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Cette usine de Shanghai remplace tous ses employés par des robots

Des centaines de machines vrombissent doucement. Des convoyeurs transportent des composants. Un chariot automatique de la taille d’un gros chien déplace du matériel sur un chemin signalé par des bandes de couleur. Ici et là, quelques personnes appuient sur des boutons, tournent des clés, utilisent des scanners portables et écrasent des cartons.

Si l’usine du Cambridge Industries Group de Shanghai semble un peu vide par rapport à une usine classique, c’est à dessein. Les deux tiers des tâches sont effectuées par des robots – ce qui est fait l’usine la plus automatisée au monde dans l’industrie électronique.

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Dans les années à venir, 90% des tâches effectuées sur le site seront effectuées par des robots, et dès que les technologies nécessaires seront disponibles, la direction compte l’automatiser à 100%. En d’autres termes, la machine aura bientôt remplacé l’humain sur l’ensemble de la chaine de production.

L’usine de Shanghai nous offre un aperçu d’un futur annoncé, et contre lequel de nombreux responsables gouvernementaux, économistes et simples citoyens nous mettent en garde. Parce que les robots industriels sont de plus en plus précis, productifs et de moins en moins onéreux, les emplois d’ouvriers et de techniciens sont amenés à disparaitre, mais également les postes de cadres. Or, un futur où la crise de l’emploi serait principalement liée à l’automatisation du travail risquerait de soulever une révolte populaire contre les dirigeants qui auraient laissé les prophéties devenir réalité.

Gerald Wong a fondé CIG en 2005. Aujourd’hui, l’entreprise dispose d’usines à Shanghai, à Hong Kong, et dans le Delaware. Elle fabrique de petits appareils électroniques : routeurs, modems, boitiers à puce, pour un large éventail de marques. Sur son site Internet, la société se vante de son « avantage concurrentiel » en matière de technologies, leadership et innovation.

Par « avantage concurrentiel », elle signifie surtout qu’elle a osé se lancer dans la grande aventure de l’automatisation totale. Dès 2014, Wong s’est employé à automatiser les uns après les autres les processus de production de CIG. L’entreprise a acheté des robots fabriqués à l’étranger, en particulier des modèles américains. La première génération était déjà obsolète au fout de six mois, nous explique Wong à l’occasion d’une visite de l’usine parrainée par la Chine-U.S. Exchange Foundation, un organisme à but non lucratif basé à Hong Kong.

CIG utilise aujourd’hui sa troisième génération de robots, et travaille déjà à implanter la quatrième, qui devrait coïncider avec une automatisation à 90%.

Rangées de robots dans l’usine CIG de Shanghai. Image : David Axe

CIG s’est entièrement réorganisé pour devenir une entreprise entièrement centrée sur l’utilisation des robots. Le travail des humains est uniquement de programmer et de gérer les robots. « Nous ne sommes pas une entreprise typique », explique Wong. « Nous programmons les robots en interne. » Ce n’est pas trop s’avancer de dire que les travailleurs qui s’occupent des robots de CIG sont les seules personnes de la société, en dehors de la direction, à être assurées de conserver leur poste dans les 10 prochaines années.

Le sol de l’usine de 8000 m² est une merveille de technologie, et de mix harmonieux entre le travail des machines et celui des humains. Durant la journée du 1 er mars, par exemple, pas moins de 49 062 routeurs et autres produits électroniques ont été produits, selon les statistiques de l’entreprise.

L’usine est en activité 24/24, ou presque. Elle fonctionne par cycles de 10 heures, chacun espacé d’une pause d’une heure. Les robots font presque tout le travail répétitif, qui consiste en des tâches de haute précision. Un bras robotisé pivotant place les puces dans les sockets avant programmation. Une machine imprime les circuits imprimés, et une autre machine réchauffe les cartes. Des perceuses trouent, des scies séparent, des bras manipulateurs trient les cartes et disposent des composants. Les bras robotiques cueillent ensuite délicatement les pièces et produits finis dans des convoyeurs. Ils seront testés, avant d’être de nombreux transportés et stockés.

Sept cents personnes travaillent ici, et gagnent environ 7000 $ par an. Mais en visitant l’usine, vous ne voyez guère que quelques dizaine d’employés répartis de ci de là. Ils se contentent de balancer de matériaux dans les imprimantes, de séparer s’emparer des produits qui s’accumulent sur les transporteurs, ou d’utiliser le scanner automatique dans le département de test.

Quelques réparateurs rôdent sur les lignes d’assemblage automatisées avec leurs outils afin de régler quelques petits dysfonctionnements. Mais la plupart du temps, les travailleurs humains se contentent d’emballer les produits, de plier des cartons et d’effectuer les opérations de finition sur les routeurs, les câbles et les adaptateurs. Ils les fourrent ensuite dans des boîtes et leur apposent une étiquette.

Sur l’un des postes consacrés à l’emballage rôde présence sinistre. Un brais robotique marron à six axes, d’un peu plus d’un mètre de long de la base à la griffe. Il s’agit d’un produit de Rethink Robotics (un laboratoire du MIT) actuellement en test au CIG. Ce nouveau bras à six axes permet des mouvements plus précis et plus souples que ceux effectués par la génération de robots industriels actuels – il pourrait bientôt remplacer l’équipe humaine chargée d’emballer les produits, une tâche qui nécessite adresse et dextérité.

