Suivez la série sur la page : « Comment votre conso de coke fout la merde en Afrique de l’Ouest ».
Si vous aimez sniffer, et que vous comptez bien y aller de plus belle avec le déconfinement, voici un petit retour à la réalité pour vous : la trace coke que vous appréciez tant ne fait pas seulement des ravages dans votre piff, mais aussi en Afrique de l’Ouest. VICE est parti en mission à Abidjan, ville portuaire et capitale économique de la Côte d’Ivoire, mais aussi haut lieu stratégique du trafic de cocaïne.
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Recap de l’épisode précédent : la Highway 10 est la route de la drogue qui lie l’Amérique du Sud à l’Europe via l’Afrique de l’Ouest. Après que la Guinée-Bissau ait été, pendant des années, la plaque tournante des cartels colombiens qui voulaient acheminer la cocaïne vers l’Europe en passant par l’Afrique de l’Ouest, les mafias se sont étendues aux ports de Dakar et d’Abidjan il y a quelques années. Ces cartels colombiens recrutent des alliés dans les plus hautes sphères de la politique ouest-africaine.
Nous sommes à Abidjan pour savoir si c’est aussi le cas ici, et on se retrouve par hasard dans une planque près de la villa du ministre de la Défense, Hamed Bakayoko, un pion central dans le trafic de cocaïne d’après les renseignements de l’agent des services secrets français qu’on a rencontré plus tôt.
– « Une enquête sur le trafic de cocaïne ? »
– « Oui. »
– « Téléphonez à votre voisin, le ministre de la Défense, il sait tout. Vous savez qu’il a une discothèque dans son sous-sol ? Mais soyez très, très prudents. »
Ces recommandations ne viennent pas de n’importe qui, mais d’une personne haut placée de l’impénétrable ambassade américaine à Abidjan, d’où les États-Unis surveillent d’ailleurs toute la région ouest-africaine. Notre planque dans le Beverly Hills local se trouve dans le quartier où résident de grands noms de l’industrie et de la politique. Par hasard, le diplomate américain – on ne peut pas révéler son identité – est assis à notre table de petit déjeuner lors de la fête de la Tabaski ; c’est comme ça qu’on appelle l’Aïd en Afrique de l’Ouest. C’est un jour férié en Côte d’Ivoire, donc on espère que les services secrets sont aussi en congé.
Les jours précédant et suivant la Tabaski, la recherche prend de l’ampleur. La veille, on a rencontré un escort boy à Gonzagueville, l’un des quartiers les plus pauvres d’Abidjan situé entre l’aéroport international, le port maritime de Port-Bouët et une autoroute. Derrière cette autoroute se trouve une parcelle de terre abandonnée récemment achetée par le roi du Maroc. Sur une distance de quinze kilomètres, les marchés, les mosquées, les églises, les écoles, les maisons et leurs habitant·es ont dû céder leur place au projet des nouveaux bungalows de Mohammed VI, sans aucune compensation.
« Le ministre de la Défense, le plus grand trafiquant de cocaïne ? Je le sais. Et tout le monde le sait. »
À quatre heure de l’après-midi, sous une chaleur écrasante, on retrouve dans un bar ce travailleur du sexe qui dit avoir des informations sur le ministre de la Défense. « Je le connais. Je connais sa maison à Beverly Hills. J’étais son partenaire sexuel. Mais on n’est plus en bons termes. » Il ajoute : « Le ministre de la Défense, le plus grand trafiquant de cocaïne ? Je le sais. Et tout le monde le sait. »
Ce n’était pas le cas un an plus tôt. Un chef de la mafia nigériane nommé John gérait la majeure partie de l’importation et de l’exportation de cocaïne. L’histoire suit le même schéma que celle de la Highway 10 : au départ, les cartels colombiens ont cherché l’aide de la mafia nigériane pour faire passer la cocaïne par l’Afrique de l’Ouest. La mafia nigériane avait besoin de l’aide des autorités des ports mondiaux. Ces autorités sont payées en coke, ont une vue sur l’activité et voient rapidement combien d’argent elles peuvent gagner dessus.
Conséquence : les hommes de main locaux, qui ont accès au port, investissent également dans l’achat de cocaïne afin d’en vendre eux-mêmes. Ça s’est produit à Abidjan, et se produit tout aussi bien dans le port d’Anvers aujourd’hui. S’en suit généralement une forte lutte de pouvoir entre les anciens et les nouveaux venus.
