Ce qui se raconte dans les parloirs des prisons françaises

Les parloirs sont des moments d’évasion pour les 68 000 détenus français. Tous n’y ont pas accès, même si c’est un droit fondamental du prisonnier. Pour obtenir un parloir, il faut déposer un dossier avec une demande motivée. Et les délais pour obtenir un avis favorable varient selon le personnel disponible et le bon vouloir du juge. Certains obtiennent les permis de visite en deux jours. D’autres en revanche, patientent jusqu’à un an.

Une fois l’accord obtenu, les visiteurs doivent prendre des rendez-vous et surtout, ne pas arriver en retard, sous peine d’être refoulés à l’entrée. Les visites durent de trente minutes à deux heures, dans des boxes vitrés de chaque côté, pour que les matons puissent surveiller les détenus. Difficile d’y garder une quelconque intimité avec ses visiteurs. Mais certains surveillants ferment les yeux, notamment sur les câlins ou les rapports sexuels, en théorie interdits. Chaque année, une centaine de « bébés parloir » naissent de ces brefs moments d’intimité.

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Dans ces espaces confinés, les détenus retrouvent un semblant de vie sociale. Avec les potes, ils se tiennent au courant des tendances à l’extérieur – la musique, la mode, le cinéma – et peuvent s’évader de leur vie « à l’intérieur ». Avec la famille, ils organisent la suite et écoutent précieusement les dernières nouvelles. Mais tous s’interdisent de craquer, pour montrer qu’ils tiennent le coup. S’ils s’effondrent, c’est de retour dans leur cellule. Comme l’univers carcéral alimente son lot de fantasme, j’ai demandé à des anciens détenus de me raconter ces moments au parloir, indispensables pour supporter l’enfermement.

« LA GUÊPE », 47 ANS DONT 23 EN DÉTENTION, POUR VOLS

« J’ai toujours eu les autorisations, sauf la première année de mon incarcération. Le juge, pour me faire avouer, m’a privé des visites de mes enfants et de leur mère. Puis il a accordé le permis de visite, mais seulement pour ma mère. Le jour où elle est venue me voir, j’ai été transféré dans une autre prison. C’est leur petit amusement, une sorte de torture mentale, pour nous faire craquer.

Quand j’ai enfin pu voir ma mère au parloir, j’essayais de la rassurer, pour qu’elle ne sorte pas trop abattue dans cet enfer. Mais surtout, lui montrer que son fils tenait la route. Elle me donnait surtout des nouvelles de la famille. Au parloir, parfois on pleure, mais pas trop. Je m’effondrais surtout après, parce que je ne voulais pas que mes visiteurs repartent plus tristes qu’ils ne l’étaient.

Puis j’ai pu voir mes enfants et leur mère. Quand ils étaient petits, on parlait de la vie, de mon travail en prison. Sans qu’ils sachent que j’étais incarcéré. Puis au fur et à mesure, on leur a expliqué les choses. À mes gamins, je leur ai tout raconté et j’ai essayé de leur transmettre des valeurs, en leur expliquant que devenir un voleur, c’était la dernière solution. Ils n’ont jamais fait la moindre connerie. Au parloir, on discutait beaucoup de l’école et de leurs projets. Je mettais un point d’honneur à ce qu’ils ne dérapent pas comme moi. Puis on discutait aussi beaucoup des difficultés financières. Pour les faire vivre, j’ai vendu pendant plusieurs années la drogue que ma femme m’amenait au parloir. Mes enfants n’avaient rien ; il fallait payer les factures.

Je n’aime pas trop les parloirs. C’est difficile pour les détenus et leurs familles, une fois qu’on retourne dans sa cellule. J’ai toujours refusé les unités de vie familiale [UVF, créées par Elisabeth Guigou en 1996, petits appartements dans l’enceinte des prisons où les familles peuvent vivre ensemble jusqu’à 72 heures, sans la présence d’un surveillant. Aujourd’hui, sur 191 établissements pénitentiaires, 19 sont dotés d’unités de vie familiale et 9 de parloirs familiaux, N.D.L.R .]. Le retour à la solitude est trop violent. À une époque de ma vie, j’étais trop nerveux, je serais devenu fou. Pendant ma dernière peine, je ne voulais plus que la mère de mes enfants ne vienne. Il fallait bien qu’elle refasse sa vie.

Si je me comportais mal, j’étais privé de parloir. Le jour où j’ai appris au téléphone que mon frère avait le Sida, j’ai pété les plombs. J’ai coupé mon oreille et je l’ai envoyée au procureur. J’ai poursuivi les surveillants avec de l’eau bouillante et j’avais fabriqué un poignard. C’était n’importe quoi. Forcément, mon double parloir [ou parloir prolongé] a été annulé et j’ai été transféré en unité disciplinaire. J’ai été classé DPS, détenu particulièrement signalé. »

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Photo via Flickr.

