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Clippy est enceinte, et son concepteur aimerait bien savoir qui est le père

L’illustrateur Kevan Atteberry ne voit aucun inconvénient à ce que tout le monde détourne sa création la plus célèbre à ce jour, Clippy, le trombone assistant de la suite Office de Microsoft. Clippy assistait des millions de utilisateurs non consentants à l’époque bénie de Microsoft Office 97, mais il a hélas disparu du traitement de texte aujourd’hui.

J’ai contacté Kevan suite à un événement extraordinaire : l’irruption d’un fan art de Clippy, enceinte jusqu’aux yeux, sur la toile. Après que ce dessin ait circulé aux quatre coins du web, suscitant le rire, l’épouvante et des théories “alternatives” sur la reproduction des trombones, il nous a paru essentiel de tirer toute cette histoire au clair.

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À mon grand soulagement, Atteberry a beaucoup ri en prenant connaissance de cette image. Je ne voulais surtout pas offenser le créateur d’un personnage qui profondément marqué mon enfance, et qui représentait à mes yeux l’aube de mon existence virtuelle. “Pour moi, il est très important que les gens se rappellent de Clippy. Tant que c’est le cas, mon image de marque est au top, sans que j’ai le moindre effort à fournir pour cela”, explique-t-il.

Clippy a été retiré des programmes d’aide de Microsoft Office dès l’édition 2007. Aujourd’hui, Atteberry vit à Seattle comme auteur et illustrateur de livres pour enfants. Ce job est beaucoup moins stressant que les missions qu’il réalisait pour Microsoft à l’époque, selon lui. Mais la nostalgie du public pour Clippy le rappelle constamment à son ancien travail.

Nous l’avons interviewé afin de dévoiler l’homme derrière le trombone, car le monde mérite de savoir.

Motherboard : Racontez-nous comment vous avez pu avoir une idée aussi bizarre qu’un trombone qui parle, s’agite et harcèle l’utilisateur.

Kevan Atteberry : À l’origine, je travaillais sur un projet appelé Microsoft Bob. Ça a été le plus gros désastre de tous les temps. Quand Bob a fait un four monumental, nous avons repris le dossier et tenté de concevoir un nouveau personnage destiné à animer la section aide sur Word. Pour ça, on a dessiné et animé près de 250 personnages, dont 15-20 avaient été créés par mes soins. En collaboration avec des psychologues de Stanford, nous les avons passés en revue pendant six mois afin d’éliminer, étape par étape, les mascottes les moins convaincantes. À la fin, on a choisi ce qui nous paraissant être le personnage le plus engageant et le plus divertissant de tous : Clippy. ll est alors devenu l’assistant par défaut.

“Ils le haïssent ! Mais je m’en fous. Il n’y a pas de mauvaise publicité.”

Le fait que les psychologues aient pu penser que Clippy était un personnage attachant peut paraitre un peu étrange. Les gens le détestent, vous savez.

Ils le haïssent ! Mais je m’en fous. Il n’y a pas de mauvaise publicité. Et pour être tout à fait honnête, il ne suscite pas toujours des réactions aussi radicales. Je reçois régulièrement des lettres de fans qui adorent Clippy. Même sur Twitter, on voit des tas de réponses enthousiastes en réponse au fan art où il est enceinte. Dans le temps, il emmerdait des centaines de millions de personnes chaque jour. Cette idée me plait beaucoup, j’irai même jusqu’à dire qu’elle me fait plaisir. Quand je rencontre les fans, ils sont toujours partagés entre une haine infinie et une grande tendresse pour ce petit bonhomme. Je comprends parfaitement à quel point il pouvait être chiant, même si je n’en ai jamais fait l’expérience moi-même. J’ai toujours eu des Mac, je suis un traitre. D’ailleurs, j’ai dessiné Clippy sur un Mac.

(Pause dans la conversation pour cause d’hilarité.)

Le fait que les gens le haïssent n’est pas du tout vexant à mes yeux. Ce qui m’importe, c’est que tout le monde le connaisse. Il fait partie intégrante de notre culture numérique même s’il n’en constituait pas un élément actif, et même s’il n’existe plus depuis des décennies. Et ça, c’est un grand honneur. Finalement, c’est la répulsion qu’il suscite qui a fait sa popularité.

À votre avis, en quoi le personnage lui-même est-il énervant ?

