La fête de la Saint Valentin approche – quelle angoisse, putain. À cette période de l’année, tous les célibataires devraient pouvoir disposer d’un petit bouton sur lequel ils pourraient appuyer en urgence pour esquiver toutes les références à cette fête commerciale sordide. Au lieu de ça, tous les services marketing du monde donnent tous simultanément le pire d’eux même pour nous inonder de publicités de bijoux en toc, de bouquets de fleurs cul-cul et autres boîtes de chocolats en forme de coeur. Si vous tentez de boycotter la Saint Valentin, la Saint Valentin, elle, ne vous boycottera pas.
En fait, je crois que ce que je déteste le plus dans la Saint Valentin, c’est que cela me ramène inévitablement à prendre du recul sur ma propre vie sentimentale – ou devrais-je dire : sur mon absence de vie sentimentale. Loin de moi l’envie de passer pour une grosse dépressive, mais personne ne m’a jamais invité eà un dîner aux chandelles. Jamais aucun homme – flirt d’un soir ou petit copain officiel confondus – ne m’a jamais emmenée dans un bon restaurant. Et quand je dis « bon restaurant », j’entends juste un endroit où quand tu commandes du vin, c’est un sommelier qui vient te le faire goûter. Le genre d’endroit où je devrais un effort pour m’habiller et me coiffer un minimum. En vrai, je ne sais pas comment j’en suis arrivée là, à être toujours toute seule pour la Saint Valentin. Peut-être que c’est parce que je suis toujours fauchée et que j’ai souvent la flemme d’aller plus loin que le Chinois du coin de ma rue. En plus la serveuse me connait bien et me file toujours des des chips aux crevettes gratos.
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Il y a quand même un petit truc qui commence à me faire culpabiliser : plus je vieillis et plus je me rends compte que je connais plus de trucs sur les secrets des différents « burgers spéciaux » de chez MacDo que sur les plats de la gastronomie française. Quand je me retrouve dans une situation de type « filer une bonne adresse de restau à un ami de passage », j’aimerais être en mesure de pouvoir l’orienter vers autre chose que les food-trucks qui stationnent à côté de mon lieu de travail. Mais je garde espoir – ma transformation en véritable gastronome éclairée s’annonce lente et difficile, mais elle est enclenchée. C’est décidé : j’arrête les rendez-vous Tinder foireux dans des bars crados, maintenant, je vais aller uniquement dans des restaurants pour adultes : des restaurants avec des nappes en tissu et des serveurs en costard noir et blanc.
Bon, par contre, il y a juste un petit truc qui coince : je dois avouer que ma vie sentimentale est un peu dans le creux de la vague en ce moment – disons que les mecs ne se bousculent pas pour m’inviter à aller boire un verre (le dernier type avec qui je devais « retourner boire un verre » est parti en Thaïlande). Est-ce c’est parce que je n’ai objectivement personne à regarder dans le blanc des yeux pendant tout un repas que je devrai me priver d’un dîner aux chandelles ? C’est mort. J’apprécie ma propre compagnie, je ne devrais donc pas me sentir obligée d’être accompagnée pour apprécier un dîner : c’est un raisonnement qui tient la route. Voilà, c’est décidé, en préparation de la prochaine Saint Valentin, je vais aller dîner aux chandelles en tête-à-tête avec moi-même. Ce sera tout aussi romantique, voire même plus.
La première chose à faire, c’est de trouver l’endroit idéal. Il me faut un restaurant un peu chicos mais pas trop, histoire qu’il me reste quand même quelque chose pour payer mon loyer à la fin du mois. J’ai donc demandé à des amis à moi, adultes et en couple, de me refiler leur spot préféré. L’un d’eux a mentionné le Little Dom’s dans le quartier de Los Feliz, à Los Angeles, là où j’habite. L’endroit est non seulement agréable et intimiste, mais il paraîtrait que Ryan Gosling y aurait ses habitudes. Impec’.
Un samedi soir, j’ai pris mon enthousiasme et tout ce que je possédais de fierté et je me suis pointée au Little Dom’s. J’avais mis une robe noire assez classe que je n’avais pas portée depuis des années. Non seulement je me suis coiffé les cheveux ; mais je les avais aussi fraîchement lavés. J’avais même pris le temps de mettre du maquillage et du parfum. Il était dix-neuf heures et la salle commençait à se remplir. La plupart des gens venaient par deux, dans l’expression la plus classique du dîner romantique. En apprenant que je n’allais être rejoint par personne d’autre que moi-même, la serveuse a proposé de m’installer au bar. Elle a semblé un peu perturbée d’apprendre que non, je voulais disposer d’une table pour moi toute seule. Sûrement parce que j’allais peut-être risquer de couper l’appétit des autres clients en couple dans la salle, elle a décidé de m’installer dans leur patio extérieur. Il faisait bon ce soir-là, c’est la raison pour laquelle je n’ai pas cherché à faire de scandale. En plus, j’avais vu sur un beau ciel étoilé et c’était le plus petit plus qui venait parfaire l’ambiance romantique. En parlant de romantisme, sur ma table il y avait deux chandelles qui brûlaient. Une fois installée, un serveur est venu me proposer un verre d’eau et un petit panier de pains tout juste sortis du four pour patienter. Il en a profité pour enlever assez habilement la paire de couverts en trop en face de moi.
