La crise du coronavirus tient tout le monde en otage. Depuis l’annonce du premier confinement en mars dernier, la vie nocturne s’est brutalement arrêtée et des contrôles de police stricts empêchent les ravers de s’évader un peu. Les gens qui essaient quand même de faire la fête doivent être prêts à faire face à des amendes colossales et peut-être même s’expliquer devant un·e juge. Depuis décembre, le montant d’une amende pour une lockdown party peut s’élèver jusqu’à 750 euros pour les participant·es et à 4 000 euros pour les organisateur·ices. Ça n’empêche pas certaines personnes de quand même continuer à faire la fête dans des clubs DIY insonorisés.
VICE a parlé à Jan, Piet et Korneel* de leur club improvisé, de la raison pour laquelle ils l’ont construit et de comment ils arrivent à esquiver les amendes.
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Jan* (34 ans, Flandre Orientale) organise des soirées dans une cave insonorisée de 30m2
Après une demi-heure de route dans la Flandre Orientale, je me gare devant une maison en plein quartier résidentiel. À l’extérieur, rien ne laisse penser qu’il existe un espace insonorisé de 30 mètres carrés sous la maison. Jan y organise des raves pour « ne pas perdre la tête ».
VICE : Quand as-tu eu l’idée de construire un club chez toi ?
Jan* : J’avais déjà cette idée en tête quand j’ai acheté ma maison il y a une dizaine d’années, mais la pandémie a augmenté l’exploitation de ma cave-rave. Avant la crise, on faisait une fête dans mon sous-sol trois ou quatre fois par an. Maintenant, on se réunit un peu plus souvent.
Comment tu l’as construite ?
La masse est le meilleur isolant et cette cave est entièrement souterraine, donc en termes d’acoustique, c’était déjà bon. L’espace fait environ 30 mètres carrés mais il y a moins de 2 mètres de hauteur, donc j’ai installé un système de ventilation. Il y a du plomb dans le système de ventilation, qui absorbe également le son et l’empêche de sortir vers l’extérieur. Si j’y incorpore du charbon actif, cette cave pourrait même être résistante aux radiations nucléaires.
Et en termes de déco et d’installation ?
Comme la cave a déjà une atmosphère plutôt dark, je n’ai pas dû ajouter grand chose à part un système son semi-pro et quelques frigos. Y’a quand même une lampe disco allongée pour l’ambiance et j’ai une autre lampe qui s’allume quand quelqu’un sonne à l’extérieur. Si j’additionne le tout, ça fait environ 5 000 euros d’investis pour mon sous-sol.
« Le premier confinement a été difficile mentalement pour mes potes – surtout celleux sans famille ou partenaire. C’est pour ça que je prends ce risque. »
Les raves sont actuellement interdites. Les amendes sont élevées et, si on t’attrape, tu risques même de te retrouver au tribunal. T’as pas peur de ça?
Je suis prudent. Personne ne gare sa voiture devant la porte et tout le monde entre à des heures différentes. Ce n’est pas comme si 20 personnes se réunissaient ici chaque week-end. Je sélectionne mes invité·es et je n’invite que des personnes en qui j’ai confiance. C’est ce que j’ai appris ces derniers mois : pas besoin de beaucoup de monde pour passer une bonne soirée. Le plus important, c’est qu’on soit sur la même longueur d’onde et qu’on partage les mêmes idées. Même à deux ou trois, tu peux faire une bonne teuf.
Sortir, c’est important pour toi ?
Pour moi et pour mes potes. On a besoin d’être heureux·ses. Lors du premier confinement, j’ai remarqué que mes potes – surtout celleux qui n’ont ni famille ni partenaire – avaient du mal mentalement. C’est pour ça que je prends ce risque. J’ai du mal à me retrouver dans la société actuelle.
Piet* (39 ans, Brabant Flamand) fait des soirées dans une petite construction au fond de son jardin
Quand je gare ma voiture le long d’une route très fréquentée du Brabant flamand, je vérifie si je suis bien au bon endroit. J’ai rendez-vous avec Piet, 39 ans, père de deux enfants. Il travaille dur pendant la semaine. De temps en temps, le week-end, il a besoin de s’amuser. À mon arrivée, la soirée est sur le point de se terminer. Avec ses potes, Piet termine l’after dans un petit bâtiment au fond de son jardin.
VICE : Depuis combien de temps tu as ce lieu ?
Piet* : J’ai acheté les enceintes, la table de mixage et les platines il y a un an avec un ami pour mixer. On avait déjà fait une soirée ensemble pour tester le matériel avant le début du premier confinement. En mars, j’ai décoré la pièce au fond de mon jardin avec le système de son et un peu d’éclairage, le tout pour environ 5 000 euros. Depuis, on a fait genre six teufs.
Combien de personnes pour une soirée comme celle-ci ?
