Personne ne voulait y croire. Pourtant, dans la soirée du 8 novembre 2016, Donald Trump se retrouve élu président des États-Unis et plonge dans l’inconnu un paquet de monde, dont tous les diplomates étrangers de Washington, D.C. – qui n’avaient pas vraiment prévu ce revirement de situation, ni de plan B.
Jérémie Gallon, jeune diplomate français au Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) – sorte de quai d’Orsay de l’UE – est à une soirée organisée par le Washington Post, quand le centre névralgique de la diplomatie mondiale prend conscience qu’il va falloir apprendre à communiquer avec une administration pour le moins singulière.
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Dans Journal d’un jeune diplomate de l’Amérique de Trump (Gallimard), Gallon raconte cette période de transition incertaine, où personne ne sait comment s’y prendre pour discuter avec le clan Trump. Entre « diplomatie du golf » et balade en Virginie Occidentale, le jeune diplomate auvergnat, désormais rentré au bercail, revient avec nous sur ces mois mouvementés passés à Washington.
VICE : On dit parfois que la ville de Washington change en fonction de l’administration en place, vous l’avez ressenti avec l’élection de Trump ?
Jérémie Gallon : C’est une ville très démocrate, de manière quasi caricaturale, puisqu’elle a voté à 93 pour cent pour Hillary Clinton. Cela montre un degré de déconnexion avec le reste de l’Amérique qui est finalement assez malsain. Quelque soit l’administration, il y a une base de gens à Washington qui viennent du monde entier et qui forment une élite très progressiste. Ceux-là vont rester. En revanche, le jour de l’inauguration beaucoup de supporters de Trump sont venus à DC – des gens qui tranchent beaucoup avec la population habituelle de la ville. Ils avaient probablement peu de moyens et qui avaient économisé pour venir vivre cette « célébration ». Le plus triste, c’était de voir la division entre ces deux Amériques.
Comment expliquez-vous que Washington soit si déconnecté du reste des États-Unis ?
Cela est en partie lié au fonctionnement des institutions. Il faut par exemple s’intéresser à la manière dont le Congrès a évolué. Il n’y a pas si longtemps, les membres du Congrès vivaient à Washington et ils amenaient avec eux leur femme, leurs enfants. Puis cela a évolué. Maintenant ils passent trois jours par semaine à Washington et leur famille reste dans leur circonscription. Ils vivent donc un peu en vase clos entre Congressmen.
En tant que diplomate en poste au moment du changement d’administration, vous avez senti que c’était le néant autour de Trump en termes de politique étrangère ?
D’un seul coup, tous les codes ont été cassés. En règle générale, le nouveau président américain arrive avec un attelage très solide en politique étrangère avec de nombreux conseillers. Mais là, vous êtes face à un candidat élu qui n’a quasiment personne qui le conseille. C’était un peu le néant, donc ce n’est pas simple de trouver des conseillers fiables et des personnes qui peuvent parler en son nom.
Il y a donc une « chasse aux sources » qui s’organise dans Washington ?
C’est exactement ça. Les diplomates et les journalistes étaient un peu dans la même situation, tout le monde était à la recherche de la bonne source. Avant cela, il y avait à Washington, ce qu’on appelle le système des « revolving doors » : dès qu’une administration part, ses membres se recasent dans les think tanks, et quand leur camp reprend le pouvoir, ils retournent dans l’administration. Ce système fonctionnait depuis des décennies, mais là d’un seul coup, les think tanks n’ont plus aucun lien avec l’administration Trump, à part un : l’Heritage, un think tank très à droite. Du coup, tout le monde se met à assister – hypocritement – à des conférences là-bas…
Vous étiez en poste au « Quai d’Orsay européen » quand Trump est élu. Donc vous vous retrouvez à représenter l’UE dans un pays dirigé par un homme qui souhaite la destruction de l’UE. C’est un peu la panique ?
Il n’y a pas eu de préparation d’une victoire de Trump. C’était d’autant plus dur d’être préparés que ses équipes n’étaient pas structurées. Ce qui est terrible avec Trump, c’est quand il est élu, toutes les ambassades et chancelleries n’ont pas de liens. C’est pour ça qu’il se crée une sorte de « diplomatie du golf » assez incroyable. Je m’explique. On s’aperçoit que Trump aime bien les joueurs de golf et qu’il entretient des liens avec pas mal d’entre eux. Donc chaque ambassadeur se demande s’il a dans son entourage un joueur de golf qui pourrait le mettre en contact avec Trump. C’est ce que va faire Shinzo Abe, le Premier ministre japonais.
Vous évoquez dans le livre une certaine Elizabeth, une Républicaine modérée qui n’a jamais vraiment eu d’influence, mais qui revient sur le devant de la scène avec Trump. De nouvelles personnalités émergent avec Trump ?
Elizabeth ne fait pas partie de l’establishment. Ce n’est pas du tout une extrémiste comme Bannon, c’est une Républicaine assez modérée, mais qui n’a jamais été au bon endroit au bon moment. Elle se dit que Trump peut être une opportunité pour elle, parce qu’il est entouré d’incapables en politique étrangère. J’ai vu cela chez beaucoup de Républicains modérés à l’époque : ils étaient partagés entre le fait que Trump avait des positions inacceptables, mais que s’ils n’y allaient pas pour le conseiller, des gens encore plus extrêmes allaient prendre cette place. En gros, ne faut-il pas essayer de limiter les dégâts, plutôt que de laisser des idéologues prendre le pouvoir.
Et ces conseillers ont-ils réussi à limiter les dégâts ?
Non. Trump est resté celui qu’il était dans la campagne. Par exemple, en politique étrangère, il met en oeuvre beaucoup de choses évoquées avant son élection. C’est une politique de rupture. C’est quelqu’un qui veut faire des coups et n’a aucune vision de long terme. Beaucoup de conseillers de Trump se sont dit, je vais aller vers un poste de pouvoir qui va me donner de l’influence et ainsi pouvoir limiter certaines tendances du candidat. En fait, s’il y a eu autant de démissions autour de lui, c’est que la plupart des conseillers s’aperçoivent qu’ils ne peuvent pas avoir d’influence sur lui. Au final, il y a un homme seul qui décide, selon certaines intuitions qu’il a, et continue de faire ce qu’il a fait pendant sa campagne.
Journal d’un jeune diplomate de l’Amérique de Trump (Gallimard), en librairie le jeudi 4 octobre 2018.
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