Culture

Comment la série russe «Here I Come» contourne la censure anti-lgbtq+

Foto’s door Svetlana Engel en Nadja Sveir

À Moscou, la scénariste Liza Simbirskaya (31 ans) et le réalisateur Andreï Fenochka (27 ans) ont lancé Here I Come, une série pour ados dont les protagonistes font partie de la communauté LGBTQ+. Sauf qu’en Russie, les ados ne sont pas autorisé·es à regarder ce genre de contenu. Afin d’esquiver la censure et la loi anti-gay, Here I Come a été publié sur YouTube avec une restriction d’âge « 18+ ».

En Russie, l’homosexualité était encore considérée comme un crime jusqu’en 1993 et classée comme une maladie mentale jusqu’en 1999. Quant aux crimes homophobes, ils ont augmenté de façon spectaculaire depuis 2013, soit depuis que le Kremlin a adopté la loi sur « L’interdiction législative de la propagande homosexuelle en Russie auprès des mineurs » pour tenter de défendre ce que Poutine appelle les « valeurs traditionnelles » de la Russie. Cette loi interdit toute « promotion de relation sexuelle non-traditionnelle auprès des mineurs ». Elle est régulièrement utilisée pour sanctionner les militant·es LGBTQ+ et sert de base pour limiter le contenu LGBTQ+ en Russie, sous prétexte que cela stimulerait les sentiments homosexuels chez les jeunes. 

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Les pièces de théâtre, films, livres et comptes Instagram LGBTQ+ russes sont censurés et surveillés de près. Si une pièce de théâtre avec des scènes LGBTQ+ est jouée, les passeports du public sont vérifiés. Il y a aussi toujours un risque que des militant·es pro-Kremlin interrompent la pièce. La scène ne doit pas nécessairement être explicite, il suffit qu’un·e personnage fasse son coming-out auprès de ses parents pour que ça tombe sous le coup de la loi anti-gay. En publiant la série sur YouTube, les créateur·ices de Here I Come, évitent pas mal de soucis, mais ça ne veut pas dire qu’iels ne courent aucun risque.

La loi anti-gay donne évidemment lieu à beaucoup de censure, mais celle-ci ne va pas que dans un seul sens. Pour Liza, l’autocensure est un plus grand problème. La plupart des travailleur·ses de l’industrie cinématographique craignent d’avoir des problèmes avec la police ou avec le ministère public. 

VICE a parlé à Liza et Andreï de cette loi et de leur série web.

VICE : Salut Liza et Andreï. Sur quoi porte votre série ?
Andreï :
Ça parle d’un étudiant arménien qui vit à Moscou et travaille comme livreur de pizza. Un jour, en plein Moscou, il se retrouve à embrasser un garçon. Avant ça, il n’avait jamais éprouvé de sentiments homosexuels, mais pour lui, c’est pas vraiment un drame ou une grande surprise. La série montre plutôt comment il hésite à en parler à ses potes et à sa famille. Le style narratif de notre série est du genre « Fly on the Wall », on ne voulait pas faire une série dramatique sur des personnages queer ; on voulait faire une série sur des gens ordinaires qui pourraient être nos voisin·es, nos collègues,… Je voulais montrer que ces personnages sont juste des personnes ordinaires. 

Liza : Pendant qu’on préparait la série, une amie lesbienne m’a dit : « S’il vous plaît, ne faites pas une enième histoire dark sur la misère de la communauté LGBTQ+. » On voulait pas montrer des personnages queer en lutte avec leur sexualité, on sait déjà que c’est difficile d’être soi-même en Russie si on est ouvertement gay, trans ou queer. J’ai décidé d’écrire une histoire à propos d’un étudiant qui était un peu au bout du rouleau, une histoire d’amour, d’amitié et d’acceptation. C’est beaucoup plus intéressant et amusant pour nous, en tant que cinéaste, d’envoyer un message positif et plein d’espoir.

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Liza et Andrey, photo de @ph.alinaester

Pourquoi vous avez choisi le format d’une série web ?
Liza :
Je ne voulais surtout pas travailler avec de grandes boîtes de prod. Les principaux thèmes qu’elles mettent en avant ne m’intéressent pas. Les grandes productions préfèrent faire des films ou des séries sur le passé et l’histoire soviétique et ne mettent en avant que des hommes blancs, cisgenres, riches et leurs femmes qui vivent à Moscou, et les problèmes de riches qui vont avec. C’est pas mon truc, je vis dans le monde moderne. Je veux faire des histoires sur les jeunes adultes et les ados – et je ne peux pas écrire sur ce sujet sans apporter de la diversité. J’ai décidé de faire quelque chose par moi-même ; et donc de faire passer un message que je trouvais important.

Andreï : Quand on a décidé de créer une websérie, j’étais très excité à l’idée de montrer le travail à tout le monde. Si tu fais un court métrage ou un long métrage, il sera sûrement présenté à un festival du film et le public sera très limité. Quand tu crées une websérie, sa portée est beaucoup plus diversifiée mais aussi plus grande. On a beaucoup plus de liberté sur internet. 

« Certaines personnes ont refusé de jouer un personnage queer, d’autres nous ont dit qu’elles étaient contre les droits LGBTQ+. »

Comment vous avez approché les acteur·ices ?
Andreï :
La première chose qu’on a dite aux gens qu’on voulait caster, c’était que la série allait être LGBTQ+. S’iels n’étaient pas OK avec ça, ça s’arrêtait là.