C’est peut-être la façon dont les développeurs ont conçu son comportement et ses réactions ? Franchement, je n’en sais rien. Sans doute que les gens haïssent ce qu’il fait, et non qui il est. Même en changeant le personnage par défaut, ils ne cessent pas d’être agacés. Les gens s’irritent facilement. 

Que pensez-vous des différentes incarnations du personnage ? De la façon dont le public se l’est approprié ?

Je suis honoré que les gens aient été inspirés par Clippy, vraiment. Comme je le disais tout à l’heure, tant que les gens savent qui il est et se moquent de lui, c’est bon pour moi. Microsoft lui-même a utilisé Clippy dans les pubs pour XP, au moment de sa sortie. Ils l’ont animé dans des spots publicitaires en ligne, et ont même créé des jeux flash où vous pouviez lui jeter du ruban adhésif à la tronche pendant qu’il traversait l’écran. On m’a souvent dit que les T-shirts Clippy étaient toujours les goodies les plus populaires sur le campus Microsoft.

Est-ce que vous avez touché des royalties pour tous ces détournements du personnage ?

Aha, si seulement ! Si j’avais touché un euro pour chaque ordinateur utilisant Microsoft Office, je serais à la retraite depuis dix ans. Non. À l’époque, j’ai été bien payé, très bien payé même. Mais je n’ai rien touché depuis.

En fait, ma célébrité et la gloire vous suffisent totalement.

Exactement. Et vous savez quoi, Clippy m’a ouvert des tas de portes dans la vie. Quand je dis que je suis son concepteur, l’attention des gens est captée immédiatement. “Oh, c’est fantastique, venez on va parler.” Après avoir conçu Clippy puis quitté le projet, je ne l’ai pas mis dans mon portfolio et mon CV immédiatement, parce que je me doutais qu’il serait détesté et que ça pourrait me deservir. Pourtant, un jour, alors que j’étais dans le bureau d’une cliente qui travaillait sur Word avec Clippy à l’écran, je n’ai pas pu m’empêcher de lâcher ma petite révélation. J’ai dit : « C’est moi qui ai fait ce gars-là. » Elle m’a répondu « Oh, sans rire ? » et tout le monde a été très excité. C’est ce jour-là que j’ai réalisé que Clippy jouerait toujours en ma faveur, et qu’il était temps de me vanter de sa paternité. 

Pensez-vous que quelque chose dans la forme de Clippy, dans les principes du design appliqués ici, en font un personnage facile à reproduire et détourner ?

Oui, il est facile à modifier. Au final, ses éléments de composition sont très simples : un fil de fer, deux yeux, deux sourcils. N’importe qui peut le dessiner pour le mettre dans telle ou telle situation, et les gens ne s’en privent pas.

Le Clippy enceinte est-il le détournement le plus malsain que vous ayez vu ?

Oui, il est extrêmement perturbant. Pourtant j’ai déjà vu d’autres Clippy enceintes, des Clippy suicidaires, des trucs comme ça. Mais là l’idée est super tordue. Le mec a enroulé le bout de papier sur son corps pour en faire un gros ventre avec un nombril protubérant. C’est dégueulasse. J’ai toujours considéré Clippy comme un garçon, et apparement ici c’est toujours un garçon. Un garçon enceinte. Qui lui a fait ça ? Comment est-ce possible ? Je suis perturbé, mais peut-être que je réfléchis trop.

“Il est extrêmement perturbant. Pourtant j’ai déjà vu d’autres Clippy enceintes, des Clippy suicidaires, des trucs comme ça.”

Avant de m’aventurer dans les profondeurs de l’Internet, je n’avais jamais réalisé à quel point les réinventions de Clippy pouvaient être malsaines. Il y en a des violentes, des méchantes, des rigolotes, des irrévérencieuses, mais il y a quelque chose dans celle-ci qui est particulièrement efficace.

Et du Clippy érotique, il y en a ?

Bien entendu. Des gens m’ont déjà envoyé des histoires pornographiques faisant intervenir un petit trombone. Je les ai lues en partie. Le style était un peu, disons, froid et technique. C’était assez spécial. Pas trop mon truc.

Si jamais vous trouvez un jour une bonne fan fiction érotique écrite en bon français, s’il vous plait, envoyez-nous la.

Pas de problème. De toute façon, les gens qui écrivent ce genre de textes se sentent obligés de tout m’envoyer, donc je ne risque pas de passer à côté. Mais pour être honnête, je ne suis pas impatient de recevoir un roman-fleuve à base de fils de fer chauds comme la braise.