Drogue

Ce que les mamans de dealers ont à dire

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« Ce n’est pas la vie que j’attendais pour lui, mais c’est celle que la société lui a donné », entame Assa, 68 ans, mère au foyer et résidante à Lille, dans un quartier où le deal s’est installé depuis des années. Sous son foulard, des milliers de pensées lui malmènent l’esprit, toutes liées à la situation de son fils, dealer depuis ses 13 ans. Comme elle, Fatima, 70 ans, porte également le poids des activités de son fils, dealer dans le même quartier de Lille. Mères de dealers, elles racontent la difficulté de leur quotidien.

« Moi, je n’en savais rien, Samir glissait des billets dans mon portefeuille »

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À Lille, dans sa petite tour HLM, la famille d’Assa baigne dans la précarité depuis des générations. « D’aussi loin que je me souvienne, on n’a jamais connu de moment de répit, malgré des efforts constants, quotidiens », soupire Assa. Sur la table de cuisine, dans un coin de son salon, une montagne de factures s’amoncelle, et noie le meuble déjà branlant. D’un geste, la mère de famille les désigne sans un regard. « Tout ça, la pauvreté, les factures, les impayés… Je sais que c’est ce qui a poussé mon fils dans les bras du trafic, et ça me brise le coeur », murmure Assa, les yeux embrumés de larmes. Son fils Samir* tombe dans le trafic à l’adolescence, aux alentours de ses 12 ans. « À cet âge, les flics les soupçonnent moins », souligne la maman, « moi, je n’en savais rien, Samir glissait des billets dans mon portefeuille, mais je me rendais bien compte qu’il y avait de l’argent en plus en faisant les comptes ». 

Une main sur son épaule, Samir dépose un baiser plein de tendresse sur la joue de sa mère. Il la sait inquiète, et confesse sa tristesse, démuni. « Quand on est à ce point au fond du trou financièrement, et qu’on ne sait rien faire d’autre, sortir du deal c’est compliqué », soupire le jeune homme.

« Le matin, il dort, et le soir, il deal »

Ce quotidien que peu de mères envient, Fatima, également mère d’un jeune dealer dans le même quartier de Lille, le vit à contrecœur. Chez Fatima, l’angoisse prend racine dans ses histoires de famille. C’est là que son fils entre dans le monde du trafic de drogue, à son grand damn. Dans le salon de son HLM, elle revient sur ce parcours emprunt de déceptions et d’obstacles.

« Le matin, il dort, et le soir, il deal », relate Fatima. Chaque jour constitue une rengaine amère pour la mère de famille, qui rêve d’un avenir meilleur pour son fils aîné. « Quand son père est parti et m’a laissée avec des dettes énormes, Elias* a voulu, je pense, prendre la charge des devoirs de son père sur ses épaules d’adolescent, et s’est tourné vers le trafic », regrette la maman, un coup d’oeil désolée vers son fils. 

Au petit matin, Fatima aurait souhaité pouvoir préparer un petit déjeuner à son fils, qu’elle rêve d’être étudiant et en route vers de beaux horizons, loin du quartier. Au lieu de ça, c’est l’inquiétude qui la réveille plusieurs fois par nuit, craignant une nouvelle interpellation de son fils, l’arrivée brutale de la police dans son logement social, ou l’expulsion de celui-ci, tout bonnement. « Personne ne peut imaginer ma douleur, mes peurs, l’angoisse constante de voir mon fils dans ce pétrin », appuie Fatima. L’anxiété se lit dans les traits de son visage marqué par la fatigue, et se devine dans ses soupirs réguliers. Adossé au mur, un regard posé sur sa mère, Elias esquisse un mouvement de manche, comme pour essuyer une larme montante. « Je veux rendre ma mère fière, c’est horrible de se dire que je n’y arriverai jamais, mais j’ai pas le choix, je peux rien faire d’autre, c’est trop tard », martèle-t-il soudainement. « Vous voyez ? C’est terrible, il a voulu nous aider, et maintenant on en est là », rétorque Fatima, « la peur me bouffe, et la honte le ronge, c’est pas une vie ». 

Pour 600 euros par mois en moyenne, Elias et Samir passent sept jours sur sept à jouer les petites mains du deal, principalement l’après-midi et jusque tard dans la nuit. Tous deux connus des services de police, ils ont d’ores et déjà passé des nuits en garde à vue, et un séjour en prison chacun.

