La consommation de drogues, dont le cannabis, est encore un sujet tabou en Belgique, même dans un cadre médical. Aux Pays-Bas, depuis 2003, on peut acheter, sur prescription médicale, du cannabis comme co-médication en tant qu’analgésique. Plus de 20 autres pays européens ont suivi l’exemple et ont légalisé le cannabis ou des médicaments à base de cannabis.
En Belgique, on esquive la question et l’utilisation et la possession de cannabis restent illégales, quelque soit le motif. En 2003, un premier pas vers la dépénalisation a été entrepris mais depuis, peu de choses ont bougé.
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Actuellement, seul un nombre restreint de personnes peut légalement consommer des produits à base de cannabis en Belgique. Depuis 2015, un seul médicament à base de cannabis peut être délivré sous ordonnance : le Sativex, qui contient à la fois du THC et du CBD et qui, sous certaines conditions, peut être prescrit aux patient·es atteint·es de sclérose en plaques. L’huile de cannabis (à base de CBD) est également disponible sur ordonnance depuis l’été dernier, principalement pour les personnes atteintes de SLA, de SEP ou d’épilepsie.
Certaines études montrent que le CBD (cannabidiol) a des effets positifs notamment sur les troubles liés à l’anxiété, les symptômes psychotiques, les crises de panique ou l’insomnie mais on en sait encore très peu sur les éventuels bienfaits du cannabis en général sur la santé mentale. En 2019, une méta-étude à grande échelle a examiné les résultats de 40 ans de recherche sur les effets des cannabinoïdes sur la santé mentale et a démontré qu’il n’y a pas encore suffisamment de preuves scientifiques pour affirmer que le cannabis peut résoudre les problèmes de santé mentale.
En gros, ça ne veut pas dire que le cannabis n’aide pas contre les troubles mentaux – ça signifie simplement que les recherches n’ont pas encore été suffisamment poussées pour pouvoir en juger.
Le simple fait que vous connaissiez quelqu’un pour qui les bienfaits du cannabis sur la santé mentale sont avérés ne veut pas nécessairement dire que ce sera pareil pour tout le monde. Cela dit, ça peut constituer des pistes intéressantes pour la science.
Quatre consommateur·ices nous ont parlé de leur consommation de cannabis et comment elle impacte leur santé mentale.
Alice (22 ans)
« Ces temps-ci, je consomme du CBD vu que c’est légal, alors qu’avant c’était plutôt du THC. Je fais des insomnies depuis que j’ai 13 ans parce que j’ai trop de pensées dans ma tête. J’ai eu beaucoup de problèmes tout au long de ma vie à cause de ça ; j’étais tout le temps fatiguée, je pouvais pas fonctionner normalement.
Depuis que je fume du CBD, je n’ai plus aucun problème pour m’endormir. Ça calme mes pensées et ça les ralentit. Elles sont moins névrotiques et j’y prête moins attention.
J’ai commencé à consommer alors que j’étais en dépression et qu’on m’avait conseillé de prendre des antidépresseurs. J’avais refusé parce que j’ai des antécédents de toxicomanie dans ma famille. Avant de commencer le CBD, je n’avais plus ressenti de bonheur depuis plusieurs mois. La première fois que j’en ai fumé, c’était un peu par hasard, chez un ami. J’ai ressenti un tel soulagement que j’ai enfin réussi à rire et à dormir.
« Ma thérapeute est plutôt réticente au fait que je choisisse le cannabis plutôt que les antidépresseurs, mais ça fonctionne mieux que tous les médicaments que j’ai déjà essayé. »
J’ai souffert de graves crises de panique. Ça pouvait durer des heures et je ne pouvais pas m’en défaire. Quand j’ai commencé à consommer, j’arrivais à juste les laisser passer. Et si ça durait trop longtemps, je fumais et ça passait.
Ma thérapeute est plutôt réticente au fait que je choisisse le cannabis plutôt que les antidépresseurs, mais ça fonctionne mieux que tous les médicaments que j’ai déjà essayé.
