Environnement

Comment la pandémie a changé l’Antarctique

man staat in een bevroren landschap met een korte broek aan

Matt Williams est arrivé en Antarctique le 15 janvier 2020 pour prendre la direction de la station de recherche australienne Mawson, dans l’Est du continent de glace. Deux mois plus tard, il voyait l’Australie entrer dans son premier confinement à cause du coronavirus. Mais alors que de nombreux événements étaient annulés et que des magasins fermaient, de l’autre côté de la planète, la vie de Williams n’a pas connu de véritable changement. Il continuait à travailler, est devenu ami avec un pingouin qui s’appelle Smudge, traînait sur la terrasse du bar de la station, célébrait la Gay Pride, et a même piqué une tête dans les eaux glaciales.

De nombreux habitants de l’Antarctique ont vécu plus ou moins la même histoire au cours des derniers 18 mois. Alors que la majorité de la planète commençait à se confiner en mars 2020, l’Antarctique était (à ce moment-là) le seul endroit épargné par la pandémie. Au milieu des monts enneigés, des vastes plateaux et des plages de glace, des scientifiques et des chercheurs affectés en station se sont retrouvés protégés du terrible virus, ne voyant les rigoureux lavages de mains, l’isolement soudain et les symptômes de leurs proches malades du Covid qu’à travers les récits des amis restés à des milliers de kilomètres.

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Dans les stations du continent, les résidents s’installaient pour passer un hiver ensemble, sans distanciation sociale. Aller vivre en Antarctique à cette époque n’implique pas seulement de prendre votre parka et de vous préparer mentalement à endurer des températures très négatives. Après d’intenses quarantaines et des tests anti-corona, l’Antarctique ouvre les portes de ce que certains pourraient qualifier de véritable luxe : la liberté sans restrictions pandémiques.

En se réfugiant loin de la pandémie, dans un isolement délibérément choisi, les habitants de l’Antarctique ont réussi à maintenir une socialisation moins risquée avec leurs proches voisins de manière bien plus régulière que le reste du monde au cours de l’année passée. Cela dit, le continent sur lequel ils vivent a continué de lutter sous le poids des pressions diplomatiques et autres inquiétudes environnementales. Les tensions autour des droits de pêche en Antarctique, les financements, la construction de bâtiments et bien d’autres choses se sont intensifiées alors que les rencontres internationales étaient annulées ou qu’elles se faisaient en ligne. Cela a eu pour effet de rendre le système de gouvernance de ce continent, déjà fragile et complexe, encore plus délicat. « La pandémie a souvent renforcé et accéléré les tendances qui existaient déjà avant », explique Alan Hemmings, professeur à l’université de Carterbury, en Nouvelle-Zélande.

Les étranges luttes auxquelles l’Antarctique a été confronté pendant cette année de pandémie se reflètent dans le retour des chercheurs dans leurs pays d’origine, tous frappés par la pandémie. « Cette fois-ci, la réadaptation qui a suivi mon retour à la maison a été très différente. Je suis rentré depuis plusieurs semaines, mais mon esprit est toujours en mode apprentissage et réaction, expliquait Williams, rentré en Tasmanie le 13 avril 2021. Nous avons quitté un monde en partant pour l’Antarctique, et nous en trouvons un autre bien différent en revenant. »

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Williams avec des pingouins empereur.

Antoinette Traub, technicienne en approvisionnement auprès de la Fondation nationale pour la Science des États-Unis, est arrivée sur le continent blanc en décembre 2020, et elle restera au sein de la Station Amundsen-Scott Pôle Sud au moins jusqu’en novembre 2021. Quelques mois après elle, c’est l’hiver qui est arrivé en Antarctique. Les températures ont commencé à baisser sous les moins 50 degrés Celsius, et le continent a été enveloppé par les ténèbres de l’hiver. Chaque année, les vols qui vont et viennent de l’Antarctique sont rares entre mars et octobre. « Le dernier vol [depuis Amundsen] est parti en février, dit-elle. On ne verra pas de nouveaux visages et on n’aura pas le moindre fruit frais avant le mois de novembre. »

Malgré le manque de soleil, Traub et ses collègues ne chôment pas. Les habitants se retrouvent tous les jours à la salle de sport pour quelques étirements matinaux, le chef cuisinier de la station s’assure que tout le monde mange bien et les ciné-marathons sont fréquents. « Nous avons actuellement 3 ciné-marathons en cours à la station, raconte Traub. Tous les Kubrick, les David Fincher et les films de l’univers Marvel, dans l’ordre. Là, on est sur 2001 : l’Odyssée de l’espace, Zodiac et Thor. » Un jour par semaine, Traub est aussi bénévole dans la serre hydroponique de la station.

