Cet article a été rédigé en partenariat avec Allianz dans le cadre du projet Playmakers et a été créé indépendamment de la rédaction de VICE.
La première fois que j’ai croisé César Ghaouti, c’était chez lui, à Gap. On venait d’avoir le bac et son lycée proposait une prépa gratuite au concours des Instituts d’études politiques. César s’était fait remarquer en justifiant son absence de plusieurs jours par des vacances en famille à Eurodisney, ce qui avait fait rire sous cape plusieurs d’entre nous. Pourtant, à la rentrée suivante, il était bien présent sur les bancs de Sciences-Po Grenoble. Depuis, ce jeune papa a rejoint la discrète cohorte de ceux qui s’évertuent chaque jour, à leur niveau, à faire de la planète un endroit plus vivable.
VICE : Salut César, tu peux te présenter vite fait ?
César Ghaouti : Je m’appelle César Ghaouti, j’ai 28 ans, je fais 1,84m pour 86 kilos, soit un léger surpoids, certainement dû à ma propension à passer plus de temps à organiser des tournois qu’à jouer…
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Plus sérieusement j’ai grandi dans le 05, à Gap, où j’ai usé mes baskets sur le parquet du club. Après le bac, je suis parti à Grenoble pour étudier les sciences politiques et donner un sens à mon cursus universitaire. J’ai fait un master « économie sociale » et je me suis spécialisé dans l’éducation populaire, pour travailler dans un secteur au service de l’humain et pas des cours boursiers – un secteur où l’on évalue les progrès des individus à l’aune de leur émancipation plutôt que de leur propension à consommer ou épargner.
À titre professionnel, car mon engagement aux Big Bangs est entièrement bénévole, je travaille pour la Coordination Montagne et le Groupe de Haute Montagne. Avant ça j’ai multiplié les métiers dans le monde associatif et coopératif, mais j’ai été très marqué par une année en tant qu’enseignant des sciences économiques et sociales en lycée. L’enseignement est le plus beau métier du monde, mais il va falloir se bouger pour faire évoluer en profondeur sa philosophie et les moyens qui sont alloués aux professeurs si l’on veut que notre jeunesse arrive confiante à l’âge adulte avec un esprit critique, des compétences et des capacités d’initiatives…
Tu peux me dire ce que c’est exactement, les Big Bang Ballers ?
C’est un projet qui est né au Bangladesh, en 2008, où Julien Kerdoncuf, un copain de promo basketteur, était en stage. Lassé de ne croiser que des « expat’ » ou des diplomates, Ju est allé trainer ses baskets sur les playgrounds poussiéreux de Dhaka. Il y a rencontré Pierre Johannessen , un Australien en volontariat. Avec Rod (un autre français expatrié) et Raja (un joueur local), ils se sont lancés dans l’organisation de tournois. Avec les fonds levés grâce aux inscriptions, au lieu de se payer des bières, ils ont décidé d’organiser des camps de basket pour les enfants des rues, dont la situation est ultra précaire au Bangladesh. Leur idée, c’était que même pour deux heures, ces enfants ont le droit au loisir et peuvent jouer. Ils oublient un temps les difficultés du quotidien et développent des compétences telles que l’esprit d’équipe, le respect des règles et l’entraide.
Pierre a créé en 2009 l’ONG de droit australien Big Bang Ballers, dont l’objet est de lutter contre la pauvreté et les inégalités via le basketball. En France, nous avons créé l’association en 2010 à cinq : Ju et Rod, qui étaient de l’aventure au Bangladesh, puis Domitille, ma conjointe, basketteuse de haut niveau, et Julien, un basketteur grenoblois et ingénieur informaticien. Il y a donc deux structures, qui travaillent parfois ensemble : l’ONG, et l’association française.
Et comment ça se passe, la branche française, alors ?
Pendant deux ans, nous avons essentiellement organisé des manifestations caritatives pour financer des actions de l’ONG. Puis en 2012, de nombreux jeunes qui participaient aux tournois ont commencé à s’investir dans le fonctionnement de l’association et nous ont dit qu’il y avait aussi un enjeu à organiser des actions solidaires en France . Cela faisait un moment que nous avions envie de développer des actions au niveau local, et cette remarque nous a servi de coup de pied au cul. Nous avons donc redéfini le projet de l’association, qu’on a structurée autour de trois axes : « basket dans ma rue », pour faire jouer et se rencontrer les jeunes basketteurs ; « sport pour tous », pour amener la pratique sportive aux personnes qui en sont éloignées ; et « séjour solidaire » pour emmener des jeunes grenoblois sur nos semaines solidaires, qui sont du coup devenues des colos et des échanges de jeunes avec une vraie plus-value éducative. Aujourd’hui, l’association tourne encore autour de ces trois axes, avec un budget annuel de 100 000€, alors qu’on a débuté avec 50€ ! Si on était économistes, on parlerait d’une croissance à 4 chiffres, puisque le budget a augmenté de 2531% entre 2010 et 2016… Le tout sans spéculation ni redistribution des résultats, la gestion d’une association étant bien heureusement désintéressée.
