Cet article a été initialement publié sur VICE Québec.
Frank Bourassa boit de la Goldschläger parce qu’il n’aime pas le goût de l’alcool.
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Cette boisson chatoyante remplie de fines paillettes d’or semble tout indiquée pour un homme que la quête de la fortune a poussé à imprimer 250 millions de dollars en fausses devises américaines. Mais Frank aime avant tout le goût de la liberté – en dépit de ses nombreuses activités illicites, il a réussi à ne pas passer plus de six semaines en prison.
On a rencontré celui qui se proclame « meilleur faux-monnayeur au monde » à Trois Rivières, où il vit, dans un bar très justement appelé Les Contrebandiers. Mais le personnel ignore tout de lui et de ses crimes.
D’après Frank, c’est parce que les nouvelles à son sujet ont surtout été diffusées aux États-Unis, en anglais. « La petite communauté française est comme un village, ce qui ne se passe pas en français, tu n’en entends pas beaucoup [parler]. L’anglais n’affecte pas vraiment ce petit monde qu’est le Québec. »
Aujourd’hui, Frank mène une vie humble et modeste. Mais il y a quelques années, l’ex-criminel a mis au point un plan qui a changé sa vie. « Je me suis dit : “On se lève le matin pour vendre un produit, livrer un service, mais le but, c’est que ça revienne sous forme d’argent. Pourquoi ne pas éviter tous ces intermédiaires et me faire de l’argent directement ? Tous les problèmes, les complications qu’on a dans la vie ou au travail, peu importe, je n’aurais plus besoin de ça. »
Pendant des années, Frank a fait des recherches, étudié méticuleusement les caractéristiques de sécurité des billets américains et contacté des centaines de fournisseurs de papier pour déterminer lequel serait parfait pour son crime.
« Je suis vraiment doué pour faire des recherches. Il m’a fallu des milliers d’heures, des années. Il fallait que je trouve la recette, les ingrédients, les composantes, un endroit pour le fabriquer. Je me suis dit qu’il fallait trouver un fournisseur qui fasse ma recette – sans que ça ait l’air d’une recette pour réaliser des faux billets, forcément. »
Après plusieurs mois d’échanges par mail, Frank a finalement trouvé une boutique en Europe partante pour imprimer sa commande. Il assure n’avoir donné aucun indice sur ses intentions. Il décrit le jour où sa commande est arrivée à son ultime destination comme le plus beau jour de sa vie, mais aussi le plus stressant. « Je ne pouvais pas savoir s’ils avaient appelé le FBI ou non, se souvient-il. C’était le moment le plus angoissant. Jusque là, je n’avais parlé à personne de vive voix, parce qu’un enregistrement de vive voix peut faire office de preuve au tribunal. Je faisais tout par mail, à distance. »
Assis loin des autres clients du bar, Frank détaille la myriade de précautions auxquelles, selon lui, la plupart des gens ne penseraient pas. Réceptionner le colis au Port de Montréal nécessitait trois jours de surveillance, de nombreux complices et un changement de véhicule pour mieux brouiller les pistes. « Une fois que je l’ai changé de véhicule, plus rien ne pouvait m’arrêter. »
S’il a fait imprimer 250 millions de dollars, c’est parce que l’entreprise avait fixé une quantité minimale de papier à produire. Mais aussi parce qu’il « ne [fait] pas vraiment dans la modération. »
Photo : Wikipédia
Pendant quelques mois, Frank a eu la belle vie, tout en y allant doucement pour éviter d’attirer l’attention. « Ça marchait. Au début, j’utilisais des échantillons, pour que [les acheteurs] puissent les faire passer. Ils voulaient tout voir, tout vérifier. Après, ils faisaient des petites commandes de 100 000 dollars. »
L’idéal, c’était d’avoir le plus petit nombre de clients possible qui achètent les plus grosses sommes d’argent possible, que Frank vendait 30 dollars par tranche de 100 dollars. Mais sa recherche de clients l’a conduit tout droit à un agent double, ce qui a vite mis fin à son entreprise florissante. « Tout allait bien – mais à un moment donné, quelqu’un a frappé à ma porte. »
Frank était à la merci de la GRC et du Secret Service américain. Ces derniers exigeaient son extradition. Son pire cauchemar, admet-il. « Là, c’était fini, c’était la fin du monde pour moi. Je savais que je n’aurais plus le droit de voir mon père. C’était une catastrophe. »
Avec l’aide d’un avocat (le meilleur au monde selon lui) et de la chance, Frank a réussi à éviter les accusations et l’extradition. Tout s’est joué grâce à une mesure de précaution : quand il a livré les faux billets, il s’est caché de manière à n’être jamais vu en possession de ceux-ci.