Antoinette Traub a également un compte TikTok suivi par plus d’un million de followers. « Mes parents me demandaient souvent des nouvelles, donc je me suis dit que le meilleur moyen de leur montrer mon quotidien était de passer par un réseau social, explique-t-elle. Je n’imaginais pas que ça aurait un tel succès. » On peut ainsi suivre la vie quotidienne de Traub en Antarctique sur TikTok, et on est vraiment loin du quotidien de la plupart de ses followers. Elle fait de longues balades au milieu des glaciers, de drôles d’expériences scientifiques et travaille beaucoup. Lorsqu’elle était sur la station américaine McMurdo, Traub se promenait avec des pingouins. Ses tâches quotidiennes sont différentes d’un jour à l’autre. Parfois, elle doit organiser les ordures de la station pour les renvoyer aux États-Unis (aucun déchet ne peut rester sur le continent), d’autres fois, elle vérifie les stocks de la station et approvisionne ce qui manque aux différents départements.

Katharine Smith, une collègue d’Antoinette Traub, est elle aussi technicienne en approvisionnement, et vit en Antarctique depuis septembre 2020. C’est la troisième fois qu’elle vient séjourner sur le continent. « Nous avons dû prendre des précautions pour que le Covid n’arrive pas en Antarctique, et les populations présentes sur toutes les stations sont restées très réduites. La construction a par exemple été suspendue, explique Smith. Cette année, je crois qu’il y a eu au maximum 400 personnes à McMurdo [alors que la station peut accueillir plus de 1 000 personnes], et Amundsen-Scott est montée à 61 habitants sur 150 possibles. » Cela rend les importantes recherches menées sur ces stations d’autant plus difficiles. La réduction des équipes a également eu un impact scientifique, selon Martin Wolf, physicien allemand spécialiste des astroparticules, actuellement affecté sur Amundsen-Scott pour étudier les neutrinos. Les programmes et les activités « ont été largement reprogrammés pour les années qui viennent, après la pandémie ».

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Antoinette Traub et Katharine Smith.

Même dans ces conditions, Smith a su tirer profit du temps passé sur place. « J’ai lancé des ballons météo, j’ai conduit un camion Delta, j’ai vu le parcours de Mercure à travers un télescope, j’ai volé jusqu’au pôle Sud dans le cockpit d’un LC-130, j’ai vu des pingouins et des bébés phoques, raconte-t-elle. C’est facile de croire que tout est acquis ici puisqu’on est immergé dedans 24/7. » Et d’ajouter : « Je suis dans cette bulle à l’abri du Covid depuis presque un an maintenant. Ici, la vie me paraît normale. »

« Pour être honnête, j’avais besoin de limiter un peu les rencontres et autres événements sociaux pour avoir un peu plus de temps pour moi, pour recharger les batteries », explique Erin Heard, directrice américaine de la station McMurdo pendant l’hiver, après avoir passé la majorité de la période de pandémie en Antarctique ou en route vers le continent blanc.

Dans d’autres stations, les habitants ont ressenti peu ou prou la même chose. « Beaucoup de gens nous ont dit qu’on avait choisi le meilleur moment pour partir, pour aller se réfugier dans le coin le plus isolé du monde. Et d’une certaine façon, ils ont raison, explique Williams, directrice de la station australienne. Pendant 16 mois, jusqu’à notre réapprovisionnement et le premier contact avec une personne venue de l’extérieur, nous n’avons pas eu besoin de mettre en place de distanciation sociale, de nombre limité de personnes dans les salles de sport, de contraintes lors des événements réunissant plusieurs personnes, que ce soit des repas ou des sorties en groupes. Ce qui se passe dans les stations antarctiques est très différent de tout ce que l’on peut imaginer depuis chez soi. Mais on a quand même fait plus ou moins ce qu’on espérait faire et ce qu’on s’attendait à devoir faire. On a aussi eu la chance de ne pas craindre pour notre santé personnelle, parce qu’on savait qu’on était suffisamment isolés pour que le Covid n’arrive pas jusqu’à nous. »

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La terrasse du bar de glace de la station.