« Mon coeur de mère saigne, ma voix accuse les politiques »

À l’évocation des risques pris par son fils et des injustices subies, Assa passe de la peur à la colère, et libère une parole engagée, teintée de politique. « Il n’y a pas de pitié pour les gens comme nous, personne n’essaie de nous aider, on nous enfonce à la moindre occasion. Si Samir repart en prison, pour moi c’est la fin, je n’aurai définitivement plus rien pour tenir », déplore la mère de famille, à bout de nerfs, « tous les jours, je suis en colère, je me réveille avec la rage et je me couche épuisée par l’injustice ». 

Assa en a gros sur le cœur et dans les tripes. « C’est de la rancoeur, j’en veux à ceux qui ont imposé cette situation à nos fils », insiste-t-elle, « mon coeur de mère saigne et ma voix accuse les politiques ». Dans ce quartier de Lille, les contrôles de police se multiplient depuis quelques mois, sans que les opportunités de reconversion pour ces petites mains du deal ne se présentent. « Mon fils a le choix entre dealer et rien d’autre, ce n’est pas un choix, c’est une malédiction », soupire Assa en chiffonnant nerveusement son tablier de cuisine. Faire des études ? Son fils a bien tenté l’expérience, mais le prix du trajet en métro et des fournitures scolaires, moins les rentrées d’argent des activités de son fils ont bien failli pousser la famille à un désastre financier. « On avait déjà rien, on s’est retrouvé avec des menaces de saisies », se souvient Assa. Lorsque, honnête et à bout, Assa confie les activités de son fils à une assistante sociale, celle-ci lui aurait alors répondu : « On a toujours le choix, il aurait pu faire la manche ». « Vous vous rendez compte de la violence ? Du niveau de mépris ? C’est tout le temps comme ça, donc on finit par s’isoler, et on n’en voit plus le bout », soupire Assa. 

Petite lueur de solidarité cependant, depuis quelques années, Assa s’est liée d’amitié avec Fatima, la maman d’Elias. À 14 heures, chaque jour, les deux femmes prennent le thé ensemble, et se glissent des mots de soutien entre deux gorgées. « Elle me raccroche à la vie et à l’espoir, je me sens moins seule », lance Assa en serrant la main de son amie, arrivée en cours d’interview avec Elias, à 14h pétantes. « Toi aussi, tu es forte. Fatiguée, mais forte », répond Fatima dans un sourire, timide mais profondément emprunt de tendresse. 

Cette fatigue, le deal et la précarité ne sont pas les seuls à l’alimenter, malheureusement. Comme pour enfoncer un dernier clou douloureux, c’est le racisme qui est venu enterrer l’espoir dans la vie des deux dames et de leurs fils. 

« Le racisme a ruiné nos vies »

Toutes deux originaires du Maroc, Assa et Fatima ont vu le racisme teinter leur vie d’une couleur sombre. « Accès au logement, à l’emploi… C’est difficile, aujourd’hui en France, quand on est précaire et arabe, de se sortir de la pauvreté », déplore Assa. Un sentiment partagé par Fatima. « Ce n’est pas que nos fils n’ont pas le choix, c’est que nos perspectives ont été tellement réduites, et les obstacles tellement nombreux qu’au bout d’un moment, ils ont baissé les bras, et nous aussi », soupire Fatima en levant les yeux comme dans un regard d’excuse vers son fils ainé, posté près d’elle, « j’aurais tellement aimé que tu aies un autre avenir ». 

« Moi, un autre avenir, j’en veux bien, mais avant même que je deal, je me faisais déjà arrêter par les flics qui me soupçonnaient de dealer », se souvient Elias, « quitte à me faire arrêter, autant que j’ai de bonnes raisons, et que je ramène de l’argent à la maison, hein ». Samir acquiesce et enchaine : « Quand les institutions arrêteront d’être racistes, j’arrêterai de dealer, autant vous dire que c’est pas près d’arriver ». Assa laisse tomber son visage entre ses mains et secoue la tête. « Quand on ne peut rien faire contre son avenir parce que des gens ont décidé que vous étiez mauvais rien que par vos origines, comment voulez-vous tenir, leur donner tort en réussissant ? », pleure la mère de famille, « au bout d’un moment, vous vous dites que les histoires de réussites face aux obstacles comme les nôtres, ce sont des contes mensongers, que ça ne nous arrivera jamais, et c’est douloureux. C’est une immense douleur, constante ». 

Les deux familles sont aujourd’hui accompagnées dans l’élaboration d’un dossier de surendettement, qui devrait pouvoir alléger le poids financier de leurs dettes. Toutefois, sans alternatives immédiates, les deux hommes continuent leurs petits trafics, au grand damn de leurs mères. 

*Les prénoms ont été modifiés.

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