Cet article a été initialement publié sur VICE Australie.
La folie est une notion polysémique. En matière de drogue, elle désigne le fait de répéter les mêmes erreurs et d’en attendre des résultats différents. C’est la folie qui me force à en prendre contre ma volonté. Je suis incapable d’arrêter. Je suis monomaniaque, comme possédée par un esprit malin dont le seul but est d’obtenir et de consommer autant d’héroïne que possible.
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Et c’est tous les jours pareil : le soir, je jette mes seringues et jure de ne plus jamais y toucher. Le matin, je file chez mon dealer, en pyjama, et j’en achète de nouvelles sur la route.
Ce besoin dévorant de consommer de la drogue m’a mise dans de sacrées galères. J’ai franchi beaucoup de limites. Une fois, un homme m’a étranglée si violemment que j’ai cru mourir. Plusieurs fois, j’ai couché avec un dealer en échange d’un peu d’héro. J’ai eu trois voitures à la suite : la première a explosé parce que j’ai oublié de mettre de l’huile dans le moteur. La seconde a foncé droit dans un mur parce que j’ai piqué du nez sur une route sinueuse. J’ai toujours la troisième, une seringue pleine sur le siège, près de ma cuisse droite, prête à jaillir au cas où les flics m’arrêteraient.
J’ai menti, volé, vendu tous mes biens. J’ai été arrêtée, fouillée, enfermée dans une cellule pendant des heures. J’ai contracté une septicémie qui a bien failli me tuer. Je me souviens encore de l’expression de mon petit frère alors qu’il me regardait me tordre dans mon lit d’hôpital. Je me souviens des quatre médecins qui m’ont dit que j’allais mourir si je me piquais à nouveau. J’ai passé cinq jours à l’hôpital et j’ai marqué au fer rouge le jour où j’en suis sortie.
Certains de mes amis sont morts, d’autres sont devenus cleans. J’ai été clean moi aussi pendant quelques années. J’ai passé sept mois en désintox à l’âge de 29 ans et j’ai reconstruit ma vie. Elle a été belle, pendant un temps. Puis mon cerveau de toxicomane m’a rappelée à l’ordre. Six mois plus tard, j’avais de nouveau une aiguille plantée dans le bras, après une pause de presque trois ans. Six mois plus tard, j’avais perdu tout ce que j’avais gagné pendant ma période d’abstinence. Mon fiancé qui, naïvement, pensait que l’amour était plus fort que la dépendance, m’a quittée. L’album que nous venions d’enregistrer a été mis en stand-by. J’ai cessé de me soucier de tout et j’ai utilisé les efforts qu’il me restait pour me tuer à petit feu.
« J’ai conscience d’être une toxicomane, je comprends le problème et je connais la solution. C’est juste que, cette fois, l’abstinence me fuit »
Je me déteste pour les choses que j’ai faites, mais je continue de les faire. J’ai ruiné Noël. J’ai ruiné les Noëls d’autres familles. Je ne peux pas ouvrir mon courrier sans l’aide de mon psychiatre. J’ai 16 858 mails non lus. J’évite les réseaux sociaux. La dernière fois que j’ai posté une photo de moi sur Instagram, c’était le 25 août 2017. Les innombrables photos de bébés qui apparaissent dans mon feed me mettent mal à l’aise. C’est un rappel constant que je ne fais pas ce que font les autres femmes de mon âge.
Mais je continue d’essayer. J’ai quitté Melbourne pour m’installer à Byron Bay, une étrange petite ville hippie sur la côte est de l’Australie. En trois ans, j’ai séjourné dans 19 cliniques et centres de désintoxication, publics comme privés. Je suis allée au bout de certaines cures, j’ai été expulsée d’autres. J’ai développé un véritable don pour contourner les tests d’urine. J’ai vécu quelques romances et j’ai souffert des conséquences. J’ai essayé le kratom, assisté à des centaines de réunions des Narcotiques Anonymes et suivi scrupuleusement leur programme en 12 étapes. J’ai conscience d’être une toxicomane, je comprends le problème et je connais la solution. C’est juste que, cette fois, l’abstinence me fuit.
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Mais ça n’a pas toujours été comme ça. Je suis diplômée de l’université. J’ai travaillé comme journaliste pendant plusieurs années. J’ai réalisé des documentaires et donné des conférences. J’ai joué dans des groupes, tourné et enregistré des albums. J’ai été amoureuse. J’ai eu beaucoup d’amis, à qui je répondais au téléphone quand ils m’appelaient, ce qui n’est plus trop le cas aujourd’hui. De mes 17 à mes 27 ans – âge auquel j’ai commencé l’héroïne – j’ai été ambitieuse et productive. Une vraie gagnante. Je croyais en moi et en mon talent. J’avais des objectifs. Je consommais beaucoup de drogues marrantes. Je buvais du vin tous les soirs, mais comme tout le monde à l’époque. Mes potes gobaient des pilules, sniffaient des traces, sifflaient du saké et chantaient au karaoké.
