Jeremy Rose, pépax avec ses plantes. Photo : Kavin Wong.
Si vous vous intéressez ne serait-ce qu’un tout petit peu au rap, au R&B et/ou aux coupes de cheveux à plateaux, il est probable que vous ayez entendu parler de ce canadien qui s’appelle The Weeknd. Vous savez sans doute également qu’Abel Tesfaye, l’homme qui se cache derrière ce savant nickname, est un employé de chez American Apparel âgé de 22 ans. Il s’en est hyper bien sorti en très peu de temps – notamment en faisant ami ami avec Drake, en se faisant une jolie place à l’affiche de Coachella et en remixant un morceau de Lady Gaga. Tout ça, moins d’un an après la sortie de sa première mixtape gratuite qu’on avait foutue en album du mois à l’époque : House of Balloons.
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Le tsunami de hype qui a déferlé sur lui ces douze derniers mois a commencé avec la sortie de trois morceaux : « What You Need », « Loft Music » et l’incroyable « The Morning ». Les amateurs les plus attentifs se souviennent peut être que la production de ces super chansons avait été attribuée, à l’origine, à un mec nommé Jeremy Rose, qui ne travaille plus avec Abel aujourd’hui. Jusqu’ici, personne ne savait vraiment ce qui s’était passé ni comment cette séparation s’était produite.
Les quelques fans de Weeknd et autres journalistes musicaux amateurs de ce style d’ambient-R&B ont par la suite été informé que la rupture était officielle, à cause de prétendues « différences créatives ». Jeremy produit désormais sous le pseudo Zodiac et toute mention de son nom a été effacée de la version définitive de House of Ballons.Après notre interview, j’ai essayé de contacter Abel pour voir s’il avait quelque chose à ajouter. Un membre de son entourage répondant au nom de « XO » m’a répondu, via Facebook, qu’Abel n’avait « aucun commentaire à faire ».
VICE : Raconte-nous ton parcours. Quand as-tu commencé à faire de la musique ?
Jeremy Rose : Je suis né à Halifax, en Nouvelle-Ecosse et j’ai vécu dans le coin, surtout à Dartmouth, jusqu’à mes dix ans. C’est un peu une ville de merde, donc mes parents, mon frère et moi avons migré vers Chatham, dans l’Ontario. J’y ai vécu jusqu’à mes 21 ans. Chatham est une petite ville entourée de champs de maïs. Il n’y a rien à faire. À part prendre de la drogue ou devenir mère de famille à 14 ans. Là-bas, la scène musicale est composée de gamins qui jouent du screamo de merde. Je ne me sentais pas trop à ma place, donc je me suis barré à Toronto. J’avais l’intention de faire de la musique, mais j’ai mis des plombes avant de commencer. J’ai toujours pris mon temps.
Comment as-tu rencontré Abel ?
Ma meuf travaillait au Poutini’s House et j’avais pour habitude de traîner avec des Australiens qui bossaient là-bas aussi. C’est là que j’ai rencontré Abel. Je leur montrais des trucs faits sur Ableton et je leur ai joué le beat de « What You Need ». Ça faisait deux ans que j’avais ce beat et je ne savais pas quoi en faire. Bref, Abel était là et il a commencé à freestyler par dessus.
C’était la naissance de The Weeknd.
Ouais, c’est là que je lui ai demandé s’il voulait qu’on bosse sur un truc – j’avais cette idée d’un projet R&B un peu sombre. Je crois que j’en avais parlé à Curtis Santiago [aka, Talwst, un mec de la scène R&B de Toronto], mais il bossait sur d’autres projets. Abel semblait être le partenaire idéal.
On peut dire que c’est toi qui a conceptualisé le son de The Weeknd ? Parce que les trois premières chansons qui ont leaké étaient « What You Need », « Loft Music » et la version originale de « The Morning », qui n’apparaît pas sur House Of Ballons, et qui est bien plus lente que la version mixtape.
Ouais, elle est ralentie et il y a une couche de feedback en plus, du coup ça donne un côté un peu funky. La version présente sur House of Balloons n’est pas de moi. C’est de je-ne-sais-qui, Doc ou Illangelo [qui sont les producteurs officiellement crédités].
Juste histoire d’être bien clairs : les trois premiers morceaux qu’on a entendu de The Weeknd, ceux que Drake a postés sur son blog, ont tous été produits par toi.
Ouais.
Et ce sont les morceaux qui ont initialement attiré l’attention de médias comme le New York Times ou Pitchfork.
Ouais.
Tu as aussi produit « The Party & The After Party », c’est ça ?
Ouais. Mais à l’origine c’était simplement « The Party » qui s’avère être la première moitié de la chanson. C’est dans la deuxième partie que ça devient…
Bizarre.
Ouais, et qu’elle ralenti et tout ? Ça, c’est pas de moi. Ça a été ajouté après par quelqu’un d’autre, et ça m’a un peu énervé. Mais bon, c’est la vie.
Ouais. Quand vous vous êtes rencontrés, la direction créative que prenait Abel était-elle la même que celle qu’il a prise cette année ?