Liza : Certaines personnes ont refusé de jouer un personnage queer, d’autres nous ont dit qu’elles étaient contre les droits LGBTQ+.

Andreï : On a eu beaucoup de mal à trouver un acteur qui convenait pour l’un des personnages du premier épisode. On devait trouver un homme d’un certain âge qui se sentait à l’aise dans une série LGBTQ+ et qui voulait bien jouer le rôle d’un sans-abri. Beaucoup d’acteurs qui correspondaient à la description n’ont pas voulu jouer le rôle de sans-abri, à cause de la stigmatisation des sans-abris en Russie. On a fini par trouver un bon acteur. Il était vraiment fou, mais dans le bon sens. Non seulement sur le plateau, mais aussi dans la vraie vie, il était imprévisible. Chaque scène filmée avec lui était différente.

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L’acteur qui jouait un personnage homosexuel avec l’acteur qui jouait le sans-abri. Photo : Svetlana Engel

À la fin du casting, on avait environ dix options pour chaque personnage. D’ailleurs, on n’a pas choisi de mettre l’acteur·ice qui collait le plus pour chaque personnage, mais plutôt de rassembler les personnes qui allaient le mieux ensemble dans un même groupe. On trouvait ça très important que les acteur·ices sur le plateau se sentent à l’aise les un·es avec les autres.

Vous étiez préoccupé·es pour votre propre sécurité ?
Liza :
J’étais particulièrement préoccupée par celle de nos acteur·ices. Certain·es travaillaient avec des enfants et pouvaient se retrouver dans une situation compliquée à cause de cette loi. Je pouvais aussi perdre mon travail. Je suis scénariste de dessins animés pour enfants. Iels auraient pu me renvoyer en pensant que je voulais influencer les gosses avec mes idées. Rien ne s’est passé jusqu’à présent, même s’il y a toujours un risque.

Andreï : Je tiens à ajouter qu’on ne peut jamais se sentir 100% en sécurité en Russie. On peut quitter notre appartement pour aller faire les courses et tout à coup se faire arrêter. On a mis une restriction 18+ sur notre série web, mais si quelqu’un se plaint, la police trouvera toujours quelque chose à utiliser contre nous. On a la liberté de faire ce qu’on veut jusqu’à ce que quelqu’un dise que ça dérange et qu’une plainte soit déposée. La loi plaide en faveur de la personne plaignante.

« On a mis une restriction 18+ sur notre série web, mais si quelqu’un se plaint, la police trouvera toujours quelque chose à utiliser contre nous. »

Il y a eu des moments où vous avez eu peur ? 
Andreï :
Tout le monde était très nerveux pour la scène du baiser. Elle a été filmée dans le centre de Moscou, près du Kremlin. Le bâtiment dans lequel nos acteurs ont dû s’embrasser fait partie de la propriété de l’église. On a convenu avec l’équipe de répéter vite fait et de filmer la scène en une seule prise. Mais une fois sur place, on a fini par en prendre cinq ou six. Si tout le monde était si préoccupé par cette prise, on devait être sûr·es que ça en vaille la peine. Heureusement, tout s’est bien passé, mais on était tou·tes nerveux·ses

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Photo de Svetlana Engel

Liza : Quand on a filmé la scène du baiser, deux types nous ont fixé·es et se sont foutus de nous. J’ai demandé à nos acteurs s’ils voulaient que je leur dise quelque chose, ou si on devait faire une pause. Mais ils ont dit que ça ne les dérangeait pas. Je les ai trouvés très courageux.

Andreï : La scène du baiser était à peu près la seule scène potentiellement offensante. D’ailleurs, en tant que cinéastes, créer des scènes explicites ne nous intéresse pas spécialement. On veut raconter une histoire ; pas choquer.

On voulait faire quelque chose pour que les ados puissent se reconnaître : job d’étudiant, doutes, amitiés,… Here I Come est une histoire calme qui finit bien. Notre série est là pour donner de l’espoir.

« Pour les autres pays, on dirait qu’on vit dans une autre ère, et c’est dommage. » 

Vous pensez que les Russes auront l’ouverture d’esprit nécessaire pour regarder la série ?
Lisa :
En Russie, la nouvelle génération est plus tolérante que la précédente. Mais on a un passé très lourd et on traîne un grand traumatisme collectif. C’est tout simplement impossible de passer l’éponge – on a passé 70 ans derrière le Rideau de Fer. On a toujours dit à nos parents et nos grands-parents que l’URSS est le meilleur pays du monde et qu’il y a des ennemi·es partout à l’extérieur. Ça laisse des traces sur des générations, les gens se retiennent inconsciemment d’être ouvert·es d’esprit. Iels se souviennent des règles qui rendaient impossible le fait d’être ouvertement gay.

On a besoin de temps pour comprendre et accepter qu’on peut être la personne que l’on veut être. Pour les autres pays, on dirait qu’on vit dans une autre ère, et c’est dommage. Iels tentent de reconstruire un nouveau mur entre la Russie et le reste du monde. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a autant de militant·es en Russie qui luttent contre l’homophobie…

Visionnez la série Web sur YouTube pour soutenir l’industrie russe du film queer et suivez le projet sur Instagram pour voir des photos des coulisses.

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