C’est pendant un voyage d’affaires en hiver que j’ai réalisé que j’étais physiquement accro à l’héroïne. Je venais tout juste de rompre avec quelqu’un que j’aimais profondément. J’ai commencé à en prendre – directement en intraveineuse – parce que j’étais résignée et que les autres drogues ne me faisaient plus d’effet. Au bout de quelques mois, j’en prenais presque tous les jours. Mais je croyais encore pouvoir arrêter à tout moment. C’est pendant ce voyage, donc, que j’ai commencé à ressentir le manque. Le ski n’a pas aidé. Je me suis sentie malade à en vomir pendant une leçon de snowboard. Dès l’instant où je suis tombée, je me suis dirigée vers le bar le plus proche et je me suis saoulée au whisky. Il n’était même pas midi. J’ai agi comme une idiote. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait.
Pourquoi moi ? Les gens de mon âge étaient tout aussi imprudents que moi, ou du moins, j’avais l’impression qu’ils l’étaient. On m’avait diagnostiquée avec une dépression clinique et de l’anxiété, mais comme beaucoup de mes amis au début de la vingtaine. Alors pourquoi ? Pourquoi ai-je franchi cette ligne invisible et pas eux ?
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J’ai décidé d’essayer quelque chose de nouveau : je pars me sevrer dans un autre pays, la Thaïlande. Je suis en route pour le centre Hope Rehab – celui encensé par Pete Doherty et Cat Marnell. Il se trouve à Sriracha, une ville côtière à une heure de Bangkok. Je suis fatiguée d’avoir honte de ma dépendance. Je suis fatiguée qu’on me dise : « Arrêtez, tout simplement ». Je suis fatiguée de la stigmatisation, de la dissimulation. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens enfin prête à écrire à ce sujet. Je n’ai plus rien à perdre.
J’avale huit valium et prends mon dernier fix dans un coin désolé de Brisbane, près de l’aéroport. J’ai l’impression que ma tête va se détacher et tomber. J’appelle mon petit ami. « Je ne vais pas prendre l’avion. Je vais appeler Billy l’italien et lui acheter assez d’héroïne pour me suicider. » Je ne vois pas l’utilité d’une nouvelle cure de désintoxication. En quoi celle-ci va-t-elle être différente des autres ?
Quoi qu’il en soit, après six cigarettes et une série de vols à l’étalage – mon activité préférée quand je suis défoncée. Butin : deux rouges à lèvres Guerlain, un Tom Ford, un YSL et une paire de lunettes Gucci. Je me retrouve dans l’avion, emmitouflée dans un plaid pourpre de Thai Airways. Je commande un verre de vin rouge et le renverse immédiatement sur mes vêtements. Je m’endors, la tête dépassant dans l’allée. Neuf heures plus tard, j’arrive et aperçois mon chauffeur, une casquette verte « Hope » sur la tête.
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La propriété est belle, des statues et des sanctuaires ornent les jardins, des chats courent un peu partout. Plusieurs heures se sont écoulées depuis mon dernier fix et je me sens mal, alors le médecin, Doug, me donne de la méthadone. Un stagiaire m’offre un t-shirt bleu vif sur lequel est écrit, en lettres jaunes, « Vivons avec l’espoir ». Des gens se présentent et j’oublie immédiatement leurs noms. Une Anglaise me tend une boîte d’insectifuge. Une Allemande me file des Oreos et des Mentos.
On m’a attribué une chambre dans la bâtisse principale. Le personnel porte mes bagages car je peine à monter les escaliers. La pièce est lumineuse et aérée, avec un grand balcon privé qui surplombe l’océan. Je me regarde dans le miroir. Sans surprise, j’ai l’air d’une épave. J’ai les cheveux longs et noirs, mais parce que je dépense tout mon argent dans l’héro, je n’ai pas de quoi payer le coiffeur et les coupe moi-même, de travers. Mes faux ongles en gel sont devenus des croissants de lune rouges.
Je suis censée m’installer et me reposer, mais je ne sais pas quoi faire. Je retire l’étiquette « L’espoir fait toute la différence » de la bouteille d’eau et la colle sur la table basse. Je réarrange mes articles de toilette. Je Skype avec mon copain. Son soulagement est palpable. Je rédige des listes quant à la façon de remettre un peu d’ordre dans ma vie. Plus tard, je reprends de la méthadone et du diazépam, et rampe jusque dans le lit blanc et moelleux. J’ai peur, mais j’ai fait le plus difficile. Je suis là.
Lors de la rédaction de cet article, l’auteure séjournait au centre Hope Rehab, en Thaïlande.