« John était un milliardaire », explique notre informateur, « il faisait passer la coke par le port et approvisionnait les ghettos d’Abidjan. Dans le ghetto de Washington, il possédait un fumoir illégal (un fumoir est l’équivalent ivoirien d’un coffeeshop, à l’exception du fait que les gens y fument principalement du crack qui ne peut être consommé que sur place, ndlr.) pouvant accueillir jusqu’à 300 personnes. Avec les recettes, il a construit l’hôtel Free World et la discothèque Blue Rock. Je le connaissais bien, il était sympa. À un moment donné, il a acheté de nouveaux vêtements pour tou·tes les consommateur·ices de son plus grand fumoir. Il a fait don de montants records à des orphelinats. Et surtout : il était très ami avec le ministre de la Défense. »
Le 19 décembre 2018, l’empire de John s’écroule. Il est arrêté et se trouve actuellement dans la prison tristement célèbre de la MACA à Abidjan. « La fin d’une petite guerre de succession. C’était purement politique. Le ministre de la Défense voulait une plus grande part des revenus, donc il voulait devenir l’associé de John, qui a refusé. Résultat : il s’est fait arrêter. »
« Enfin, sa liberté de mouvement a beau avoir été restreinte, mais son réseau de jeunes dealers est toujours intact et continue à travailler pour lui. »
Il n’y a aucune preuve que l’escort dit la vérité. Mais presque tous les éléments de son histoire sont confirmés par d’autres sources. Pour en revenir au diplomate américain de haut rang à côté de qui on était assis, lui aussi nous a confirmé l’implication de notre voisin dans le trafic de cocaïne.
Les complices locaux sont payés en coke. Mais pour être vendue, cette coke a besoin d’un marché.
Le jour-même, on visite les ghettos du quartier d’Adjamé, où se trouve l’un des plus grands fumoirs de John. Le fumoir est surveillé par un Babatché, un « grand père » qui impose une discipline stricte aux utilisateur·ices du fumoir, et qui s’arrange avec la police et la gendarmerie qui viennent y chercher leur commission tous les jours.
Les fumoirs sont directement liés à la Highway 10 puisque les complices locaux sont payés en coke. Mais pour être vendue, cette coke a besoin d’un marché. Selon les derniers chiffres de 2014, il y avait 400 fumoirs à Abidjan et on estime à 10 000 le nombre de consommateur·ices. Avec un tel débouché pour le crack bon marché, les grossistes d’un pays pauvre font encore les bénéfices nécessaires. Il arrive que des perquisitions aient lieu, mais les Babatchés sont informés à l’avance. Lorsqu’un fumoir est mis à plat par la police, il réouvre généralement le lendemain.
On entre dans le quartier directement après la grande prière à la gare routière centrale. On passe lentement devant un fumoir qui est construit contre le mur arrière d’un poste de gendarmerie. On sort de la voiture un peu plus loin. Sur le chemin de terre, les hommes ont déjà commencé à égorger des chèvres et des vaches. Une porte battante s’ouvre. À l’intérieur, une trentaine de jeunes fument du crack, la tête penchée en avant.
Sur le chemin du retour, les bordures de routes sont couvertes de carcasses et de sang. Quand on arrive à notre planque à Beverly Hills, un homme déguisé en Michael Jackson chante devant le ministre de la Défense. Il est chassé par des soldats en uniforme. Juste après, sept Range Rovers de luxe, blancs, beiges et gris arrivent en file. Les soldats ouvrent le portail, se mettent en position et saluent les voitures.
Ce qu’on découvrira par la suite, c’est que cet après-midi et ce soir-là, le ministre de la Défense a organisé une house party pour la crème de l’industrie musicale ivoirienne. Détail important : DJ Arafat n’avait pas été invité, ayant perdu les faveurs de son parrain – les deux hommes étaient si proches que Bakayoko considérait Arafat comme son filleul et le disait ouvertement lors d’interviews à la télévision. Arafat roulait sur sa moto cette nuit-là, à quelques kilomètres de la fête à laquelle il n’était pas invité. Une voiture le percute. Arafat est propulsé de sa moto et meurt un peu plus tard à l’hôpital.
Cette série a été réalisée avec le soutien du Money Trail Project (www.money-trail.org).
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