ÉRIC SNIADY, 57 ANS DONT 30 EN DÉTENTION, POUR BRAQUAGES

« L’administration donne des parloirs à qui elle veut. Une fois, on m’a retiré le parloir avec un coordinateur de l’OIP [Observatoire international des prisons] dont j’étais proche, car ils médiatisaient mon cas et que j’étais un peu trop militant.

En maison centrale, l’administration accorde plus facilement les visites, car les peines sont longues. Mais elle garde ce moyen d’exercer une pression psychologique sur les détenus. Avec le juge d’instruction, qui valide ou non les demandes de parloir pour les prévenus, c’est donnant-donnant.

J’avais des parloirs avec mon épouse, ma fille, mon gendre et mes petits-enfants. Je prenais des nouvelles de la famille, on discutait de la vie quotidienne à l’extérieur et je m’intéressais beaucoup à la scolarité de ma fille. En maison centrale, mes parloirs pouvaient durer jusqu’à deux heures, prolongées l’après-midi ou le lendemain. Quand j’étais à Poissy, j’avais des parloirs tous les samedis et dimanches, quasiment toute la journée. Et il n’y avait pas de surveillant dans mon dos. Alors qu’en maison d’arrêt, on se prenait sans cesse des rapports d’incident car on n’a pas droit de se toucher.

À Fresnes, je me rappelle de traces d’excréments sur les murs des parloirs, car les jeunes font entrer de la drogue en la dissimulant dans leur anus. Ça sentait la pisse de chat, la peinture s’écaillait.

Je n’ai jamais craqué, au parloir. Mais quand la famille s’en allait, ça me mettait une boule au ventre. Quand je quittais ma fille et que je rentrais en cellule, ça m’arrivait d’avoir une larme à l’œil en me demandant ce que je foutais là. Mais on parlait aussi de mes projets d’avenir et ça m’aidait à tenir. Je passais du temps à rassurer mes proches et je cachais mon mal-être. Alors je disais que tout allait bien.

Je n’ai jamais profité des parloirs pour faire rentrer des choses en prison. Ma famille me ramenait seulement à manger : un bon sandwich, de la bonne charcuterie avec un bon vin, un petit flash de whisky ou de vodka. À la rigueur, je faisais entrer un peu d’argent, car en prison tout s’achète – même les surveillants.

Lors de ma première incarcération, en 1978, j’ai connu les hygiaphones [ les détenus étaient séparés de leurs visiteurs par des vitres en Plexiglas ]. Ils ont commencé à être supprimés vers 1985, mais existent toujours pour des détenus considérés comme dangereux. À l’époque, j’ai été choqué de me retrouver dans cette petite cabine, derrière une grande vitre. Elle était si sale que je ne distinguais même pas ma famille.

Souvent, les parloirs sont dans un sale état. À Fresnes, je me rappelle de traces d’excréments sur les murs des parloirs, car les jeunes font entrer de la drogue en la dissimulant dans leur anus. Ça sentait la pisse de chat, la peinture s’écaillait et j’avais peur de m’asseoir à cause de la saleté. Fresnes, c’est ma pire expérience de parloir. Mais j’ai connu pire, à l’époque des parloirs en salles communes. Tout autour de moi, il y avait d’autres familles et tout le monde vous entendait.

Au parloir, on ne raconte pas de choses personnelles qui pourraient nous mettre une nouvelle condamnation sur le dos. Certains détenus sont ciblés et mis sur écoute. Je connais un type qui s’est retrouvé avec une tentative d’assassinat sur le dos après une visite de son frère. Quand j’avais une chose importante à dire à ma famille, on échangeait par écrit.

L’administration pénitentiaire a tout intérêt à préserver les visites. Quand un détenu sort de là, il est apaisé. »

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MOULOUD MANSOURI, 41 ANS DONT 10 EN DÉTENTION, POUR TRAFIC DE STUPÉFIANTS

« J’ai mis un mois à obtenir des parloirs avec ma fiancée et ma mère, au début de ma détention – alors que l’administration pouvait le faire en deux jours. Là, c’était une façon de mettre la pression à toute ma famille.

Parfois, j’ai craqué et je me suis énervé. Mais jamais au point de m’effondrer devant ma famille ou ma copine. Dehors, les proches ne savent pas ce que l’on vit et il faut montrer qu’on tient le coup. Au parloir avec ma famille, je m’intéressais à ce qu’ils faisaient dehors, à leur santé. Avec ma copine, c’était plutôt des parloirs câlins voire sexuels, ce qui est théoriquement interdit. Mais c’est très courant et encore heureux ! Sinon, pour elle et pour moi, ça n’aurait pas été vivable. Maintenant, il y a les UVF, qui laissent plus d’intimité. Je n’y ai jamais eu accès, alors que ça devrait être automatique.