Mike Brian, directeur de la station britannique de recherches Rothera, en Antarctique, était déjà sur place quand la pandémie a commencé, et il est rentré au Royaume-Uni en mai 2020. Quelques mois plus tard, il retournait en Antarctique, et n’est rentré chez lui que très récemment. Certains de ses collègues ont passé presque toute la durée de la pandémie en Antarctique et viennent tout juste de quitter le continent. « Ils n’étaient pas loin de passer complètement à côté de la pandémie, raconte Brian. Quand ils sont rentrés chez eux, le vaccin avait déjà été mis au point et il était en circulation. »

Le quotidien des habitants de Rothera était assez similaire à celui de leurs camarades états-uniens. Après la journée de travail, Brian et ses collègues regardaient des films, faisaient du sport et se baladaient sur le littoral. Ils faisaient également des fêtes : « Il y avait un ceilidh [kaylee], un bal traditionnel écossais dans lequel les gens dansent et sont en contact. » En général, comme l’explique Brian, « on pouvait s’asseoir les uns à côté des autres et profiter du fait d’être ensemble de manière très détendue. Et on se sentait vraiment privilégiés par rapport au reste du monde ».

Malgré cette liberté relative, il a été difficile pour les habitants de l’Antarctique de passer cette année loin de leurs proches et de leur pays natal. Le grand-père d’Antoinette Traub est décédé à cause du Covid en avril 2020. « Il a été l’un des premiers morts sur le millier comptabilisé en Californie, donc ma famille a vraiment souffert », explique-t-elle. Traub a obtenu son diplôme universitaire quelques mois plus tard et a dû retourner habiter chez ses parents lorsqu’elle a perdu son travail, un petit boulot à temps partiel dans une brasserie locale, avant de partir pour l’Antarctique. Son frère a été en première ligne pendant la pandémie en tant que secouriste, et ses parents ont été testés positifs en décembre.

« Avec la pandémie, l’atmosphère politique, les manifestations et les catastrophes naturelles, à l’époque on avait le sentiment que le monde partait en sucette, explique Heard. Je me suis sentie plus loin des miens que d’habitude, comme si j’étais sur une autre planète. »

La pandémie n’a pas trop perturbé le séjour sur le continent de l’équipe de Williams – les habitants de la station australienne ont vu leurs familles souffrir de loin. « Nous étions des spectateurs relativement impuissants pendant que nos proches luttaient pour supporter leur nouvelle réalité et tous les facteurs inconnus liés à la pandémie, dit Williams. On pouvait les soutenir moralement, mais en vérité, on n’avait aucun contexte, aucune accroche avec la réalité qu’ils vivaient, et on n’était pas contraints de vivre le quotidien de ceux qui étaient dans le monde de la pandémie. Cela pesait lourd, pour nous et nos proches. »

« Il faut vraiment beaucoup compter sur la ‘famille de la glace’ et sur le soutien des collègues, parce qu’on ne peut rien faire de plus. On est bloqués », explique Smith.

« C’est vraiment très difficile d’être seul en Antarctique. Et oui, on est bien isolés du reste du monde, mais on fait partie d’une communauté solidaire, et tout le monde se connaît », ajoute Brian.

Les stations de tout le continent ont aussi des procédures strictes pour les visiteurs ou les nouveaux employés. Dans les stations états-uniennes, par exemple, Traub a été testée trois fois pour le Covid et a passé un mois en quarantaine dans un établissement géré par le gouvernement néo-zélandais avant d’arriver sur le continent. En arrivant à la station McMurdo, tout le monde devait prendre sa température quotidiennement et faire un bilan de santé à la fin de la première semaine. Après, la liberté. « Si je me fie à ce que j’ai entendu et à ce que j’ai vécu, le programme Antarctique états-unien et ses participants ont pris les précautions contre le Covid bien plus au sérieux que les gens et les établissements au pays, explique Smith. Même après tout l’isolement qu’on a dû vivre pour venir ici, un avion qui arrivait à la station pendant l’été déclenchait une ‘condition jaune’, autrement dit, des groupes spécifiques pour les repas, le port du masque obligatoire, un nombre de personnes limité, des événements annulés et la distanciation sociale. Ici, tout le monde respecte les règles et personne ne conteste le port du masque. » Ces règles rigoureuses ont porté leurs fruits : aucune station de recherche américaine en Antarctique n’a eu le moindre cas de Covid-19. « Parfois, j’ai l’impression que j’ai vraiment eu de la chance d’être ici plutôt qu’aux États-Unis », ajoute Traub.

