Culture

Comment je suis devenu ultra

Comment je suis devenu ultra

Chaque week-end en France (sauf quand les préfectures et la Ligue de football professionnel en décident autrement), ils sont des milliers à donner vie aux tribunes des stades de foot. Ils dépensent un peu de leur temps et surtout de leur argent pour réaliser de magnifiques tifos, ou pour se déplacer dans l’Hexagone, et même en Europe, afin de porter bien haut les couleurs de leur club. Ils, ce sont les ultras qui selon la définition qu’en donne Franck Berteau dans Le Dictionnaire des supporters, « sont une catégorie de supporters qui s’organisent en associations pour soutenir leur équipe de manière active par un ensemble d’animations sonores et visuelles. »

Mais comment passe-t-on de simple supporter à ultra ? Comment passe-t-on de la passion au fanatisme ? « Pour le dire de manière un peu schématique, il existe deux modes d’entrée dans les tribunes », répond Nicolas Hourcade, sociologue à l’Ecole centrale de Lyon et spécialiste du monde des tribunes. Ceux qui y arrivent via des copains, quand ils sont adolescents ou jeunes, et qui font parfois des carrières express dans les groupes de supporters. Et ceux, plus nombreux, qui vont au stade en famille ou avec des proches depuis qu’ils sont enfants ou qui s’intéressent énormément à leur équipe via les médias et qui veulent rejoindre la tribune du stade qui bouge le plus, généralement à l’adolescence. » On se rend dans un kop ou dans un virage pour diverses raisons poursuit ce spécialiste des supporters de football : «parce que l’on a envie de s’émanciper des parents en tribune, parce qu’on a été ébloui par le spectacle proposé ou parce qu’on veut participer activement à l’ambiance pour jouer le rôle de douzième homme. »

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Même son de cloche concernant le fait de rejoindre un groupe de supporters. « Là encore, les motivations de chacun sont extrêmement différentes », enchaine-t-il. On y va évidemment pour se retrouver entre passionnés, mais « certains veulent surtout participer à l’animation de la tribune ou adorent les déplacements, quelques-uns ne jurent que par l’élaboration de tifos, tandis que d’autres encore apprécient l’organisation de la vie associative ou la défense d’une vision du football. Sans oublier le fait de faire la bringue avec les potes et parfois de se battre avec les supporters adverses. Cela peut agréger des gens socialement très différents et c’est d’ailleurs ça qui fait la richesse de ce milieu. »

Quelques ultras – des supporters actifs en somme –, ou anciens ultras des tribunes et groupes français ont accepté d’expliquer comment et pourquoi ils étaient arrivés au stade ou s’y étaient investis. Il est question de famille, de frissons et bien sûr de football.

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©J. Demarthon / AFP

Jean, la trentaine, ex-virage Auteuil

« Ma passion pour le PSG, elle est arrivée à la fin de l’école primaire. Je n’ai jamais eu de poster de joueur et je n’étais pas vraiment en mode maillot de foot, mais j’ai commencé à suivre toutes les rencontres de Paris à la radio ou à la télévision, à faire des fiches de l’équipe, à me jeter sur le journal le lendemain de chaque rencontre pour y voir les notes des joueurs.

Quand j’étais au collège, mon club de foot grattait régulièrement des places pour aller au Parc des Princes via le Conseil régional. Si je me souviens bien, ma première expérience dans ce stade a été un PSG-La Corogne de Ligue des champions en 2000. On perd la rencontre 3-1 en jouant comme des merdes, tout le monde autour de moi était dégoûté, mais moi j’étais subjugué par le virage Auteuil, qui jouxtait la tribune où je me trouvais. Des centaines de gars debout qui gueulaient à l’unisson, un boucan pas possible alors que le club n’était pas en super forme. Et puis il y avait l’odeur et la lumière des fumigènes… Je n’ai pas réussi à décoller les yeux de ce spectacle de malade et me suis dis que je serai moi aussi un jour là-bas pour encourager mon équipe.

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Photo publiée avec l’autorisation de l’US Orléans

Arnaud, 36 ans, cofondateur et ancien président des Drouguis de l’US Orléans

Mon père a commencé à m’emmener au stade de la Source lors de la saison 1988-1989, année de la deuxième épopée du club en coupe de France. Mon premier souvenir précis est une rencontre Orléans-PSG. J’étais debout sur deux canettes pour voir le match au-dessus de la main courante. Le même jour, dans l’après-midi, avait eu lieu la catastrophe d’Hillsborough et ma mère était assez paniquée. Nous avons continué à aller au stade jusqu’à la rétrogradation administrative de l’USO en 1992. De pilier de la D2, on s’est retrouvé en championnat amateur pendant une longue période… C’est dans ce contexte que j’ai rencontré quatre copains avec qui j’ai cofondé les Drouguis le 5 novembre 2004. On ne se prenait pas toujours au sérieux (en témoigne par exemple le nom du groupe !), mais on souhaitait vraiment soutenir notre équipe de manière active par le biais de chants et de tifos pour tenter d’influer le résultat des rencontres et évidemment accélérer le retour d’Orléans dans le football professionnel.