Avec mes frères, on discutait de mode, de musique, de cinéma, de tous les trucs qui sortaient. Quand je me retrouvais seul avec ma mère, c’est elle qui me racontait sa vie. Nous, les détenus, on n’a pas grand-chose à raconter : à l’intérieur, ça tourne en rond.

C’est grâce aux visites que je n’étais pas en décalage avec le monde extérieur. Une copine qui était venue me voir aux Baumettes, à Marseille, m’avait dit que j’étais plus au courant de la mode que les mecs du dehors. Quand je suis sorti, je connaissais toute l’actualité de la musique.

Quand j’étais incarcéré à 1 000 kilomètres de chez moi et que j’avais un seul parloir par mois, je profitais de chaque seconde. Même si dans certaines prisons, l’état désastreux des lieux ne donnait pas envie. C’était sale, petit, avec des surveillants irrespectueux de notre intimité.

On m’a retiré mes parloirs pendant plusieurs mois, parce que j’avais fait rentrer des disques, que je n’ai d’ailleurs jamais récupérés [Mouloud Mansouri organise des concerts et spectacles d’humour en prison, ainsi que des ateliers d’écriture avec son association Fu-Jo]. Le risque est grand, quand on fait passer des choses en prison. Mais il vaut mieux pour l’administration de ne pas jouer avec les parloirs. Y toucher peut faire péter une prison. »

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BERTHET ONE, 39 ANS DONT 4 EN DÉTENTION, POUR VOLS À MAIN ARMÉE

« J’avais à peine le pied en prison que toute ma famille, qui m’a beaucoup soutenu, faisait les démarches pour obtenir des visites. En dix jours, j’avais mes premiers parloirs. J’avais la chance de voir ma famille proche 2 ou 3 fois chaque semaine. Mais j’entendais les difficultés d’autres détenus.

J’ai refusé que mes amis viennent. C’était compliqué et ça aurait fait du mal à tout le monde ; j’avais peur d’être sur écoute. En plus, en prison, tu deviens parano.

Ma famille me donnait des nouvelles et je m’assurais que tout le monde allait bien. On parlait de choses tout à fait normales. Eux me racontaient leur vie et surtout, les événements auxquels je n’avais pas pu assister puisque j’étais en détention, comme l’enterrement de ma grand-mère et la naissance de mon fils. Les proches sont en quelque sorte vos témoins du monde extérieur.

Voir ma famille m’apaisait beaucoup. Je me sentais mieux, car je savais que mes proches allaient bien. Ils m’apportaient des vêtements propres, je leur donnais ma lessive. J’ai eu beaucoup de chance de les avoir. Par contre, je ne parlais pas trop de ce que je faisais à l’intérieur. Je n’avais pas envie de rajouter de l’angoisse à celle que ma mère avait déjà. Avec mes frères, par contre, on délirait à propos de choses hyper dures qui se passent en prison [que Berthet One raconte dans sa BD intitulée « L’Évasion »]. En rigoler avec eux, ça faisait passer la pilule. Quand j’expliquais à mes frangins le principe du « coffret où caler du shit » [dissimuler de la drogue dans son anus], ils hallucinaient.

Un parloir, c’est sacré. Alors je ne perdais pas de temps à pleurnicher auprès de ma famille. De toute façon, je connaissais les règles du jeu en faisant de l’argent sale grâce aux braquages. »

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JEAN-MARC, 57 ANS, DONT 8 EN DÉTENTION, POUR CAMBRIOLAGES ET DÉFAUT DE PERMIS

« Avec mes parents, on parlait beaucoup de mes conditions de détention. Ils s’inquiétaient pour moi. Mais je n’ai jamais craqué. Même quand j’avais des problèmes, je ne le montrais pas. On évoquait aussi mes projets d’avenir, ça me calmait. On arrivait quand même à rigoler aussi. En fait, c’est comme à l’extérieur, dans la vie normale.

J’attendais chaque parloir avec impatience. Parce que si l’administration pénitentiaire nous enlève ces moments, elle nous enlève tout. C’est la seule fenêtre d’évasion pour nous. Le retour en cellule est toujours difficile, car on laisse notre famille derrière. Mais le parloir sert à nous apaiser.

Et bien sûr, la famille nous maintient en contact avec le monde extérieur, même si je m’informais par les journaux et la télévision. Comme tout détenu, je faisais entrer de l’argent en prison pendant les parloirs. Ma famille m’apportait aussi du linge propre. Par contre, quand on est transféré soudainement, nos visiteurs ne sont pas avertis. Et ces situations sont très courantes.

Les conditions d’accueil des parloirs sont désastreuses. Il n’y a pas d’hygiène, aucun respect pour les familles. Tout est dans un état lamentable. Quand je recevais mes visiteurs dans des parloirs crasseux, je sentais poindre la révolte en moi. L’administration investit énormément d’argent pour la surveillance des détenus, va mettre des caméras partout, mais ne va rien faire pour l’entretien des lieux. Je pense à Fresnes : c’est la pire prison que l’on puisse voir en France. »

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