Le programme Antarctique de l’Australie a demandé des contrôles réguliers similaires et des quarantaines. Ils ont également annulé les vols intracontinentaux entre différentes stations et planifié leurs protocoles d’urgence au cas où une crise viendrait à éclater. « C’est un effort colossal, mais indispensable », d’après Williams.

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La station Mawson sous l’aurore australe.

L’activité humaine a certes réduit en Antarctique au cours de l’année écoulée, mais le continent ne cesse de changer. L’an dernier, il a battu des records de température en dépassant les 18 degrés Celsius. La glace a continué de fondre : au mois d’avril 2021, des scientifiques avertissaient que le Glacier Thwaites, le plus grand glacier du monde, fait actuellement la taille de la Grande-Bretagne, et qu’il risque de disparaître. De nouvelles recherches ont montré que la fonte de la couche de glace de l’Antarctique occidental aurait un impact sur le monde entier en faisant augmenter le niveau de la mer d’environ 90 centimètres.

Le réchauffement climatique n’est pas la seule pression externe qui a pesé sur l’Antarctique au cours de l’année passée. Les manœuvres diplomatiques et la volonté de certains de s’emparer des ressources présentes en Antarctique n’ont pas cessé de représenter des menaces importantes. En ce qui concerne l’impact physique de la pandémie, le coronavirus a finalement réussi à s’introduire en Antarctique : la station de recherche chilienne Général Bernardo O’Higgins Riquelme a fait état de dizaines de cas en décembre 2020, marquant ainsi la présence du virus sur tous les continents. L’Australie travaille actuellement sur les plans d’une piste aéroportuaire dans l’Antarctique oriental, mais les scientifiques disent que cela devrait augmenter l’impact humain sur le continent d’environ 40 %. En janvier 2020, alors que la pandémie se répandait silencieusement, un avion de la Navy néo-zélandaise a aperçu un navire russe qui péchait dans une zone protégée de l’Antarctique ; la controverse a duré plus d’une année et la Russie a toujours nié ces accusations.

Ce n’est cependant pas la première fois que les velléités russes d’extraction des ressources en Antarctique provoquent la consternation générale. Mais cette pêche illégale s’est produite à un moment où l’industrie faisait l’objet d’examens approfondis : la pêche en eaux antarctiques est l’un des plus gros points de discorde autour du continent. Au croisement entre la diplomatie et la protection environnementale, certains pays ont accusé la Chine et la Russie d’exploiter les ressources du continent pour en tirer profit, et même de profiter de l’absence de surveillance au cours de l’année passée. La Chine est actuellement en train de construire le plus grand navire de pêche au krill du monde, et elle a récemment bloqué une proposition de restreindre la pêche en Antarctique à la région du Glacier de Pine Island, malgré le fait que la pêche au krill soit très préjudiciable à l’écosystème du continent. La Russie espère doubler les revenus qu’elle tire de l’exportation de produits de la mer en partie grâce à la production et à la vente de krill en conserve venu d’Antarctique. Certains chercheurs ont déjà mis en garde sur le fait que la pêche pourrait anticiper ce qui pourrait se dessiner à l’avenir en termes de droits d’extraction minière, une activité actuellement interdite par le Traité sur l’Antarctique.

