui ondule presque à perte de vue, seulement stoppée par les premières montagnes des Alpes. Et les vipères ne sont sans doute pas la rencontre la plus traumatisante qu’on peut faire dans le coin.

En 1965, c’est dans son propre champ de lavande que Maurice Masse est tombé sur deux humanoïdes de petite taille qui faisaient des prélèvements. Une close-encounter quasi-mythique qui a attiré des médias de toute la planète et l’a fait passer pour un gogo. Cinquante ans plus tard, un petit groupe de locaux entretient son souvenir – Masse est mort en 2014 – conférences, expositions, réplique de la navette… De quoi faire de Valensole (dont l’emblème, un V d’or au milieu duquel brûle un soleil, évoque forcément la série V) une sorte de mini-Roswell français. 

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On est arrivés sur le plateau de Valensole – Alpes de Haute-Provence, 3169 habitants – à bord d’un énorme camping-car aux allures de vaisseau spatial : pare-brise panoramique, sièges futuristes tout confort, ordinateurs de bord à foison.

J’ai expliqué au couple qui nous avait récupérés au bord de la route qu’on ne venait pas pour la lavande : « de toute façon, ce n’est plus la saison », m’a répondu la femme. Pour les ovnis, c’est le mari qui s’est chargé de la réponse : « C’était des pilotes américains à bord d’avions supersoniques. D’ailleurs, ils commencent à témoigner depuis quelques années. » Un peu plus tôt à Oraison, un jeune retraité qui tuait le temps libre auquel il n’était pas encore habitué refusait de croire à ce genre d’explications dénuées de mystères. Outre Maurice Masse, il y aurait eu de nombreuses observations dans le coin. Lui n’avait jamais rien vu, mais il en avait entendu parler. « Si ça arrive si souvent à Valensole – pourquoi ici et pas ailleurs ? – c’est qu’il doit y avoir une raison… »

Pour nous, la chasse aux extraterrestres avait commencé la veille sur un autre plateau, celui d’Albion, à 70 kilomètres de là. Dans les années 1960, selon la volonté de De Gaulle, le plateau avait été choisi pour accueillir une base militaire censée accueillir vingt-sept SSBS S2 dotés d’ogives MR 31 : des missiles nucléaires sol-sol balistiques stratégiques, histoire de montrer au reste du monde que la France était bien une grande puissance qui devait être prise au sérieux par les États-Unis et la Russie soviétique. Seuls dix-huit de ces missiles ont finalement été installés et la base a changé de fonction au tournant du siècle : le terrain (pixellisé sur Google Maps) accueille aujourd’hui des légionnaires qui refusent qu’on les photographie et une station d’écoute de la DGSE – un champ d’immenses paraboles blanches. Le site accueille aussi le radar GRAVES (grand réseau adapté à la veille spatiale), dont on apprend sur Wikipédia qu’il a coûté 30 millions d’euros et a déjà détecté un paquet de satellites espions, américains et chinois – les couples en voyage de noce n’étant donc pas les seuls à s’intéresser à la région. 

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À l’époque où des caisses de plutonium dormaient dans le sol calcaire du plateau, il se serait passé plein de choses étranges sur la base – mais l’étrangeté ne fait-elle pas partie du quotidien, quand votre métier consiste à protéger un arsenal 180 fois plus puissant que Little Boy, la bombe larguée par les Américains sur Hiroshima en 1945 ?

En ligne, on trouve plein de récits sur les événements perturbants qui ont valu à Albion son surnom de Zone 51 française (la base secrète américaine où les engins et les cadavres extraterrestres récupérés à Roswell auraient été étudiés). Certaines nuits, des commandos d’hommes grands et pâles auraient débarqué sur la base. Des visiteurs mystérieux à l’uniforme noir inconnu, qui faisaient flipper les chiens du cynogroupe et se faisaient livrer leurs propres rations de nourriture. On apercevait régulièrement des ovnis (aujourd’hui, on parle plutôt de PAN, phénomènes aérospatiaux non-identifiés) au-dessus des silos, ce genre de choses.

En fait, tous les sites se faisant l’écho de cette histoire partagent une tendance plus ou moins lourde au complotisme, et une même source : Jimmy Guieu. En 1992, l’ufologue et écrivain de science-fiction mort en 2000 prédisait un nouvel âge glaciaire « dans les cinquante ans ou le siècle qui vient » et s’inquiétait de « l’influence terrifiante sur l’espèce humaine » de la trilatérale, du groupe Bilderberg et du Council on Foreign Relations – des groupes d’influence mondialistes où se côtoient dirigeants et industriels. Jimmy Guieu aimait les thèses complotistes qui permettent de rendre le monde moins complexe et plus intelligible.

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Il y a une plaque dorée difficile à rater, boulevard Frédéric-Mistral, à Valensole : celle de M. Chaspoul. Conseiller général, ancien président de l’association des tabatiers français, ancien maire et accessoirement exécuteur testamentaire de Maurice Masse. C’est le nom de son association, Mémoire vivante de Valensole, qu’on retrouve au dos de la carte postale qui reconstitue la scène – de la lavande à perte de vue, deux types gris en baskets et veste zippée devant un ballon de rugby déformé censé représenter leur soucoupe. M. Chaspoul raconte volontiers l’histoire de son ami Maurice pendant que les membres de l’association préparent l’apéro de bienvenue destiné aux touristes.

