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Comment la B.O. de « Sonic Adventure 2 » a transformé ma vie en une orgie sonore ininterrompue

L’année de mes 10 ans, mes parents m’ont envoyé dans un internat du Suffolk – une région pittoresque de l’est de l’Angleterre qui a récemment été immortalisée dans l’insupportable morceau « Castle On The Hill » d’Ed Sheeran. Ça pourrait être le début d’un film de Wes Anderson mais, croyez-moi, c’était tout sauf mignon et cool – c’était chiant, atrocement chiant. Je me souviens d’avoir fait semblant d’être excité par la coupe du monde de football 2002, d’avoir utilisé du déodorant pour la première fois de ma vie et de m’être fait chambrer parce que je ne savais pas faire de roller. Mais je me souviens surtout d’avoir joué à Sonic Adventure 2 sur Nintendo Gamecube matin et soir.

Quinze ans plus tard, cette longue période passée en internat a fini par payer : j’ai une éducation irréprochable, je suis au chômage et j’arrive péniblement à joindre les deux bouts grâce à Deliveroo. Je suis également sur le point de venir une nouvelle fois à bout de Sonic Adventure 2, auquel je n’avais pas joué depuis plus d’une décennie – et force est de reconnaître que toute nostalgie mise à part, le jeu n’est vraiment pas terrible : le gameplay est terriblement frustrant, les niveaux intermédiaires de « chasse au trésor » niquent complètement le rythme du jeu et le scénario pseudo-apocalyptique est franchement ridicule.

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Mais la bande-son est, elle, absolument inattaquable.

Tous les nerds professionnels et les fonctionnaires de la pop culture vous diront que la B.O. de jeu vidéo définitive est celle de Super Mario Bros. Et c’est vrai – pour les gens qui ont grandi dans les années 80. Mais pour ceux qui, comme moi, ont touché pour la première fois une console de jeu entre la toute fin des années 90 et le tout début des années 2000, « Escape From The City » de Sonic Adventure 2 est LA référence absolue. Certains l’aiment tellement qu’ils ont même lancé une pétition pour qu’il remplace Star-Spangled Banner et devienne le nouvel hymne national américain.

Techniquement, « Escape From The City » n’est pas le titre principal de Sonic Adventure 2 – ce serait plutôt « Live & Learn », qui déchire aussi – mais c’est le premier « vrai » titre qu’on entend dans le jeu (pour peu qu’on choisisse de commencer le jeu avec Sonic et pas avec son alter-ego maléfique, Shadow). Et c’est un putain de monument.

Sonic Adventure 2 se déroule dans un monde où le hair metal n’est pas mort – et ce n’est pas une figure de style : parmi les artistes qui ont participé à la bande-son, on trouve en effet Ted Poley de Danger Danger (qui ont eu un petit hit en 1990 avec « Bang Bang »), Paul Shortino de Rough Cutt (un obscur groupe californien des années 80 dont la bio Wikipédia est tellement flatteuse qu’elle a dû être écrite par un membre du groupe), et Tony Harnell qui a joué dans le groupe norvégien TNT et a même (brièvement) fait partie de Skid Row.

Mais ne vous attendez pas à trouver ici du pur glam metal pour autant : si les éléments principaux sont bien là, on sent également d’évidentes influences punk et « alternatives » (ou tout du moins ce qu’on taxait d’ « alternatif » à l’époque) donnant à l’ensemble des airs de rock FM intelligent. À commencer par le fabuleux « Escape From The City » qui, avec son tempo échevelé, son intro à la basse et ses power chords imparables, renvoie directement aux plus grandes heures du pop-punk.

Plusieurs compositeurs ont participé à la B.O. de Sonic Adventure 2, mais le principal reste Jun Senoue. Senoue – qui compose pour Sega depuis 1993 et qui a démarré avec l’obscur RPG Dark Wizard et la série des Worldwide Soccer – était déjà responsable de la bande-son du premier Sonic Adventure en 1998. Alors qu’il travaillait sur le B.O. de NASCAR Arcade en 2000, il a formé le groupe semi-fictif Crush 40 avec le chanteur Johnny Gioeli – même si, techniquement, le nom Crush 40 désigne en réalité Senoue et les-musiciens-qui-bossent-avec-lui-sur-le-moment. (« Escape From The City », qui figure sur l’unique album du groupe paru en 2003, est chanté par Ted Poley et Tony Harnell et non Gioeli – et contrairement à la version du jeu, il ne tourne malheureusement pas en boucle indéfiniment).

Si la B.O. de Sonic Adventure 2 repose principalement sur ce hair metal punkifié, elle ne se limite pas non plus à cela. En fait, on peut diviser les thèmes musicaux de Sonic Adventure en deux catégories : ceux directement liés aux personnages et ceux associés à des niveaux de jeu, comme « Escape From The City »).

Tails « Miles » Prower – le sidekick de Sonic, petit renard humanoïde craintif – est ainsi symbolisé par « Believe In Myself », un titre stimulant des Bangles musclé par les guitares de Senoue. Amy Rose, petite amie auto-proclamée de Sonic, hérite de « My Sweet Passion », morceau pseudo-funk aux paroles cryptiques. Et le thème le plus mémorable de Sonic Adventure 2 hors rock revient à Knuckles l’échidné rouge : un hilarant titre hip-hop intitulé « Unknown From M.E. » que les fans du jeu adorent autant qu’ils détestent. À noter que Hunnid-P, le rappeur qu’on entend sur le morceau, déclare ne jamais avoir reçu « ni paiement ni remerciements » de la part de Sega pour son travail sur la B.O.

C’est toutefois sur les thèmes des personnages ennemis que Sonic Adventure 2 exploite au maximum les tendances musicales de l’époque. Le « E.G.G.M.A.N. » du Dr. Eggman sonne par exemple comme un titre enregistré par un sosie de Dio dans le studio de Trent Reznor, et le thème de Shadow, « Throw It All Away » mêle couplet Rob Zombie et refrain Papa Roach. Seule exception : la chauve-souris Rouge, illustrée par « Fly In The Freedom », un titre aux inflections lounge garanti 0 % Family Values Tour. C’est d’ailleurs un des meilleurs titres de la B.O. – et ce n’est absolument pas une coïncidence.

Sega a toujours cherché à créer des jeux en phase avec leur époque. C’est ce qui a fait à la fois la force et la faiblesse de la société, lui permettant par exemple de toucher le grand public au début des années 90, une époque où un jeu mettant en scène Michael Jackson n’était pas nécessairement une mauvaise idée et où des termes tels que « Blast » ou « Xtreme » sonnaient plutôt pas mal, mais l’entraînant aussi à commettre des erreurs monumentales.

La B.O. de Sonic Adventure 2 est une des plus belles réussites du genre et un parfait condensé du paysage musical du début des années 2000. Ça a aussi été, pour des gens comme moi, une porte d’entrée vers les sonorités moins mainstream et plus exigeantes du punk et du hip-hop. Et si j’en crois les nombreuses discussions alcoolisées que j’ai pu avoir avec des inconnus à propos de « Escape From The City », je suis loin d’être un cas isolé. Plus globalement, la bande-son de Sonic Adventure 2 m’a donné l’impression d’être cool, à un moment de ma vie où être cool était tout ce qui importait. Et pour un simple jeu vidéo, je ne sais pas vous, mais moi je trouve que c’est déjà beaucoup.


Morgan Troper est une journaliste basée à Portland, Oregon.