L’Antarctique est un lieu unique notamment parce qu’il est gouverné par un système de traités, géré collectivement par 29 pays qui ont le statut de « parties consultatives ». Presque toutes les décisions prises au sujet de ce continent ou des eaux qui l’entourent doivent faire l’objet d’un consensus. Ainsi, chaque année, ces pays se réunissent au cours de conférences qui s’étalent souvent sur plusieurs jours, pour discuter, débattre, négocier et conclure des accords relatifs à des questions comme la pêche, la gouvernance, la protection environnementale, les projets en cours et à venir, et bien d’autres choses. La pandémie a bouleversé cette tradition et plusieurs propositions et autres projets sont restés au point mort, alors que les stations ont cessé de se rendre visite les unes aux autres et que les rencontres internationales ont été reportées ou se sont tenues par écrans interposés.

À bien des égards, la diplomatie virtuelle est incompatible avec la gouvernance traditionnelle du continent blanc. Le contact face à face peut s’avérer vraiment important lorsqu’il s’agit de trouver un accord sur un sujet clivant, expliquait Klaus Dodds, professeur de géopolitique à la Royal Holloway, Université de Londres : « Il est plus facile de faire obstruction lors de réunions en ligne… parce que vous ne devez pas regarder la personne dans les yeux en la croisant dans les couloirs après un vote ou un débat, vous n’allez pas à des réceptions où vous serez questionné sur telle ou telle décision gênante ou maladroite. » Lors des réunions tenues en chair et en os, Dodds expliquait que, « comme on peut l’imaginer, une grande part de la diplomatie avance grâce à des conversations informelles », c’est-à-dire des rencontres dans un couloir, en fumant une cigarette ou autres.

Il convient également de noter que les distances se sont creusées entre les différentes parties prenantes à cette administration continentale (les scientifiques et autres personnes travaillant en Antarctique, les universitaires et les leaders internationaux) au cours de l’année passée. « Au fil de la dernière décennie, nous avons assisté, en Antarctique, à un cloisonnement croissant des relations, explique Hemmings. « Le confinement dû à la pandémie a des conséquences sur tout le système. Sur les points d’engagement formels discutés lors des réunions diplomatiques, mais également sur tous les processus en amont comme la capacité à reprendre des réflexions internes de la communauté scientifique. »

En octobre dernier, la Commission sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), qui surveille la pêche, la navigation de plaisance et la protection marine dans l’océan Austral, a tenu sa conférence annuelle en ligne. Si l’on peut vraiment se réjouir que cet événement ait tout de même pu avoir lieu, certains participants étaient déçus par le fait que le programme soit très limité, et les avancées sur certaines questions comme le changement climatique et les zones de protection marine quasi inexistantes. D’après Birgit Njastad, présidente du Comité pour la Protection environnementale, (CEP), cette rencontre en ligne « n’était pas un environnement propice à la discussion ». Cela a eu des conséquences dans la vie réelle. De nombreuses propositions de sanctuarisation de zones en Antarctique étaient prêtes à être examinées et approuvées l’an dernier par la CCAMLR, l’un des organes du Traité sur l’Antarctique, mais en partie à cause de la pandémie, ces processus de sanctuarisation sont restés au point mort.

Les personnes en charge de la planification au sein du CEP reconnaissent toutefois que les rencontres en réel ne résoudront pas tout. Et pour leur prochaine rencontre, en plus des difficultés logistiques comme la mauvaise connexion à Internet, les problèmes de traduction et les histoires de fuseaux horaires, Hugues s’attend à être déçu par la faiblesse des travaux réalisés. « Je crois qu’on est bien conscients du fait qu’on va devoir faire des efforts dans ce domaine, et on espère tous pouvoir se retrouver en personne en Allemagne, en 2022, pour vraiment retrousser nos manches et se mettre au travail. »

Les recherches actuelles en Antarctique sont également au point mort. Avec la pandémie, des pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis ont réduit leurs efforts de recherches et leurs programmes en Antarctique. « Le volume des activités en Antarctique sera bien inférieur à la normale », ajoute Hugues. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont les deux leaders des recherches menées sur le Glacier Thwaites, sur lequel on suit les conséquences du changement climatique en surveillant la fonte des glaces et l’impact sur la planète. Mais pendant la pandémie, la collaboration entre ces deux pays « a été totalement mise en pause ».