Comment ça se concrétise, vous organisez quoi ?
Au niveau international, l’ONG a porté des actions au Népal, avec l’organisation d’un camp de basket en parallèle de l’inauguration d’une bibliothèque, pour mobiliser largement la communauté sur cet événement. Aux Philippines, les Big Bangs soutiennent le travail d’un éducateur sportif, et ont financé la reconstruction de maisons lors de la destruction du village d’Illigan par un ouragan. Au Pakistan, nous avons organisé des tournois de basket entre militaires locaux et militaires et diplomates américains et européens, pour faciliter le dialogue. À Kaboul, l’ONG a financé la construction d’un terrain de basket dans un hangar occupé par Skateistan, une asso utilisant le skateboard comme outil éducatif. Ce projet a été le premier projet financé par la branche française. En Australie, les Big Bangs ont supporté des joueurs boursiers pour qu’ils accèdent aux études, ils ont également mis en œuvre des camps de basket dans les communautés aborigènes, et organisé des « midnight hoops » les samedi soirs pour lutter contre la violence et l’alcoolisme chez les jeunes. Enfin en Ouganda, sur le même modèle qu’au Népal, les Big Bangs ont organisé un camp de basket en lien avec une ONG réalisant une campagne de vaccination, l’objectif étant de mobiliser un maximum de jeunes de la région.
En France, nous avons des projets phares pour chacun des trois axes dont je t’ai parlé.
Pour l’axe 1, nous organisons une « Summer League », un cycle de tournois de basket solidaires, qui permet aux jeunes de se rencontrer et à l’asso de lever des fonds et de sensibiliser le public à nos actions solidaires.
Sur l’axe 2, nous avons le programme « Ramène ta copine », qui permet aux jeunes filles des quartiers prioritaires de découvrir la pratique sportive et de se réapproprier l’espace urbain. Le deuxième programme phare est « Dunk sur les préjugés », avec l’organisation d’entraînements et de tournois mixant publics en situation de handicap et basketteurs « tout-venant ». Depuis 2 ans, l’asso porte aussi le projet « Bouger Ensemble », qui met l’accent sur le sport-santé, à destination des personnes en surpoids, des personnes âgées ou des publics sédentaires.
Enfin, sur l’axe 3, les Big Bangs France ont réussi plusieurs projets d’envergure. Après notre coup d’essai sur le financement du terrain à Kaboul, l’asso française a coordonné pour l’ONG la semaine solidaire au Sénégal. Depuis, nous finançons le poste d’Ousmane, un éducateur sportif. Depuis 2013, nous avons aussi organisé 3 éditions de la colo solidaire « Rabat Playground », pour permettre à des jeunes basketteurs grenoblois de partir jouer au Maroc, avec des jeunes marocains mais aussi des jeunes migrants subsahariens . En 2014, nous avons organisé un échange de jeunes sur les cultures urbaines, le street art et le street sport avec une asso ukrainienne. Nous nous sommes retrouvés à Kiev, en plein Maïdan, avec 15 jeunes Français et 15 Ukrainiens – un moment personnellement marquant… Depuis, nous avons même organisé des séjours tri-nationaux en Allemagne et au Portugal.
Je crois que vous avez aussi construit votre propre terrain, à Grenoble ?
Oui, l’été dernier, nous avons fait sortir de terre le premier playground solidaire de France ! Nous avons construit ce terrain pour deux raisons. La première est que depuis 2012, des basketteurs de l’agglo se plaignent du manque d’infrastructure de qualité sur Grenoble. Ce terrain semi-couvert, uniquement dédié à la pratique du basket est donc une réponse à ce besoin du territoire. La deuxième raison, c’est que ce terrain est domicilié à la Bifurk, une friche industrielle reconvertie en pépinière associative et espace sportivo-culturel (skatepark de Grenoble, salle de concert et d’exposition, terrains de beach volley). Nous avons notre siège social à la Bifurk, et donc disposer de terrains à domicile est un vrai plus pour accueillir du public et mobiliser des bénévoles. En plus, le terrain est à mi-chemin entre le centre ville et les quartiers les plus populaires de Grenoble, à proximité du tram, donc un vrai espace de mixité !
