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Chez le collectionneur qui voulait faire de sa cave le « Louvre » du pinard

luvrul vinurilor, cel mai mare colectionar de vinuri

Du vin à voir. Ni humer, ni déguster, ni siffler. Mater les plus beaux culs de bouteilles de l’histoire de l’humanité sans faire sauter le bouchon. C’est le vœu de chasteté qui lie Michel-Jack Chasseuil à ses caves. Le commandement du collectionneur. Tu ne boiras point. Son ascétisme a fini par payer. Michel-Jack Chasseuil possède un fonds unique au monde.

Tous les alcools qui méritent d’être collectionnés reposent dans le sous-sol de la Chapelle-Bâton, au lieu-dit de Fonfolet, à une vingtaine de kilomètres de Niort dans le département des Deux-Sèvres. Un pixel sur un planisphère. Loin des grands vignobles et des métropoles où les amateurs de vins sont légion. « Ceux qui veulent visiter la plus belle cave du monde doivent venir jusqu’ici », avertit Michel-Jack Chasseuil dans son livre 100 bouteilles extraordinaires de la plus belle cave du monde (Editions Glénat, 2010).

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Le Deux-Sévriens, bientôt 80 ans, est fier de ses racines. Il vit dans la maison de ses grands-parents qui tenaient un café dans le bourg. Fils de facteur, Michel-Jack Chasseuil démarre par une collection de timbres. Viendront ensuite les pièces de monnaie et les minéraux. Initié au vin par le cercle familial et amical, il se lance dans la chasse aux grands crus dans les années 1980. En bon collectionneur, Michel-Jack Chasseuil se donne corps et âme. Et portefeuille. Il casse sa tirelire, pioche dans celle des autres. Sûr de ses coups, il peut dépenser trois mois de salaire pour un lot de 2-3 bouteilles. Les doublons servent à payer les prochains achats. La flambée des prix finance sa fièvre acheteuse.

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L’entrée sécurisée de chez Michel-Jack Chasseuil

Évacuons la question : qu’a-t-il dans sa cave ? Ou plutôt, que lui manque-t-il ? « Il ne me manque rien » achève Michel-Jack Chasseuil. Exemple avec le Château d’Yquem, « le plus rare des vins liquoreux ». « J’ai environ 500 bouteilles dans 110 millésimes différents », écrit-il dans son livre où figure le détail de sa cave. Petrus, Cheval Blanc, Coche-Dury, Margaux, Mouton-Rothschild… You name it !

« Tous les jours, on veut voir ma cave. Mais je ne reçois plus personne sinon j’y laisserais mon énergie. Quand ils y sont, ils ne veulent plus en sortir » – Michel-Jack Chasseuil

Pour accéder au sanctuaire il faut remonter les couloirs du temps. Descendre l’escalier qui donne sur la cave originelle, celle des grands-parents où le vin était entreposé en barriques. Sous les marches, une porte blindée ouvre la voie vers une seconde cave pleine à craquer. Dans l’esprit de Michel-Jack Chasseuil, cette pièce sera convertie en alcoolarium. Whisky, rhum, Chartreuse, saké et tutti quanti. « Tout le monde s’intéresse aux vins, jamais aux alcools. Ou soit l’un, soit l’autre. Moi j’achète tous les alcools, c’est ce qui fait la diversité de ma collection. » La rareté comme seule condition.

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Le mur de caisses de la cave principale.

Une fente dans un mur indique un passage vers la troisième cave. Tête baissée, buste de trois-quart, on se faufile pour mettre les pieds dans un tunnel façon blockhaus. Le couloir mène à la cave principale. Caveau devrait-on dire. Car ci-gît l’élite de de la vinification, le gotha de la distillation, sous le regard d’images pieuses et de crucifix. Des chants liturgiques sont joués de temps en temps pour rappeler qu’on entre ici dans le Saint des Saints.

L’exceptionnel y est séparé de l’excellent par une grille en fer forgé. Seules les bouteilles les plus rares ont été mises en valeur dans une cave-galerie qui fait la réputation du collectionneur. « Tous les jours, on veut voir ma cave. Je suis harcelé de lettres, de coups de téléphone. Une visite pour le fils, pour le grand-père, à l’occasion d’un mariage ou d’un anniversaire. Mais je ne reçois plus personne sinon j’y laisserais mon énergie. Quand ils sont à la cave, ils ne veulent plus en sortir », maugrée notre hôte.

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Michel-Jack Chasseuil dans le couloir qui relie ses caves.

Ce qui n’était qu’un cul-de-sac donne maintenant accès à une quatrième salle en cours de construction. Une caverne capable d’exposer 3 000 caisses d’une collection qui compterait plus de 40 000 bouteilles. « Cette cave de 50 mètres, c’est le Panthéon des vins », aguiche Michel-Jack Chasseuil. Le bunker antisismique en cours de construction abritera des joyaux dont les prix flambent d’années en années. Une bouteille de Romanée-Conti 1945 a été vendue 558 000 dollars en 2018 à New York, l’équivalent de 10 lingots d’or. Trente ans plus tôt, Michel-Jack Chasseuil en achetait deux exemplaires ainsi qu’une Romanée-Conti 1921 pour seulement 10 000 francs, soit 1 500 euros.

