Culture

Combien faut-il d’agressions sexuelles pour qu’on cesse de rendre hommage à Polanski?

Rarement autant de pervers de l’industrie du cinéma ont été dénoncés en un mois (Harvey Weinstein, James Toback, Kevin Spacey, notamment). Mais, apparemment, la Cinémathèque française n’a pas eu le mémo. Le 30 octobre dernier, l’organisme a rendu hommage à Roman Polanski, 84 ans, réalisateur coupable de relations sexuelles avec une mineure qui a fui les États-Unis, en présentant une rétrospective de ses films en sa présence.

Le groupe Osez le féminisme avait pourtant fait circuler une pétition contre la venue du réalisateur, soutenant que c’était indécent et insultant pour toutes les femmes qui ont pris la parole et dénoncé des horreurs avec les mots-clics #moiaussi et #balancetonporc. Bien que le groupe ait recueilli plus de 27 000 signatures, la Cinémathèque n’en a pas tenu compte. Réponse de l’organisme : « Nous ne décernons ni récompenses, ni certificats de bonne conduite. Notre ambition est autre : montrer la totalité des œuvres des cinéastes et les replacer ainsi dans le flux d’une histoire permanente du cinéma. »

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Cette soirée en l’honneur d’un homme jugé coupable de viol tombe mal. C’est un autre cas d’homme qui a agressé sexuellement des femmes et qui s’en sort indemne. Pire, on lui rend hommage malgré tout. Pourtant, il n’y a pas de doute dans son cas : il a été accusé de détournement de mineure en 1977; la victime, Samantha Geimer, avait alors 13 ans. Selon elle, Roman Polanski lui a donné du champagne et de la méthaqualone (un sédatif commercialisé sous le nom de Quaalude), puis l’a violée à répétition. Peu après, en 1978, il a quitté les États-Unis pour éviter la sentence. Récemment, Samantha Geimer lui a pardonné publiquement, un geste posé pour elle et pour sa famille.

Même bien au fait de ses crimes, l’industrie du cinéma n’a jamais mis au ban le réalisateur. En fait, il a continué à travailler avec des célébrités comme Harrison Ford et Ewan McGregor, et ses films ont été plusieurs fois récompensés. Il a même gagné l’Oscar du meilleur réalisateur pour Le pianiste en 2003. Et il a coécrit avec Olivier Assayas, le réalisateur de Personal Shopper, un film qui paraîtra prochainement.

On a moins entendu parler des plus récentes accusations à son endroit. Il y a deux semaines, Marianne Barnard a affirmé que Roman Polanski avait attenté à sa pudeur au cours d’une séance de photos en 1972, alors qu’elle n’avait que dix ans. Elle a dit avoir été inspirée par les femmes qui ont dénoncé Harvey Weinstein. Elle est la cinquième. Plus tôt le mois dernier, l’actrice allemande Renate Langer a affirmé que Roman Polanski l’avait violée, deux fois, quand elle était enfant. En août, une femme qui a donné le nom Robin M. a aussi dit qu’il l’avait violée quand elle avait 16 ans. En 2010, l’actrice Charlotte Lewis, qui a joué dans son film Pirates, sorti en 1986, a aussi affirmé qu’il l’avait agressée quand elle avait 16 ans.

La question de la présentation d’œuvres d’art de personnes qui ont commis des gestes sordides est complexe, mais il semble plutôt simple de rendre hommage aux personnes qui n’ont pas été trouvées coupables de viols d’enfants. Si la Cinémathèque française a réellement à cœur de « montrer la totalité des œuvres des cinéastes », il y a une longue liste de personnes qui, elles, méritent cette reconnaissance.

Mais, comme les dénonciations ont fait boule de neige, en donnant le courage à d’autres de dénoncer à leur tour, il est important de continuer malgré tout à écouter les personnes qui ont été réduites au silence, à dénoncer les pervers et contester quand cela s’impose. Tous les hommes qui ont commis des crimes sexuels ne s’en sortent pas indemnes : Weinstein, viré de sa compagnie, a aussi été exclu de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, organisatrice des Oscars. Peut-être que Polanski sera le suivant.