Pierre*, bientôt 23 ans, originaire d’une petite ville de Moselle, vient de purger une peine de huit mois de prison dans un centre de détention lorrain. En 2019, il a été interpellé en possession de deux armes à feu, de la drogue et une grosse somme d’argent en liquide. Toujours en attente d’être jugé, il doit se rendre à la gendarmerie une fois par semaine pour un pointage. Grâce à son métier de coiffeur qu’il exerce depuis plusieurs années, Pierre a pu s’intégrer au milieu carcéral, se faire des contacts et l’utiliser comme une véritable monnaie d’échange. « En prison tout se paye, c’est la règle », raconte-t-il.
VICE : Bonjour Pierre, quelle a été ta formation avant de commencer ton métier de coiffeur ?
Pierre : J’ai fait un CAP coiffure à 16 ans. Un ami coupait les cheveux au black dans une caravane derrière chez moi. Je passais tout mon temps avec lui. Dès l’âge de 15 ans, je commençais déjà à couper des potes, c’était une boucherie au départ.
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Pourquoi as-tu été incarcéré ?
J’étais au mauvais endroit au mauvais moment. J’accompagnais un ami en voiture et les flics nous ont arrêtés avec deux armes à feu de guerre, des stupéfiants et un sac d’argent en cash. Ils nous ont immédiatement embarqués.
Connaissais-tu des gens à ton arrivée en prison ?
Je connaissais une personne qui était client dans le salon où je travaille. Un mec de mon quartier purgeait sa peine de prison en même temps que moi mais à l’étage du dessus, c’était plus compliqué pour se voir. Quand j’ai commencé à coiffer, le message est vite passé. Dès mon arrivée au quartier des arrivants, deux détenus que je ne connaissais pas m’ont apporté deux sacs remplis de produits de première nécessité avec de la nourriture, des boissons et des bons pour la cantine.
« Au total je coiffais vingt mecs par semaine »
Quel était ton quotidien en prison ?
Les journées passent et se ressemblent. On commence par prendre la douche un jour sur deux le matin avant la promenade de deux heures entre midi. Ensuite, on prend ladite « gamelle » dans le jargon ; un plateau-repas glissé dans la cellule avant de retourner en promenade. Pour ma part, je profitais de la promenade pour faire du sport, j’ai pris douze kilos en huit mois.
En quoi ton passé de coiffeur t’a permis de mieux t’adapter à la vie carcérale ?
J’ai pu me faire des contacts et avoir une monnaie d’échange : du shit, des clopes, des cocas, tout était bon à prendre.
Combien de détenus coiffais-tu chaque jour ?
Je ne pouvais pas couper tous les jours, uniquement lors des douches, un jour sur deux. Au total je coiffais vingt mecs par semaine.
Tu as des anecdotes à nous raconter ?
Ouais. Lors d’une permanence, un détenu s’est rendu chez le coiffeur. A son retour en prison, il est immédiatement venu frapper à ma porte pour me demander de lui rattraper sa coupe de cheveux ratée. Pour moi c’est dingue d’imaginer d’être mieux coiffé en prison qu’à l’extérieur. Une autre fois, j’ai coupé les cheveux à un détenu qui se rendait à son jugement. D’autres mecs qui étaient là en garde-à-vue n’en revenaient pas de sa coupe de cheveux. Ils lui ont demandé : « Où t’es tu fait couper les cheveux ? ». Le détenu à répondu : « en prison ». Ils lui ont alors dit : « Comment c’est possible d’être aussi bien coupé en prison ? Top le dégradé, t’es frais à mort ». Je me rappelle aussi avoir coupé les cheveux à un détenu avec un ciseau Maped de 15 cm de long car la tondeuse était tombée en panne, je n’avais plus de batterie.
« Le métier des autres détenus c’était de vendre. Ils vendaient tout ce qu’ils pouvaient : du shit, des téléphones, des Xbox en essayant souvent d’arnaquer les gens »
D’autres détenus utilisaient-ils leur métier pour gagner de l’argent en prison ?
J’étais le seul coiffeur de la prison. Le métier des autres détenus c’était de vendre. Ils vendaient tout ce qu’ils pouvaient : du shit, des téléphones, des Xbox en essayant souvent d’arnaquer les gens. Il y en a qui ne sortaient jamais de leur cellule. De temps en temps je servais la gamelle et je voyais pour la première fois des personnes qui étaient incarcérés depuis près de dix ans. A l’extérieur ce sont des dealers donc a l’intérieur ils font ce qu’ils savent faire.
Quelles sont les autres jobs proposés en prison ?
Conformément à l’article 27 de la loi pénitentiaire, l’administration pénitentiaire propose aux personnes détenues des activités sportives dans le but notamment de les aider à se réinsérer. Ce qui me rapportais 250€/mois. Par exemple, des tournois de football sont organisés par la prison entre une équipe de détenus et une équipe de l’extérieur. Tous les samedis, il y avait des tournois de badminton. Toutes ces activités permettent de gagner également des RPS (réduction de peine supplémentaire N.D.L.R) qui te permettront d’être libéré plus tôt lorsque tu es condamné. Il y en a d’autres qui lavaient les étages ou ramenaient la gamelle aux détenus. Tu peux faire différents types de formations comme de la peinture. Pour repeindre les murs de la prison par exemple. Il y a même une mosquée et une église au sein de la prison pour permettre aux détenus de prier.
Qu’est-ce que la prison t’a appris ?
Ne faire confiance à personne.
Tu as gagné des nouveaux clients ?
Il y en a deux ou trois qui sont venus à mon salon depuis leur libération mais les autres sont toujours incarcérés. C’est plus compliqué pour venir.
* Le prénom a été changé
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