Mes ami·es proches comprennent. Mais à mon travail, j’ai remarqué à quel point c’est tabou. Dans mon contrat, il y a une page entière consacrée au fait qu’on a le droit de m’envoyer dans un centre de désintoxication si je prends de la drogue. Je trouve ça absurde que mon employeur ait le droit de décider d’une chose pareille alors que ma consommation de cannabis améliore ma santé mentale et que je fonctionne mieux comme ça.
On manque d’infos à ce sujet. Il existe des bases de données spécifiques, mais on ne peut y avoir accès que par l’intermédiaire d’universités ou autre. Je pense que tout le monde devrait pouvoir accéder à ces recherches et à leurs résultats. Sinon, c’est impossible d’être bien informé·e.
Le rapport au cannabis doit changer. Trop de gens en ont peur alors que c’est juste une plante. J’en ai moi-même cultivé, et ça m’a amené à mieux la comprendre et mieux sentir tout son processus. »
Sem (29 ans)
« Je consomme du cannabis surtout parce que je me sens vite surexcité et que la weed contribue à me réguler, à me calmer un peu.
Quand je suis à la maison, je fume pour me détendre. Le fait que je n’arrive pas à canaliser mon énergie rend les choses parfois difficiles pour mon entourage. Quand je fume un joint, je redeviens plus conscient de moi-même.
J’ai toujours été contre la prise régulière de médicaments, même pendant ma mammectomie. J’ai crois davantage aux remèdes homéopathiques. On se ruine pour des médicaments qui ne fonctionnent pas donc je fais davantage confiance aux drogues comme le cannabis qu’au secteur pharmaceutique.
« On se ruine pour des médicaments qui ne fonctionnent pas donc je fais davantage confiance aux drogues comme le cannabis qu’au secteur pharmaceutique. »
La plupart des gens de mon entourage voient d’un bon oeil ma consommation. À Gand les gens sont assez ouverts d’esprit, mais il y en a encore beaucoup qui, même à mon âge, trouvent la consommation de cannabis problématique.
La consommation de drogues en général est encore tabou en Belgique. Aux Pays-Bas par exemple, c’est beaucoup plus avancé, il y a plus de contrôle et plus d’informations. En soi, si quelque chose est prohibé, on aura tendance à braver l’interdit. Il faudrait évidemment pas aller trop loin, mais avoir des coffees dans les grandes villes pourrait être utile. Au moins, on a des shops de CBD qui apparaissent un peu partout et qui ouvrent le débat.
Après avoir essayé pour la première fois, j’ai voulu savoir ce que je mettais dans mon corps. Je voulais choper des infos sur les possibles effets secondaires, mais il en existe très peu d’officielles et fiables. Il n’y a pas assez de campagnes à ce niveau. À l’école aussi, on parle très peu de la consommation de drogue à part pour vous faire peur et aborder pour les aspects négatifs. »
Marie (24 ans)
« Je fume des cigarettes et de l’herbe. J’ai commencé à fumer du cannabis avec des ami·es. J’ai l’impression que je me focalise moins sur mes problèmes, que je les gère mieux et que j’en paie moins les conséquences, même si cette distance peut bien sûr aussi être négative dans certaines situations.
La CDB et le THC ont chacun leur propre manière de fonctionner. Le THC permet à ma créativité de s’exprimer davantage et à mes pensées de s’ouvrir, ce qui peut être agréable quand on écrit, par exemple. Le CBD me relaxe et agit chez moi comme un antidépresseur. Ça adoucit les choses.
Le tabou autour de la consommation de cannabis, c’est culturel. Dans les années 1970 et 1980, une grande campagne anti-marijuana a été menée aux États-Unis et dans d’autres pays. La campagne avait une connotation très raciste. Les menaces sous-jacentes des conséquences comme la folie, la paresse ou l’addiction n’ont pas bougé depuis. On doit démystifier tout ça. Je pense que le meilleur modèle n’est pas encore en place et que chaque pays doit, aujourd’hui, estimer ce qui est le mieux pour lui.
J’ai beaucoup lu sur le sujet à l’époque où j’ai commencé à fumer, j’étais vraiment curieuse des potentiels dangers et des composants du cannabis.