« J’aurais aimé que tu voies ça, c’est la plus belle chose que j’ai jamais vue » – Maurice Masse

Le 1er juillet 1965, Maurice Masse tombe donc sur deux humanoïdes d’1m20. Quand ils s’aperçoivent de sa présence, ils pointent un tube dans sa direction, qui le paralyse. Les deux humanoïdes remontent dans leur engin et se font la malle. L’agriculteur débarque blanchâtre chez son ami bistrotier, et lui confie à contrecœur ce qui vient de lui arriver. C’est le barman qui prévient ensuite la police et lance l’engrenage. Assez vite, Maurice Masse refuse de parler de sa rencontre et demande à Chaspoul de le faire pour lui. Des télés d’un peu partout font le pèlerinage jusqu’au lieu de l’atterrissage, et la « rencontre de Valensole » devient une sorte de marronnier.

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Fabrice Drouel lui consacre même un numéro d’Affaires sensibles, en 2018. Dans l’émission, Maurice Masse passe pour un blagueur dont le canular aurait dégénéré. Certains ufologues pointent du doigt la ressemblance entre son récit et celui que Lonnie Zamora a fait de sa rencontre supposée à Socorro, l’année précédente. Mais ce que Fabrice Drouel ne sait pas, c’est que Maurice Masse a revu ses visiteurs l’année suivante. « C’est sa fille qui nous l’a dit, assurent Chaspoul et René, 16 ans au moment des faits et l’un des premiers sur les lieux. Un soir, il est rentré chez lui, tout pâle. » Maurice Masse venait de voir la navette survoler son champ. Il aurait dit à sa femme : « J’aurais aimé que tu voies ça, c’est la plus belle chose que j’ai jamais vue ».

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Pour les proches de l’agriculteur, la sincérité de son propos ne fait aucun doute : Maurice Masse a vécu un truc étrange. Mais Chaspoul, dans son bric-à-brac tout à la gloire de Valensole, fait douter. Et si la rencontre n’était qu’une manière de plus d’attirer l’attention sur son village ?

La lavande, c’est rincé : trop cher. On fait des parfums de synthèse maintenant. Les ovnis en revanche, ça a du potentiel. Le genre de trucs facilement partageable sur les réseaux sociaux, l’attraction qui vous garantit d’apparaître dans les guides et de vous hisser au rang de curiosité touristique : « si vous êtes dans la région, ne manquez pas… ». Ça marche en Australie et aux États-Unis, pourquoi pas ici ? 

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« Mon frère aussi en a vu un, dans les années 1980 » – René, habitant de Valensole

Pour René c’est différent. Ce grand randonneur se souvient que les appelés d’Albion lui parlaient des ovnis qui survolaient les silos à missiles, quand ceux-ci étaient ouverts. La hiérarchie leur avait demandé de ne pas en parler. Pour René, Cadarache, à 32 kilomètres au sud-ouest, et les autres sites nucléaires sont surveillés – des allégations abondamment partagées par les sites ufologiques – soit parce que les extraterrestres craignent le nucléaire, soit parce que la Terre leur appartient. Puis, il finit par lâcher : « Mon frère aussi en a vu un, dans les années 1980. » C’était la nuit, un engin a décollé depuis le champ, mais il n’a rien dit : « il ne voulait pas avoir les mêmes problèmes que Maurice Masse. »

Le frère lâche le morceau des années plus tard au volant de son tracteur, quand René lui demande pourquoi, depuis des années, rien ne pousse sur une partie du champ qu’ils sont en train de labourer. Un jour, René emmène même « un ingénieur français de la NASA à la retraite » dans le champ du frère. De loin, l’expert devine où se trouve la porte d’entrée du cabanon : les extraterrestres atterrissent toujours face aux portes, explique-t-il.

Sur les indications de René, on a quitté le village vers le nord-ouest : deux kilomètres à pied vers le quartier de l’Olivol et le champ où a eu lieu la rencontre. René croyait savoir qu’il y avait des inscriptions dans le mazet en ruines, mais on n’a rien trouvé. On a monté nos tentes à l’abri d’un mur en partie effondré, fait cuire un peu de riz en imaginant ce qu’avait vu Maurice Masse – la thèse du canular étant exclue. En combinant une suite improbable de hasards, on a échafaudé le scénario suivant : déshydraté, Maurice Masse a été victime d’une hallucination. Il a marché en direction des formes qu’il voyait devant lui, quand un lumbago (il travaillait le sol) l’a immobilisé… Une manière pas franchement convaincante d’expliquer la rencontre.

J’imagine qu’on ne saura jamais ce qu’a vu Maurice Masse, et ça n’a finalement pas tant d’importance. Et si son histoire reste fascinante si longtemps après, c’est peut-être avant tout pour son anti-climax : Valensole, ou l’histoire d’un mec qui a rencontré des extraterrestres et qui n’a pas changé. De 1965 à sa mort, l’agriculteur a subi les visites de curieux, journalistes, ufologues, enquêteurs… auxquels il répétait inlassablement la même chose : « J’aurais préféré qu’il ne m’arrive rien ».

Cet article est extrait de Grand Wild #3 : Les rêves américains, en précommande ici.

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