Ce week-end, un nombre non négligeable de Français a cru bon d’aller se la coller au soleil au bord du canal Saint-Martin ou aux Buttes-Chaumont, en pensant visiblement que le dernier de leurs soucis était de rester calfeutré chez soi en attendant que passe l’orage. Certains, sur des groupes Facebook « techno » sont allés jusqu’à s’enquérir de potentielles soirées « dissidentes » prévues quand même, comme si le fait de sortir constituait en soi un geste politique – ou pire, un acte de résistance, je-suis-en-terrasse, tout ça.
« Continuer à faire la fête au temps du coronavirus » semble être devenu la nouvelle injonction de petits Blancs occidentaux individualistes qui ne supportent pas qu’on leur confisque leur petit confort d’existence ne serait-ce qu’un instant. Soit juste le temps de sauver potentiellement des milliers d’autres vies que la leur – mais aussi un peu la leur, s’ils arrivent à se rendre compte qu’une pneumonie interstitielle bilatérale peut leur tomber dessus comme tous les autres.
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Mais passons. Puisque certains veulent absolument braver la tempête, alors autant leur prouver qu’on peut très bien continuer de faire la fête chez soi, même si on est tout seul et que même tout l’intérêt de l’interaction sociale a perdu de son sens. On se rendra peut-être même compte que la meilleure fête est parfois la fête avec soi-même. Ou alors, qui sait, que tous ces efforts n’étaient peut-être pas nécessaires au fond.
Savoir aménager son espace personnel
Ceux qui font mine de se remater la filmographie de Tarkovski mais qui n’ont que les onglets Pornhub et Netflix ouverts (on vous voit), devraient se rappeler des conseils du réalisateur soviétique, qui enjoignait les jeunes esprits de savoir rester seul avec soi-même. De là peuvent naitre toutes sortes d’épiphanies, à savoir « qu’il faut apprendre à aimer la solitude et qu’il est primordial de ne pas s’ennuyer de soi-même », ou alors, comme le dit Norm Macdonald, qu’on se rendra peut-être alors compte que l’ultime obstacle au bonheur « c’est peut-être tout simplement les gens ».
Et pour les autres, il restera toujours les Skype, Whatsapp ou Facetime, grâce auxquels vous pouvez commencer des vidéo-conférences avec vos amis ou participer à une « Internet rave » en vous la collant avec une caipirinha maison – ou tout autre breuvage dégueulasse de votre choix.
Vous pouvez également faire la fête sur votre balcon comme les Italiens, ou encore fermer les rideaux, balancer de la dark ambient à fond, et imaginer que votre 23m2 n’est plus ce studio hors de prix au cœur du 19e, mais une hétérotopie de Foucault, ces « espaces concrets qui hébergent l’imaginaire » et que vous pouvez pour l’occasion redéfinir à votre guise. Vous allez enfin retrouver l’idéal de la house et de la techno, sortir de vous et avec vous-même. Alors d’accord, c’est un peu technique, mais vous pouvez y arriver. Surtout que chez vous, des questions comme la queue interminable aux chiottes ou la rareté des points d’eau en warehouse ne seront plus un problème. Faites un peu un effort.
Chercher soi-même la musique, être son propre curateur
D’accord, l’intertitre ci-dessus sonne affreusement macroniste, mais on se met au diapason des consignes du Président – ou au moins on fait semblant. Et pour rester dans le thème de la novlangue managériale, disons que ce confinement subi est peut-être une bonne occasion de « sortir de votre zone de confort ».
Le clubber par exemple – à qui s’adresse en majeure partie cet article. La manière qu’il a d’habiter (le club, donc) est bien souvent terriblement passive. L’individu en question va bien souvent se poser pas loin des enceintes devant le DJ en attendant que les grosses basses d’un énième collectif qui passe tout le temps à Paris fassent monter sa drogue. Et pour contrecarrer ce schéma attendu, il reste encore la musique, qu’on peut profiter d’aller chercher tout seul (voire même de faire soi-même) comme un grand au lieu de la subir continuellement, maintenant qu’on a tout le temps. Et slalomer ainsi entre les algorithmes Youtube, Boomkat, Soundcloud, j’en passe et des meilleures.
Qui sait, quand toute cette merde sera finie, vos goûts seront tellement affinés et votre sens du curating tellement affirmé que vous aurez peut-être contribué à créer une scène, voire même à aider des projets fragiles mais auxquels vous croyez dur comme fer, afin qu’ils puissent enfin trouver des dates et exister un peu médiatiquement. Nan je déconne, mais ça vaut quand même la peine d’essayer.
Le cul
Oui bon, là, en dehors de la virtualité des plans cam, des sites du cul, des sextos et de son imagination, il faudra surtout compter pour le réel sur sa main droite (pour les Messieurs), ses doigts (pour les Madames) et ses sextoys (pour les deux j’imagine). Surtout qu’un ami gay me souffle que sur Chaturbate on trouve pas mal de mecs en descente très seuls et très horny. Ce qui nous amène au point suivant.
Trouver la bonne drogue
Alors, déjà, il y a tous les plans safe, à savoir tous les sites plus ou moins bidons de drogue sonore, mais aussi des trucs moins évidents comme le yoga en ligne ou BFM TV en boucle, qui devraient vous relaxer ou vous mettre un gros coup d’angoisse au cul, selon le trip que vous recherchez.
Sinon, pour les plus coquins, sachez que vous pouvez toujours commander de la drogue, mais que vous prenez le risque que celle-ci soit contaminée comme le reste (en plus d’aller directement dans le nez hein). Certes, vous pouvez toujours la faire chauffer pour tenter de tuer le virus, mais personne n’a prouvé jusqu’ici l’efficacité de cette méthode. Pire, vous risquez de faire cramer votre coke, que votre appart pue le crack comme un samedi soir à la Colline, que les flics débarquent et que vous vous retrouviez en GAV le nez dans la pisse.
Ou alors, pour les plus hardis encore, vous pouvez tenter de fabriquer votre propre drogue. Mais bon, encore une fois c’est à vos risques et périls, et pas sûr que vous trouviez tous les ingrédients nécessaires comme ça dans la nature ou que vous puissiez vous les faire livrer tranquillement. Et si ça ne marche pas, il restera toujours de l’eau écarlate au fond d’un placard quelque part. Mais si vous en arrivez là, c’est que vous devez être bien désespéré, et que vous privilégiez visiblement une défonce de merde (et accessoirement très nocif) à la dignité humaine. Ce qui nous amène à notre dernier point.
Lire des livres
Si vous arrivez à court de drogue, de sexe virtuel ou que vous commencez à entrevoir le bout du rouleau de cette solitude dévastatrice, jetez un oeil autour de vous, et munissez-vous des quelques livres qui pourraient trainer là – vous pouvez même les ouvrir et commencer à les lire. Vous pourrez alors éprouver le plaisir de contredire Blaise Pascal quand il dit que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre. »
Ou alors redécouvrir Philippe Muray, qui nous éclairait déjà il y a vingt ans sur les conditions du fêtard moderne, en nous expliquant comment le pseudo idéal de la rave n’entraînait absolument pas de renversement des identités, mais permettait à chaque individu de s’aimer avant tout soi-même et d’accepter sans broncher sa propre condition sociale. À ce moment-là, vous ne vous collerez peut-être pas contre des individus moites en attendant la mort dans un entrepôt à Issy-les-Moulineaux sur de la drum’n’bass mal coupée, mais vous aurez sûrement enfin appris quelque chose.
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