En général, on est entre douze et quatorze. L’espace est de 40 mètres carrés, donc je pourrais y ramener beaucoup plus de monde, mais je n’invite que mes meilleur·es potes. Pendant la journée, on se met d’accord pour manger ensemble et, après, la teuf commence d’elle-même. Si t’en as envie, tu peux continuer jusqu’au matin et si t’es en miettes, tu peux toujours t’isoler et aller te reposer.
« J’espère vraiment que les mesures vont bientôt s’assouplir parce que ça devient ridicule. Tout mon entourage en a marre. »
Vous risquez des amendes salées. T’as pas peur de te faire prendre un jour ?
Non, pour ne pas se faire griller, les portes se ferment dès qu’on lance la musique. Les murs sont bien isolés, donc tu n’entends rien de l’extérieur. Pour que ça reste discret la nuit, les fenêtres sont complètement obstruées. On ne voit rien de l’extérieur. Et tu ne peux pas voir les voitures garées de mes ami·es, parce que l’allée mène à l’arrière de ma maison.
Pourquoi tu ne peux pas respecter les mesures ?
J’ai juste besoin d’un exutoire. Si tu n’as rien à attendre de l’existence, la vie n’est que travail et stress, et ça m’agace vraiment. Après une nuit à danser sur du gros son, je me sens requinqué. J’espère vraiment que les mesures vont bientôt s’assouplir parce que ça devient ridicule. Tout mon entourage est fatigué de ces mesures. On est à peine autorisé·es à voir nos ami·es ou notre famille, mais quand je suis allé soutenir l’équipe de foot de mon fils en Wallonie le week-end dernier, j’ai vu une cantine avec environ deux cents parents qui buvaient des bières. Ça n’a aucun sens.
Korneel* (35 ans, Anvers) fait la fête dans un hangar de 25 m2
Quand je traverse cette zone industrielle d’Anvers, il semble peu probable que des fêtes illégales aient lieu ici de temps en temps. Une route étroite entre deux grandes entreprises mène à une maison avec un grand hangar derrière elle. Dans ce hangar, Korneel, artisan indépendant de 35 ans, a créé son club DIY derrière un faux mur : 25 mètres carrés d’espace où lui et ses potes peuvent être elleux-mêmes.
VICE : Comment t’es venue l’idée de cacher un club sur ton lieu de travail ?
Korneel* : Déjà quand j’étais gosse, je retrouvais mes potes et mes frères après l’école dans le hangar de mon père pour chiller et faire la teuf. Mes parents ont aussi une grosse vie sociale et ont souvent organisé des fêtes ici pour plus d’une centaine de personnes. En septembre, quand la police est venue sonner à cause du bruit alors que je faisais la fête avec ma bulle de dix personnes, j’ai compris que je devais faire mieux.
Autour de ton hangar, on peut à peine entendre la musique et on ne voit pas le club. Comment t’as fait ça ?
La pièce est constituée d’une double charpente en bois. Derrière les panneaux de contreplaqué, il y a deux couches de laine de roche isolante qui ne se touchent pas. Grâce à ça, les vibrations de la musique sont étouffées. On entend seulement un peu les basses. Comme l’acoustique était un peu mauvaise lors du premier test, j’ai suspendu des tapis acoustiques le long des murs et au plafond. Le bar sur lequel est placé le matériel DJ est là depuis 8 ans, mais j’ai acheté de nouvelles enceintes, histoire de faire péter un peu plus.
« C’est chiant de devoir choisir entre ses potes. »
T’as travaillé combien de temps sur le projet et ça t’a coûté combien ?
Si je fais le compte, j’y ai travaillé pendant environ cinq jours et au total et le projet m’a coûté environ 3 000 euros. La construction de la salle en elle-même s’élève à 800 euros. Tous les autres coûts concernent l’installation de la sono et l’éclairage. L’année dernière, on n’a pas pu dépenser notre argent, donc j’ai pu le faire pour ça.
C’est quoi la chose que tu préfères dans ton club DIY ?
Comme il n’y a pas de fenêtres, t’es immédiatement dans l’ambiance à tout moment de la journée. Tu n’as vraiment aucune idée de ce qui se passe en dehors de la pièce. Toutes les fêtes qui ont eu lieu ici sont montées très vite. Tu sens direct que ça manque aux gens de danser et de faire la fête. Que ce soit un rendez-vous avec un date ou avec un groupe de potes : l’ambiance était tout de suite bonne et personne n’avait besoin de boire avant comme c’était le cas avant le Covid.
C’est facile de choisir les personnes que t’invites à une soirée ?
C’est chiant de devoir choisir entre ses potes, mais je reste prudent. C’est fou que la délation du voisinage soit devenue normale, on se croirait en temps de guerre. Je crains aussi qu’il ne faille attendre longtemps avant de pouvoir refaire la fête avec un millier de personnes. Je serai déjà heureux si on peut se réunir légalement en 2021 avec une bulle de vingt.
* Noms d’emprunt. Les vrais noms sont connus de la rédaction.
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