Non. Quand je l’ai rencontré, j’ai entendu quelques trucs qu’il faisait. Vous savez ? C’est sorti une fois qu’il est devenu connu. C’était ce groupe avec lui et un autre producteur et ça s’appelait « The Noise ». C’était du R&B normal, léger et un peu mièvre… [il chante] « Je veux te voir toute nue »… Et je me disais juste : « Putain, c’est quoi cette merde ? Non, mec, il faut qu’on parle de baise, de défonce, de nos tentatives pour niquer des salopes et des râteaux qu’on se prend. Il faut qu’on soit sales. »
Tu as le sentiment que les paroles d’Abel ont changé pour s’accorder avec ton idée du truc ? Tu sais s’il parlait déjà de baise, de pipes et de défonce avant que tu le rencontres ?
Il avait écrit pas mal de textes. Il enregistrait toujours des brouillons dans son Blackberry. Je ne dis pas que c’était un mec un peu vide ou quoique ce soit dans ce genre là. Il avait le sens de l’écriture quelque part en lui, mais il était plus « rap » si tu veux.
Et ce n’est clairement pas un rappeur.
Il sait rapper. J’ai produit un album entier, mais ça n’allait pas dans la bonne direction donc on a effacé la majorité. Il a rappé sur environ un tiers de l’album.
Comment était votre relation à cette époque ? Vous étiez potes ?
On essayait juste de faire de la musique. Et on faisait beaucoup la fête. On est devenus assez proches, on se voyait tous les jours. Au début, ça se passait plutôt bien, mais ensuite, je ne sais pas si quelque chose a changé dans son cerveau ou si c’est à cause des gens qui l’entouraient et qui essayaient d’influer sur lui, mais il a commencé à insister pour qu’on fasse des morceaux de club – ce dont je n’avais pas du tout envie. On a donc fait ce groupe lui et moi, et on s’appelait « The Weekend ». C’est moi qui ai eu l’idée du nom, d’ailleurs.
Où est passé le « e » ?
Eh bien, je suis parti. Il a enlevé le « e ». Il avait insisté pour faire des trucs que je ne voulais pas faire et ç’en est arrivé au point où il ne respectait plus mon opinion. Il voulait que je produise pour lui sans donner mon avis. Et j’étais là : « OK, bah, ça sert à quoi d’être un groupe alors ? » Et lui me répondait « Tu peux être simplement mon producteur » et je lui ai dit : « Tu vas me payer ? » Quand j’ai compris qu’il ne me paierai jamais, je me suis barré. Je lui ai dit : « Prends les trois ou quatre morceaux, je te donne la base, prends-les, mais je ne veux plus bosser avec toi. » J’ai été sympa, mais j’ai ajouté « Je veux juste que tu me mettes dans les crédits », et c’est là que c’est parti en vrille.
Et, bien-sûr, c’est là que ça a explosé et que les bloggeurs se sont mis à parler de votre musique.
On le sentait venir sur les petits blogs et tout, et au moment où j’ai quitté le projet, Drake a lâché les morceaux. Ensuite, il y a eu l’article du New York Times et tout a explosé. Je me suis dit « Putain ». Je lui ai envoyé un mail : « Souviens toi ! Mets moi dans les crédits. »
Il t’a répondu ?
Non. Je n’ai pas eu de nouvelle depuis que le jour où je lui ai dit que je ne voulais plus bosser avec lui.
Quand on fouille un peu sur Google, certains blogs t’attribuent la production – je suppose que ce sont les premiers qui se sont intéressés à vous.
Ouais, mais c’est parce qu’ils nous ont repérés tout de suite – Jeremy Rose et Abel Tesfaye. On a mis du temps a émerger parce qu’il ne s’agissait que de bouche à oreille. Pour ces premiers blogs, je faisais toujours partie du groupe. Puis le New York Times et les grosses pointures se sont mis à s’intéresser à nous.
Ils en parlaient comme d’un genre de projet mystérieux à la Daft Punk je crois. Dans un style « Mais, qui est The Weeknd ? »
C’était simplement Abel et ses morceaux…
Ouais et ce producteur inconnu qui défonce. Beaucoup de gens ont commencé à balancer que 40 [le producteur de Drake] avait fait les arrangements.
Ouais.
Ça t’a énervé ?
J’étais flatté qu’on me compare à 40, mais en même temps, personne ne reconnaissait mon travail ! Je n’ai pas eu envie de trop insister en disant : « Non ! C’est moi qui l’ai fait ! » parce que je me suis dit que ça craignait. Du coup, je n’en n’ai pas trop parlé.
Mais tes amis et ton entourage ne t’ont pas encouragé à te manifester ? À l’appeler ?
Oh, si. Tout le monde autour de moi savait ce qui se passait et trouvait que c’était de la merde. Mais j’essayais simplement de rester calme – je sais qu’Abel et ses potes sont des petites putes. Je ne voulais pas me prendre la tête.
Et Drake ne t’a jamais contacté ? Est-ce qu’il connaît ton existence et le rôle que tu as joué dans le groupe ?
Oui. J’ai entendu dire qu’il savait que j’étais dans le coin et j’ai entendu que le manager de 40 aimait beaucoup ce que je faisais. J’entends ça de pas mal de gens, d’autres producteurs…
Ouais, mais qu’est-ce que ça veut dire tout ça au final ?
Qu’est-ce que ça veut dire ? Filez-moi la thune putain ! [Rires]
Donc tu n’as pas touché un centime sur ce que The Weeknd a sorti ?
Non, pas encore. Je vais travailler là-dessus.