Je suis obsessionnel, c’est dans ma nature – j’ai toujours adoré l’acidité.
Je me rappelle de cette fois, je devais avoir 20 ans : Barbara Lynch, cheffe chez No. 9 Park, m’a fait boire une tasse de vinaigre. C’était juste pour tester. C’était ce genre de fois où, vous savez, il y a une saveur que vous ne connaissez pas qui vient taper sur votre palais de la bonne manière et laisse une empreinte indélébile.
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Je ne supporte pas la nourriture qui n’est pas équilibrée. La plupart du temps, quand il manque un truc dans un plat, c’est un élément d’acidité. Je sais que la majorité des chefs seront d’accord avec moi. Bien sûr, pas mal de monde sale sa nourriture pour faire ressortir les goûts mais pour moi, c’est l’acidité qui ouvre une toute nouvelle dimension à notre palais. C’est ce que j’ai compris quand j’ai goûté à ce vinaigre dans la cuisine de Barbara – et encore plus quand rencontré Erwin Gegenbauer à Vienne 15 ans après, le mec qui a fabriqué le vinaigre en question et celui qui, par extension, a modifié mes goûts pour toujours. Celui qui est à l’origine de ce goût à jamais fixé dans ma tête.
Les cornichons, ça me rend fou : comment prendre un super-produit et le gâcher en le plongeant dans du vinaigre de merde. Le vinaigre blanc, c’est vraiment le mal.
Mon parcours, c’est un amalgame de tellement de trucs, c’est difficile de le résumer de manière linéaire. Je découvre un centre d’intérêt, je m’investis à fond et quand je bloque sur quelque chose que je ne comprends pas immédiatement, ça m’énerve vraiment. J’ai toujours eu un esprit analytique. Par exemple, le peu que je sache sur le vinaigre (je fabrique ma propre cuvée depuis quelques années chez moi), je l’ai appris grâce aux autres. Je ne voulais pas être un de ces autodidactes qui pensent tout savoir. J’ai donc beaucoup voyagé pour rencontrer des personnes qui trempent dans le vinaigre depuis des générations – si ce n’est des milliers d’années.
S’il y a un tel écart de popularité entre le vinaigre et le vin, c’est surtout pour des raisons culturelles. La plupart des gens ne réalisent pas à quel point c’est dur de fabriquer du vinaigre et donc ils ne comprennent pas la véritable valeur de ce produit. Aux États-Unis, par exemple, le vinaigre est merdique ! Je n’ai aucun problème à employer le champ lexical de la merde pour qualifier le vinaigre qu’on trouve chez moi, aux États-Unis, parce que c’est un fait : il est vraiment fait avec des produits de merde. Si vous regardez en détail, vous trouverez dans sa composition de l’éthanol pourri (souvent à base de maïs), dilué avec de l’eau et sans aucune valeur ajoutée. Les fabricants n’en ont rien à carrer de notre santé ni des facultés réparatrices de ce produit. Pas d’âme. Pas d’histoire. De la merde !
Il n’y a qu’une seule recette de vinaigre dans mon livre et il s’agit d’une recette de base qui s’étale sur 10 à 12 pages et qui explique comment contrôler des variables simples. Maîtriser l’art de la fabrication du vinaigre ne veut pas forcément dire apprendre une toute nouvelle compétence, mais plutôt perfectionner celles que vous possédez déjà. Le temps et la patience sont les ingrédients principaux qui composent ce divin nectar. Et toute sa complexité se résume à ces éléments. Il faut se donner les moyens de connaître comment piloter et diriger la deuxième fermentation, ou même la première si vous réalisez cet alcool de base, et comprendre vos propres goûts ainsi que les nuances que vous souhaitez amener dans votre composition. Fabriquer du vinaigre, c’est un voyage très personnel. Vous réalisez la complexité sous-jacente de cette tâche quand vous vous rendez compte qu’il est impossible de reproduire exactement le même vinaigre 2 fois. C’est la même chose que pour le vin dans la mesure où on cherche un terroir ou une expression particulière. Je sais que c’est surfait aujourd’hui d’utiliser ce vocabulaire quand on parle de de produits singuliers mais je ne pense pas qu’il y ait une seule manière pour définir la saveur du vinaigre ou même ce à quoi il ressemble ou devrait ressembler.
Je ne pense pas que j’aurais pu écrire un livre sur le vinaigre sans y inclure une recette pour en cuisiner. Tous les chefs qui auraient voulu savoir comment on fait l’auraient balancé à la poubelle. Parmi les personnes que je cite dans mon livre, seul un faible pourcentage d’entre eux produit son vinaigre soi-même ou sait comment faire. Les chefs sont ceux qui ont la capacité de réaliser leur propre vinaigre le plus facilement et qui, en plus, peuvent influencer les autres. Ce sont donc des personnes qui, je l’espère, feront la promotion d’un meilleur vinaigre dans notre pays et même dans le monde !
Propos recueillis par Alex Swerdloff. Cette interview a été réécrite pour des considérations de clarté et de longueur.
Michael Harlan Turkell est un photographe culinaire récompensé et un auteur de livre de recette. Il a illustré de nombreux livres de recettes pour de célèbres chefs et anime l’émission The Food Seen sur Heritage Radio. Il est également l’auteur de Acide trip : Voyages dans le Monde du Vinaigre et le coauteur de Offal Good: Cooking from the Heart, with Guts avec Chris Cosentino.