Lorsque j’ai rencontré Afghan Dan il y a trois ans, c’était un jeune homme nerveux âgé de 19 ans et originaire de l’une des villes les plus pauvres de Grande-Bretagne. Très vite, il est devenu l’un des nouveaux visages du grime de Blackpool, une émanation controversée du genre né à Londres. Après avoir attiré l’attention de Wiley et JME, Afghan Dan a collaboré sur des morceaux avec des youtubeurs populaires comme WillNE, tout en donnant des concerts à travers toute l’Angleterre. Puis tout s’est calmé.
Alors que ses contemporains du grime de Blackpool continuaient à capitaliser sur leur célébrité, Afghan Dan a disparu des réseaux sociaux : en janvier 2018, à l’âge de 21 ans, il a été placé en détention provisoire pour de multiples cambriolages qu’il avait commis au cours d’une seule nuit. Assis à l’arrière d’un van de police, alors qu’il essayait désespérément de trouver quelqu’un pour garder son husky adoré, il a compris que ce qu’il venait de faire allait rapidement entrer dans la sphère publique.
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« Je savais que ça allait faire la une des journaux », dit-il alors que nous nous asseyons dans un endroit isolé dans le pittoresque Stanley Park de Blackpool. Il n’avait pas tort. Il sort son téléphone de sa poche et me montre, dans la Blackpool Gazette, un article détaillant les événements qui l’ont conduit en prison pendant un an, après qu’il a été reconnu coupable d’avoir volé des appareils électriques, un fusil à air comprimé et des cartes bancaires.
« Daniel Martin, l’adresse de ma mère, les cambriolages, dit-il en énonçant chaque détail personnel rendu public dans l’article. J’en ai tellement fait cette nuit-là qu’il fallait que je sois arrêté. » Pendant qu’il parle, vêtu d’un survêtement bleu et d’une paire de Nike toute neuve, quelques fans le repèrent. Il baisse la voix : « J’ai tout essayé : les portes de derrière, les cabanes, les voitures… Tout ça sans mettre de gants. J’ai été vraiment imprudent. C’était des trucs de clochard, mais c’est comme ça que je vivais à l’époque. J’étais SDF, je créchais chez un pote. »
Lorsque des musiciens célèbres sont accusés de crime, ils passent des coupures de presse à la crise publique. S’ils sont condamnés, leur comportement peut être en désaccord avec l’image que nous avons d’eux. Mais nous entendons rarement le côté humain de l’histoire – que s’est-il passé dans leur esprit ? Et après la prison, comment se réadaptent-ils ?
Même si Dan gagnait en popularité sur Internet, cela ne se traduisait pas en revenu régulier.
« Entre deux concerts, je devenais impatient et je gaspillais mon argent. Je ne pouvais pas économiser un centime parce que j’avais des dettes à rembourser », se souvient-il. La prison lui a permis de fuir ses problèmes croissants, exacerbés par son combat pour voir son fils de six ans et par la détérioration de sa santé mentale. À l’époque, il ne prenait pas de médicaments pour traiter son TDAH et son trouble de la personnalité, et n’avait plus confiance en lui en tant qu’artiste : « Les gens ne prenaient pas ma musique au sérieux, donc j’ai perdu mon enthousiasme », dit-il en évitant tout contact visuel.
D’un côté, la prison était un moyen d’échapper à l’attention dont Dan ne voulait plus, de l’autre, elle perpétuait cette dynamique inconfortable. « Les gens vous ont vu sur YouTube et ils s’emballent ; ils supposent des choses », dit-il. À la prison Hindley à Wigan, le travail et la lecture l’occupaient : « J’ai lu des livres de développement personnel et j’ai trouvé un job à la blanchisserie. »
Stef Smith, un artiste originaire du quartier d’Old Trafford à Manchester, a fait ses débuts dans le crew de grime Mayhem dans les années 2000. Il a été arrêté au cours d’un cambriolage aggravé alors qu’il avait 20 ans. Comme Dan, il a préféré rester discret. « J’ai quitté l’aile où se trouvaient tous mes amis parce que dehors, j’étais tout le temps fourré avec eux. Alors j’ai préféré passer mon séjour en prison sans eux, pour voir ce que c’était vraiment. »
Même si la prison a marqué une pause dans ses aspirations musicales, Stef pense que c’était une période de transformation : « Si je n’étais pas allé en prison, je serais resté sur mes acquis. J’aurais moins donné de ma personne. Ça a l’air dingue, mais le fait d’être en prison m’a donné une liberté d’esprit et m’a aidé à me débarrasser de mon ego. »
La prison semble également avoir alimenté l’ambition du rappeur Shogun, originaire de Paisley, en Écosse, devenu célèbre grâce à son titre « Vulcan », sorti en 2016. Mais en juillet 2017, il ne s’est pas présenté au tribunal pour un cambriolage qu’il avait commis à l’adolescence et a été arrêté de façon dramatique – littéralement lors d’un soundcheck avant la première de Nas – à Glasgow. Il a été emprisonné en février 2019.
J’ai rendu visite à Shogun vers la fin de sa peine. Je l’avais interviewé une première fois en 2016 et nous étions restés en contact. Le centre pénitentiaire de Low Moss à Glasgow a une esthétique plus proche d’un centre de loisirs que d’une prison, son périmètre étant adouci par des parterres de fleurs bien entretenus. Shogun a changé la date de notre rendez-vous parce qu’il tombait en même temps que son entraînement de foot, sa nouvelle passion. Il m’a expliqué qu’il écrivait sans cesse et avait prévu de sortir de nouveaux lorsqu’il serait sorti. Et pourquoi pas faire une tournée à l’étranger.
Afghan Dan a eu un coup de pouce. Pendant son incarcération, un fan a uploadé ses morceaux sur Spotify et iTunes, ce qui lui a permis de réunir 3 500 euros pour s’acheter des vêtements, un portable et des écouteurs. C’est le retour à Blackpool qui a été le plus difficile. « Après ma libération, je suis allé à Sainte-Anne [un quartier de Blackpool, NDLR], mais je n’y suis resté que trois jours environ », raconte-t-il en s’asseyant pour manger son fish and chips sur la plage. « Tous mes anciens associés me faisaient chier et traînaient dans mes pattes. »
Alors il a passé trois mois à Wigan, accueilli par l’associée de la mère d’un ami. Maintenant qu’il est de retour à Blackpool, il n’a plus de contact avec les autres artistes de grime locaux. Récemment, il a refusé l’offre d’une équipe de management locale qui gère entre autres Little T et Soph Aspin. Il travaille désormais sur un nouvel EP et jongle entre les partenariats Instagram et les revenus du streaming, tout en vivant avec sa sœur. Est-il nerveux à l’idée de recommencer à zéro ? « Ouais, parce que tu ne sais pas où tu en es avec les gens. C’est dur de prendre au sérieux quelqu’un qui a agi comme je l’ai fait. »
Nous regardons le bord de mer, où les vacances scolaires et le beau temps ont attiré des foules d’enfants qui crient de joie en jouant dans l’eau peu profonde. La plupart d’entre eux savent sans doute qui est Afghan Dan, mais personne ne l’a remarqué cette fois-ci. Dan prend une dernière bouchée de son poisson et jette les restes aux mouettes qui affluent. Alors qu’il se lève pour partir, il me dit que le nombre de vues sur YouTube n’est plus sa motivation : « Je veux juste retourner chez les gens que j’ai cambriolés, leur laisser 200 euros et m’excuser. »
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