Après avoir longuement hésité, j’ai commandé le plat qui me semblait le plus mystérieux : un agnolotti au céleri. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était un agnolotti et la description de l’accompagnement ne m’aidait pas beaucoup : «Sugo de champignons fumés et fiore sardo ». Plutôt que de me précipiter sur mon portable pour chercher le sens de ces mots, j’ai fait le choix de rester dans l’ignorance. Il faut bien savoir prendre des risques, parfois. Pour sauver les meubles au cas où l’agnolotti ne me plairait pas, j’ai commandé des petits artichauts grillés en plus en guise d’échauffement. En général je ne prends jamais d’entrée mais là, c’était une soirée d’exception alors autant me gâter. Je l’avais bien mérité. Dans la foulée, j’ai aussi commandé un Moscow Mule. Le cocktail est arrivé dans un mug en cuivre du plus bel effet.
C’est dans ce moment qui a précédé l’arrivée de mon premier plat que j’ai pu réfléchir à la situation que j’étais en train de vivre. Conclusion : la meilleure chose dans le fait que j’étais actuellement en tête-à-tête avec moi-même, c’est que je n’avais pas à me taper les sujets de discussions gênants qui ressortent à chaque premier rendez-vous. Contrairement aux autres clients, je n’avais pas à faire semblant de passer un bon moment, je ne m’inquiètais pas de savoir si la personne en face de moi était ou n’était pas un tueur en série, je connaissais déjà mon avis sur l’avortement et le mariage gay.
Et puis, au moment de faire la liste de mes films et de mes groupes préférés, je n’avais aucune crainte de m’afficher puisque, par définition, j’étais sûr de les adorer aussi. Ma présence ne me mettais pas anormalement mal à l’aise, j’étais la seule à savoir que j’avais les mains moites. Je pouvais littéralement avoir un avis sur tout sans craindre une seule seconde d’être rejetée. Je pouvais être drôle et sociable, là tout de suite, et on ne pouvait pas m’accuser de vouloir attirer l’attention sur ma petite personne. En général, le truc qui fout le plus mal à l’aise, c’est quand il y a un blanc dans la conversation – avec moi-même, aucun risque. Non vraiment, c’était vraiment le meilleur rendez-vous de ma vie et en plus de ça, je me trouvais plutôt sexy.
Quant à mon assiette d’agnolotti, elle aussi était plutôt pas mal : en fait, c’était des ravioles avec une sauce crémeuse aux champignons. Délicieux. Mon artichaut au citron ? Au top également. Le seul truc qui me laissait un petit arrière-goût amer, c’était la gêne liée au fait que j’étais quand même en train de me taper un dîner en solitaire. Les conversations des gens autour de moi battaient leur plein et j’ai commencé à imaginer qu’ils parlaient de moi.
« Tu te verrais toi, venir manger ici tout seul ? Un samedi soir ? Elle est bizarre un peu, non ? Tu penses qu’elle est trop renfermée sur elle-même pour entrevoir une relation avec quelqu’un ? C’est sans doute ça, elle doit se sentir très seule. Je suis sûr qu’elle n’a pas dû laver sa baignoire depuis des mois. » Mais plutôt que de me noyer dans ma paranoïa, j’ai repris mes esprits : personne ne faisait attention à moi. Pour m’en convaincre, j’ai laissé traîner mon oreille sur la table d’à côté. Au final, la seule chose que j’ai retenue de leurs échanges, c’est que leur chien voyait un psychologue et que ledit spécialiste lui avait diagnostiqué une grave dépression. Je ne vois pas pourquoi je devrais me sentir inférieure à des gens qui tiennent ce genre de discussions. Tout comptes faits, à la fin du repas, je commençais vraiment à savourer l’ambiance du lieu et surtout, mon absence de compagnie.
Quelles conclusions tirer de cette expérience de dîner en solo, à quelques gorgées de la fin de mon cocktail à la vodka ? Déjà, j’étais assez fière, ne serait-ce que pour être allée jusqu’au bout. En fait, je crois que j’avais plus peur du regard des autres que de ma propre solitude. Quand on est célibataire, on a tendance à complexer d’être seul et on est toujours un peu soucieux de la pression sociale que cela engendre. Mais à cause de ça, on s’empêche peut-être de vivre et de faire les choses qui permettraient de se sentir un peu mieux dans sa peau. Croire qu’il faut être absolument accompagné pour se faire un bon resto, c’est manquer une bonne occasion de se faire plaisir. Du moins, c’est ce que je retiens de ma soirée en tête-à-tête avec moi-même.
J’ai déjà noté la prochaine dans mon agenda.
Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES FR en février 2016.