« En fait, cette saison, on a surtout fait de la maintenance, explique Brian, qui travaille du côté britannique de la calotte. On a pu faire les choses qu’il fallait absolument faire, le minimum, mais il est clair que les programmes scientifiques ont connu un ralentissement important. »

Et les habitants de l’Antarctique ont eux aussi des difficultés : Daniela Liggett, professeure associée à l’université de Canterbury, en Nouvelle-Zélande, a envoyé un sondage à plus de 400 chercheurs en fin d’année dernière, demandant quelles avaient été les conséquences de la pandémie sur leur travail, leur famille et leur santé mentale. Comme beaucoup de gens autour du monde, les chercheurs ont déclaré que leur productivité avait baissé et leur anxiété avait augmenté. Mais dans un papier qu’elle a publié pour le Comité scientifique pour la recherche en Antarctique, Liggett déclare que les chercheurs en début de carrière, et particulièrement les femmes, ont été les plus durement affectées, et certaines envisagent même déjà de complètement abandonner le terrain. « Les chercheurs en début de carrière ne semblaient simplement pas voir les perspectives et l’avenir de la recherche, puis l’obtention d’un poste et enfin leur diplôme », explique Liggett. Très vite, « nous devrions arriver à un point où il n’y aura pas assez de jeunes chercheurs pour reprendre le flambeau et remplacer les vieux qui partiront à la retraite. Que ce soit à cause du Covid ou à cause des réductions de financements. »

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Aujourd’hui, alors que le monde revient progressivement à la normale, les personnes qui sont actuellement en poste dans les stations du continent ressentent vraiment cette différence. « C’est une page importante de l’histoire et je passe complètement à côté : le monde qui renaît lentement, raconte Traub. Voir les restaurants qui rouvrent leurs portes, retrouver des amis ou des parents que je n’ai pas vus en personne depuis des mois… Mais en même temps, je sais que j’y aurai droit quand je rentrerai à la maison, à la fin de l’année 2021. Et même si c’est un moment fondamental dans l’histoire, ça n’en est pas moins un événement stressant. Et moi j’échappe totalement à ce stress. » Lorsqu’elle rentrera à la maison, l’une des premières choses que veut faire Antoinette Traub, c’est se faire vacciner. « C’est réconfortant de voir le nombre d’adultes qui se font vacciner aux États-Unis, dit-elle. J’ai bon espoir que les choses soient revenues à une certaine normalité quand je rentrerai au pays. »

En Antarctique, « la normalité » serait d’avoir retrouvé le niveau d’activité d’avant la pandémie. Et on en est encore loin. Avant le Covid, en été, plus de 74 000 touristes se rendaient en Antarctique. En 2020 et 2021, il n’y a eu qu’une poignée de visiteurs. Il est encore difficile de dire si cette « année blanche » due à la pandémie aura des conséquences environnementales positives sur le continent, d’après Hugues, car il faut beaucoup de temps à cette terre pour se remettre des épreuves passées. Pour les chercheurs et les universitaires qui travaillent dessus, les diplomates qui le gouvernent et pour le continent lui-même, l’Antarctique post-pandémie est assez trouble. Pour Dodds, « la véritable question est de savoir, étant donné que la diplomatie va rester en visio au moins encore cette année, à quoi réfléchissent les parties prenantes du Traité sur l’Antarctique en matière d’innovation pour essayer d’améliorer l’expérience qu’ils ont connue l’an passé. »

Williams est retourné en Australie, où le nombre de cas de corona été faible. Il goûte aujourd’hui à l’expérience de la pandémie à travers les résidus d’une époque. « À la toute fin de notre expédition, lorsque tout était prêt pour qu’on rentre chez nous, on a dû passer de zéro à cent en un clin d’œil. On a dû revenir à un monde qui avait complètement changé, et qui était épuisé par l’épreuve qu’il venait de traverser. La distanciation sociale, les masques, les procédures lorsque l’on va faire les courses, les contraintes de déplacement, le gouvernement qui flique le moindre de vos mouvements, les attentes de la société en matière de contact et d’intimité… »

Certains collègues de Brian étaient même réticents à l’idée de quitter le continent. « Tu ne peux pas te cacher du reste du monde, mais les gens n’étaient pas très enthousiastes à l’idée d’aller dans le monde du Covid, explique-t-il. Ce retour à la maison a été quelque chose de fort. »

« En toute honnêteté, je me suis senti quasiment comme un extraterrestre arrivant sur une planète inconnue », dit Williams.

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