Son avocat a plaidé que le mandat de perquisition initial n’était donc pas valide. Dans la négociation, Frank a aussi offert de remettre 200 millions de dollars en faux billets. Au final, il a écopé de six semaines de prison et d’une amende de 1 350 dollars.
Amende pour possession d’une petite quantité de substance illégale : « Ils ont trouvé de la drogue dans ma voiture, parce que je faisais monter toutes sortes de gens. Ils ont trouvé toutes sortes d’affaires dont je ne soupçonnais même pas l’existence – des quantités minimes de n’importe quoi, une pilule tombée par terre… »
Derrière nous, le mur de brique du bar est décoré de photographies encadré es de Lucky Luciano, Arnold Rothstein, Al Capone : des criminels c élèbres, qui ont passé un long moment derrière les barreaux ou ont connu une mort brutale.
Bourassa affirme qu’il a gagné : il s’en tire sans avoir perdu sa liberté et, peut-être, avec un peu d’argent. Une « fortune » d’environ 50 millions de dollars en faux billets n’a jamais été retrouvée. « Il sont cachés bien comme il faut et je ne suis pas pressé de les sortir. Mystère », dit-il en souriant.
Quand on lui demande si sa punition aurait dû être plus sévère, il hésite : « Oh, bonne question. Le commun des mortels doit penser que oui. Je ne sais pas. Je me suis assuré de ne faire de mal à personne – mais oui, quand on fait du mal au gouvernement, on fait parfois du mal au peuple. Je comprends. »
Selon lui, son crime n’a fait aucune victime, car presque tous les faux billets ont été envoyés à des clients en Asie, en Afrique et en Europe, pour éviter de causer du tort aux Américains.
« C’est épouvantable, particulièrement ces temps-ci, avec la corruption du gouvernement. J’ai peut-être plein de défauts, mais je ne suis incapable de voler ou de causer du mal à quelqu’un d’autre. En revanche, œuvrer contre le gouvernement ne me pose pas particulièrement de problème. »
Comme il est presque impossible de retracer les faux billets qu’il a vendus, Frank ne sait s’ils ont été utilisés pour d’autres crimes, mais ajoute qu’il doute beaucoup que ces derniers « aient fini dans les caisses d’une église ».
Le « meilleur faux-monnayeur au monde » dirige maintenant son entreprise de services-conseils pour aider les commerces à déjouer les faux-monnayeurs. Mais sa liberté n’est pas totale : Frank n’est protégé de l’extradition que s’il reste au Canada et ne sait pas s’il est toujours sous surveillance (des représentants du Secret Service ont refusé tout commentaire parce que leur enquête est toujours en cours).
D’après lui, cette surveillance est une perte de temps. « Même s’ils me tendaient une perche, je ne retoucherais pas un faux billet de vingt, assure-t-il, jamais de la vie. »
Et s’il pouvait revenir en arrière, le referait-il ? « Ouais, j’en suis sorti gagnant. J’ai fait du beau boulot. Mon rêve d’enfance était d’être riche et heureux, et je le suis. Là, je peux consacrer mon temps à aider le monde. Je suis chanceux ! Et oui, je suis fier d’avoir fait ça. »