« Il y a pas mal d’infos en ligne si vous savez où chercher, mais offline, il y a un gros manque. Je pense que ça peut être dû à la culture, au gouvernement qui ne fait rien et à la méfiance de la population. »
Il y a pas mal d’infos en ligne si vous savez où chercher, mais offline, il y a un gros manque. Je pense que ça peut être dû à la culture, au gouvernement qui ne fait rien et à la méfiance de la population. On a toujours un sentiment étrange quand on marche dans la rue pour choper cette herbe considérée illégale.
Il y a aussi des aspects négatifs, bien sûr. Avec le CBD, l’utilisation peut vous fatiguer ou vous rendre mou, ce qui n’est pas sans risques. Le THC peut également provoquer une psychose, ce qui m’est déjà arrivé.
Le cannabis est une plante pleine de contradictions, car elle contient deux substances qui se contrebalancent. Les médicaments que l’on m’a donnés lors de mon séjour à l’hôpital me faisaient dormir 14 heures par jour et le reste du temps, je marchais dans les couloirs comme une zombie. La stigmatisation et la position du corps médical sont disproportionnées et beaucoup plus problématiques que la consommation en elle-même. C’est repris dans ton dossier médical donc tu continues d’être stigmatisé·e par la suite.
Je ne suis pas forcément contre les médicaments classiques, comme les antidépresseurs. Mais il y en a aussi beaucoup qui détruisent des vies. Je prends trois types de médicaments différents tous les jours et je consomme du cannabis, donc les deux peuvent être compatibles. Trop peu de recherches ont été faites à ce sujet, donc on ne peut pas doser les deux parfaitement. À cause de tout ce tabou et de la culture oppressive qui l’entoure, les chercheur·ses ne peuvent pas obtenir des échantillons de cannabis de qualité pour faire des recherches. Espérons qu’il y ait un changement pour assurer une meilleur corrélation. »
Sofie (29 ans)
« Je consomme du cannabis pour lutter contre mes anxiétés. Ça a commencé en soirées, parce que je souffre de phobie sociale et j’ai remarqué que ça m’aidait mieux que l’alcool. Avec l’alcool, je perds le contrôle ; pas avec le cannabis.
J’en fume aussi quand j’ai un blocage créatif. Ça m’amène à regarder un film d’une autre manière par exemple, et ça détend un peu tout. J’en fume aussi quand j’ai mes phases dépressives, mais je ne le recommanderais pas car ça m’a en partie empêché d’aller chercher une aide professionnelle, vu que je me contentais de me traiter de cette manière
Je préfère le cannabis à la médecine classique. Je sais que certains médicaments aident, mais par expérience, via mes ami·es, j’ai remarqué qu’on se tourne très facilement vers les produits assez lourds comme le Xanax, qui ont beaucoup d’effets secondaires. J’en ai tiré mes leçons.
C’est fou de se dire qu’on peut légalement avoir accès à des choses beaucoup plus nocives que le cannabis. Le combat contre la drogue a un grand impact sur la perception qu’on en a dans la société. J’ai pas besoin d’antidépresseurs. Le cannabis, c’est le moyen le plus doux que j’ai pour me réguler.
« C’est fou de se dire qu’on peut légalement avoir accès à des choses beaucoup plus nocives que le cannabis. »
Les médicaments les plus lourds de la médecine classique endorment les gens. C’est comme les faire vivre dans un statu quo, où tu deviens dépendant·e des médocs. T’es obligé·e de te résigner. Ça me frappe que les personnes souffrant de problèmes mentaux représentent une grande partie des malades de longue durée. On les pousse constamment à être plus productif·ves. C’est contradictoire.
C’est important de se créer un environnement sûr pour consommer. Quand j’achète du cannabis, on ne me donne aucune info alors qu’il existe de grandes différences entre les différentes sortes. Un autre problème, c’est que les magasins ne connaissent souvent pas les proportions de THC et de CBD dans le cannabis qu’ils vendent. Je vais souvent chercher des informations sur Leafly, mais la responsabilité n’incombe pas seulement aux utilisateur·ices, mais aussi à la personne qui offre le service. Vous devez informer les gens sur ce que vous vendez. Si on veut légaliser l’herbe en Belgique, c’est très important de prendre en compte ces questions. Sur les bières par exemple, on marque le pourcentage d’alcool et les ingrédients utilisés. »
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