Le bras robotique de l’usine de Shanghai. Image : David Axe/Motherboard

La main-d’œuvre de CIG a d’autant plus à s’inquiéter que le robot en question ne nécessite aucune programmation. Pour lui enseigner une nouvelle tâche, il vous suffit de saisir son bras et de le guider pour lui montrer tous les mouvements que vous souhaitez répliquer. Ce robot montrer une dextérité comparable à celle des humains, puisqu’il possède un équivalent des articulations de l’épaule, du coude, du coude, du poignet et des doigts. C’est sans doute lui qui propulsera CIG dans l’ère de l’automatisation à plus de 90%.

Les quelques travailleurs qui s’occuperont d’enseigner les tâches au robot à six axes et de le réparer seront sans doute difficiles à remplacer. Cependant, l’automatisation totale est « l’objectif ultime » de l’entreprise explique Rose Hu, directrice du marketing de CIG. Elle ajoute cependant qu’il y a encore beaucoup d’étapes à franchir avant d’y parvenir.

Wong n’hésite pas à évoquer en quoi l’automatisation lui est profitable. L’achat et l’exploitation d’un robot de base de CIG revient à terme trois fois moins cher qu’un salaire d’employé, précise-t-il. Cependant, il insiste sur le fait que l’entreprise a le sens des responsabilité et réfléchit au coût social de sa stratégie. Nous n’en saurons pas plus à ce sujet.

Combien de personnes un seul robot peut-il remplacer ? Cao Qinghoa, qui supervise la production sur le site de Shanghai, estime qu’il est difficile de répondre avec précision avec cette question. « Beaucoup », avance-t-il. « Avant l’automatisation, les usines de produits chinoises étaient pleines à craquer. »

Tandis que l’économie chinoise se développe à vitesse grand V, les salaires ont considérablement augmenté. À Shanghai, les coûts salariaux ont gonflé de 150% depuis 2009, explique Wong a dit, et le salaire minimum a augmenté de 110%. La population éduquée est de plus en plus importante, et les attentes des jeunes travailleurs ont évolué parallèlement. « On trouve difficilement des jeunes qui accepte de faire du boulot de col bleu. »

Selon Wong, la politique de l’enfant unique (aujourd’hui abandonnée) a aggravé la pénurie de main-d’œuvre. « Le client désire une meilleure qualité, plus de flexibilité, à moindre coût », explique Wong. Pour lui, ces exigences entrainement naturellement une automatisation du travail.

En écoutant Hu et Wong décrire le travail de leurs employés, on ne tarde pas à y détecter une nuance de mépris. La plupart d’entre eux viennent d’un milieu rural ; or, il est désormais très difficile de vivre décemment pour un agriculteur chinois. Les ouvriers agricoles viennent donc travailler chez CIG « parce qu’ils ont besoin de cash », explique Hu.

« Ils veulent s’acheter un iPhone, des trucs comme ça », renchérit Wong, qui ajoute qu’il va régulièrement à la campagne et que « tous les paysans ont des iPhones. » Il ajoute que contrairement aux humains, « les robots ne sont pas source de problèmes. »

« S’il n’y a pas des réformes très rapidement, des révoltes vont éclater un peu partout. »

Avec une population d’un milliard et demi de personnes, la Chine pourrait rapidement se trouver dans l’embarras si la plus grande partie de la population se retrouvait soudain au chômage. Créer des emplois est donc l’une des priorités de Beijing à l’heure actuelle. Pour le gouvernement, il s’agit d’une urgence bien plus importante que le respect des droits de l’homme, la protection environnementale, le développement du pouvoir militaire ou l’influence diplomatique.

« La responsabilité des dirigeants chinois est de tirer 200 millions de Chinois de la pauvreté », déclare Eric Li, un investisseur milliardaire de Shanghai.

Si le gouvernement n’y parvient pas, il pourrait perdre sa légitimité. « S’il ne respecte pas cette promesse, il perdra son pouvoir » ajoute Li. Dans ce contexte, l’automatisation du travail est un processus très, très dangereux. « L’intelligence artificielle et la robotique sont des exemples emblématiques de tendances qui traversent la société chinoise et qui peuvent engendrer des troubles massifs. Les institutions politiques ont un travail démentiel à accomplir. « S’il n’y a pas des réformes très rapidement, des révoltes vont éclater un peu partout. »

Pour le moment, personne ne sait comment la Chine pourra faire reculer ce que Li décrit comme la « révolution tranquille » de l’automatisation industrielle. La Chine a adopté la robotique pour ses avantages à court terme en dépit des risques à long terme. « Le gouvernement soutient ce que nous faisons », conclue Wong.

La Chine vise non seulement à automatiser ses usines, mais surtout à devenir le pays qui fournira les autres en robots industriels. Avec un accès facile aux prêts gouvernementaux, les entreprises chinoises s’arrachent les entreprises de robotique étrangères et les brevets liés à l’automatisation. « Les Chinois veulent construire des robots pour le monde entier », déclare Li.

Mais que se passera-t-il lorsque le seul poste auquel les humains pourront prétendre consistera à concevoir le robot qui gère les robots faisant tourner une usine produisant plusieurs dizaines de milliers de produits par jour ? Que se passera-t-il quand il n’y a plus de travail dans l’industrie ?

Le problème ne concerne pas que la Chine, évidemment. Le monde entier doit urgemment répondre à cette question. Mais pour Wong, il n’y aura pas de retour en arrière possible une fois que l’automatisation aura pénétré tous les secteurs de l’industrie. « Notre stratégie est d’acheter des robots pour faire davantage de profit, ce qui nous permet d’acheter plus de robots. »