Je voyais aussi un groupe ultra comme une sorte de syndicat dans le monde du foot, par lequel on peut revendiquer certaines choses au niveau du fonctionnement et de l’évolution de son club, de son identité, des tarifs, et plus largement de sa façon de voir le football, un foot moins marchandisé. Si nous sommes aujourd’hui 200 adhérents et une petite institution à l’US Orléans, nous n’étions qu’une quinzaine à nos débuts, mais rares sont les enceintes des clubs amateurs où nous n’avons pas posé un bout de bâche.

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©N. Tucas / AFP

Romain, 38 ans, Ultramarines Bordeaux depuis 1991 et membre du directoire

Comme beaucoup, ma première fois au stade était avec mon père, en 1988. J’ai vécu mon enfance à deux kilomètres de Lescure [ou Chaban-Delmas, l’ancien stade des Girondins de Bordeaux, ndlr] et c’est tout naturellement que j’ai suivi les Girondins. J’ai connu le Virage Sud avant la descente du club en D2 car l’un de mes cousins était un des fondateurs des Ultramarines. En grandissant, j’ai eu plus de liberté pour me rendre au stade avec les copains de ma résidence. Nous étions plusieurs et nous profitions des places offertes par le Conseil général pour rentrer gratuitement au stade, et plus particulièrement au cœur de l’ambiance du Virage Sud.

Pourquoi suis-je devenu un supporter actif ? Parce que j’ai toujours suivi les matches de football et j’ai toujours été fasciné par le monde des tribunes. Cette capacité à rassembler des centaines ou des milliers de personnes pour ne faire qu’un et animer un kop et soutenir l’équipe… On dit souvent qu’il existe un classement des supporters : ceux qui chantent le plus fort, ceux qui se déplacent le plus, et partout, et ceux qui font les plus beaux tifos. J’ai tout simplement voulu apporter ma pierre à l’édifice. Mon investissement à été totale durant 20 ans avec presque 300 déplacements à mon actif, en France et à l’étranger. Et aujourd’hui, la relève poursuit le travail…

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©J. Demarthon / AFP

Inès, 25 ans, ancienne abonnée au Virage Auteuil-Tribune G


Je suis tombée dans le foot en 1998 avec la coupe du monde. Un de mes grands frères supportait le PSG et naturellement, après avoir supporté l’équipe de France, je me suis mise à supporter Paris. On regardait tous les matches à la télé, on allait à la boutique sur les Champs, on lisait 100% PSG chaque mois… Mais je n’avais jamais eu l’occasion d’aller au stade, mes parents n’étant pas fans de foot. Et puis mon frère a pris un pass pour plusieurs matches avec un pote à lui. Quand ce dernier n’a pas pu assister à l’un deux, j’ai pu y aller. J’ai tout de même pas mal négocié avec ma mère le matin même de la rencontre car j’avais 13 ans quand même. Elle a fini par accepter et le soir je réalisais un de mes rêves. Quelques mois après j’y retournais une deuxième fois et la saison suivante beaucoup plus régulièrement. C’est en allant au Parc que j’ai découvert les tribunes et leur ambiance. J’étais très admirative du dévouement des ultras, tous leurs sacrifices, l’argent, le temps, la famille. Un peu naturellement, on se met à chanter et à participer aux animations mais il ne faut pas oublier que le fait d’être une fille au stade te met forcément dans une situation particulière. Comme les groupes sont composés d’une très grande majorité de mecs, il faut se faire sa place, montrer qu’on est là pour la même chose qu’eux, qu’on s’y connaît aussi.

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@D. Charlet / AFP

Mehdi, 32 ans, ancien de la tribune Marek du stade Bollaert et des parcages

Mon amour pour Lens me vient de ma famille. J’ai commencé par regarder les matches à la télévision, avant de souler mes parents, mon père particulièrement, pour qu’ils m’emmènent à au stade car selon eux j’étais trop jeune et on habitait trop loin pour que j’y aille tout seul. C’était quelque chose que je ne pouvais faire qu’exceptionnellement. Lors de mon premier match au stade, j’avais 11 ans. Ce jour-là, je n’ai regardé que le match. Après Lens, c’est Lens et il y a un truc particulier par rapport à l’ambiance et c’est donc naturellement j’ai commencé à m’intéresser aux tribunes. J’étais adolescent et je voulais vivre des moments haletants. Au stade, voyais des phases où les supporters se mettaient dos au terrain et sautaient tous ensemble. J’étais loin de la tribune Marek où ça se déroulait, mais je percevais quelque chose de violent dans la manière de faire et ça m’intéressait.

J’avais envie de savoir qui étaient ces mecs, d’où ils sortaient, comment ils faisaient pour organiser ces chorégraphies là… J’ai tapé les noms des bâches sur Internet, j’ai tapé ultra et j’ai vu qu’ils étaient organisés. Je me suis arrangé pour prendre ma première place en Marek et pour aller leur parler directement. J’y suis allé pour satisfaire un truc personnel, j’avais envie de vivre des trucs différents. Et comme j’étais complètement dingue du RC Lens, ça se rejoignait. Je pouvais vivre ma passion, voir tous les matchs du club, aller en déplacement tout en vivant un truc qui, en tout cas de l’extérieur, dégageait une impression de sensations fortes.

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