« Ma notoriété repose sur ma collection, comme l’or de la Banque de France garantit la monnaie » – Michel-Jack Chasseuil

Le collectionneur rêve de faire de ce nouvel écrin une attraction pour touristes fortunés. Des visiteurs du monde entier atterriraient en hélicoptère dans son jardin à raison d’une visite par semaine. Un palace de la région a été approché pour nouer un partenariat. « Je vais au bout de mes rêves », aime à dire MJC. « Le Puy du Fou ? Il y avait une charrette et quatre bonnes femmes. Saint-Tropez ? Un bateau et trois pêcheurs… Pourquoi pas La Chapelle-Bâton ? »

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Michel-Jack devant les étagères de sa future cave.

Fort en gueule, Michel-Jack Chasseuil fait parfois dans le marketing outrancier. Inlassablement, il raconte son histoire de self-made man, vante le contenu de sa cave, promeut son projet étiqueté « Louvre du Vin ». Et pourtant c’est un commercial qui n’a rien à vendre. Du moins, pas ce qu’il a de plus précieux. « Ma notoriété repose sur ma collection, comme l’or de la Banque de France garantit la monnaie », synthétise-t-il dans son livre.

Comme il n’est pas question de vendre, certains se verraient bien le dépouiller. 19 juin 2014, on sonne à la porte. Un livreur. « Bonjour Monsieur Chasseuil, j’ai un colis pour vous, signez-là je vous prie ». Pas le temps de dire « j’ai rien commandé » que le piège se referme sur le septuagénaire. Plusieurs malfrats cagoulés forcent l’entrée du garage. Commencent alors plusieurs heures de séquestration.

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Une vue générale de la cave principale.

Dans la cuisine, un gangster sort une feuille de boucher du tiroir à ustensiles. La lame rouillée menace de couper un trio de phalanges. Démonstration de force inutile face à la détermination de l’otage. Michel-Jack Chasseuil se dit prêt à mourir pour sauver sa cave. Ligoté et frappé, Michel-Jack Chasseuil tient tête à ses agresseurs. La clef pour accéder à la cave est à la banque, clame la victime. Las, le gang venu du nord de la France repartira presque bredouille. Seules quelques bouteilles issues de son vignoble bordelais (Feytit Clinet, Pomerol) ainsi que sa voiture BMW manquent à l’inventaire. Devant nous, Michel-Jack Chasseuil rejoue les scènes et en plaisante. Il n’en veut pas à ses bourreaux, « ils n’étaient pas là pour moi ».

« Malgré mon admiration et mon respect pour lui, je ne peux pas adhérer à son projet » – Aubert de Villaine, co-gérant du domaine de la Romanée-Conti

Les vrais ennemis n’avancent pas masqués. Les moqueurs, les jaloux, les politiques restés sourds à ses ambitions muséographiques. La liste s’allonge au fil des ans. « Je me suis refermé un peu sur moi-même depuis quelque temps parce qu’au fur et à mesure que ma notoriété grandissait j’étais de plus en plus démoli ».

Le climat est âcre. En témoigne la rivalité avec le collectionneur François Audouze. Dans la presse, les deux hommes se disputent le titre « d’homme aux 40 000 bouteilles ». L’un boit les grands crus, l’autre les conserve. Dans le journal Libération en 2012, Audouze disait de Chasseuil : « j’aimerais arriver à le persuader de ‘démomifier’ sa cave, afin que les mythes absolus qui la fondent se traduisent en une mémoire du goût plutôt qu’en un ossuaire. »

« Catacombes », renchérit aujourd’hui Aubert de Villaine, cogérant du prestigieux domaine de la Romanée-Conti. L’influent membre de l’Académie du vin de France – qui n’a jamais visité la Chapelle-Bâton – se désole de savoir que des bouteilles « mourront » sans avoir connu un tire-bouchon. « Malgré mon admiration et mon respect pour lui, je ne peux pas adhérer à son projet ». Le domaine de la Romanée-Conti continue pourtant de fournir Michel-Jack Chasseuil. « Il me tanne. Il fait tellement le siège qu’on lui donne une allocation [système qui permet de garantir à un acheteur un lot de bouteilles à la vente chaque année, N.D.L.R] », explique Aubert de Villaine. Un privilège pour un particulier. Une exception qui a ses limites. « On fait très attention avec les collectionneurs, c’est une addiction », se méfie le viticulteur.

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Michel-Jack dans sa cuisine.

« J’ai tout bu », répond Michel-Jack Chasseuil à ceux qui l’accusent de dévoyer la nature du vin : consommation et partage. Les cadavres peuvent en témoigner. Dans sa maison, une vitrine est remplie de bouteilles vides qu’on n’oserait appeler pinard. Du temps où il travaillait chez Dassault Aviation, les repas d’affaires étaient arrosés des meilleurs jaja. Aux sommeliers des étoilés, Michel-Jack Chasseuil demandait le top du top. L’éducation du palais aux frais de l’employeur.

Repu d’une vie à boire le nec plus ultra, ce passionné se consacre aujourd’hui à son conservatoire. La collection suit son cours, entre vins extraordinaires et objets personnels. Parmi les pièces exposées dans une vitrine, se trouve une petite plaque en métal blanc barrée d’une inscription sur fond rouge. La Licence IV du grand-père quand il tenait un bistrot. Il fut un temps où on buvait simplement un coup chez les Chasseuil.

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