Personnellement, comment tu t’es retrouvé impliqué dans les Big Bang Ballers, et quel rôle tu y joues, aujourd’hui ?
En 2010, je terminais mon Master sur l’économie sociale quand on a décidé, avec l’association sportive de Sciences Po, d’organiser un tournoi caritatif sur le campus pour aider au financement de l’ONG. L’organisation et la levée de fonds ont été une vraie réussite mais on a vite compris que sans association de droit français, on allait être très limité pour organiser de telles manifestations. C’est comme ça que l’idée a germé de créer la branche française des Big Bang Ballers.
Depuis 2012, je suis président des Big Bangs France. Je l’ai cofondée en 2010 et j’ai dans un premier temps épaulé Julien, qui avait l’expérience du Bangladesh et la connaissance de l’ONG. Mais en fait, j’ai très vite été plus qu’une épaule car Julien n’habitait pas en France à ce moment-là, donc j’étais le principal opérateur logistique du projet.
Mais d’où t’est venue l’envie de s’impliquer, de sauter le pas ?
Mon implication a découlé de mon envie de soutenir le projet. Julien a senti ma motivation. Il m’a demandé de devenir le « country manager » des Big Bangs, et j’ai donc sauté à pieds joints dans l’aventure ! Depuis ça ne s’arrête plus : j’ai construit une grande partie de mon CV grâce aux Big Bangs et je me retrouve à la tête d’une asso employeuse, négociant des financements avec tous les échelons du mille-feuilles administratif français et européen.
Quand j’ai accepté de créer l’association, j’ai tout de suite senti qu’il y avait un vrai potentiel et j’ai été soutenu à 200% par ma copine, qui est cofondatrice de l’association et qui n’a pas quitté le CA depuis. Ça aide, quand il faut passer les soirées en réunion ou sur l’écriture de dossiers de subvention et qu’on se pose des milliards de questions. Mais honnêtement, je ne pensais pas qu’on arriverait aussi bien à se développer alors que nous sommes dans une période de restriction budgétaire inouïe.
Est-ce que cet engagement a changé ta façon d’être au quotidien, d’appréhender la vie ?
Oui, les Big Bangs m’ont permis de me sentir responsable dans le cadre professionnel. J’avais déjà un profil de développeur de projet, mais aux Big Bangs, pour la première fois, je n’avais pas le statut de stagiaire ou de chargé de mission. J’étais un dirigeant, et je pouvais impulser des dynamiques, mobiliser du monde et faire avancer des initiatives. Aujourd’hui j’ai pris énormément confiance dans mes capacités car j’ai pu tester de nombreuses démarches aux Big Bangs, et en plus elles ont souvent été couronnées de succès. En présidant les Big Bangs, je m’investis également dans les politiques sociales et éducatives du territoire, je rencontre les élus et comprends mieux les tenants et aboutissants du système. Le pendant de cet investissement, c’est que cela entretient ma révolte contre certaines orientations politiques qui prônent le tout sécuritaire et le repli sur soi, alors que c’est par un travail positif auprès de la jeunesse et avec de la mixité sociale qu’on crée des opportunités et des perspectives d’avenir. Aux Big Bangs, j’ai l’impression d’aider certains jeunes à voir demain un peu moins loin et avec plus d’enthousiasme. C’est pour moi une condition sine qua non pour lutter, au niveau macro, contre toute forme de violence.
Donc tu penses qu’il est important de s’engager dans la vie de la cité ?
C’est essentiel. Premièrement, parce qu’on ne peut pas passer son temps à se plaindre et ne rien faire pour essayer d’être le changement qu’on aimerait voir. Deuxièmement, parce que la vie est trop courte pour ne pas s’investir dans ce champ qui est passionnant. Après, je ne me fais pas non plus le chantre du participatif à tout va. Et c’est pour ça que je crois à l’action des Big Bangs : on touche les jeunes par leur passion et tout en les faisant jouer, on les amène à être utiles pour autrui et à ouvrir leur regard sur la société. L’engagement doit être source d’épanouissement.
Mais comment faire en sorte que plus de gens s’investissent pour faire bouger les choses, à ton avis ?
Il faut aller chercher les personnes là où elles sont, partir de leurs besoins et de leurs envies. C’est la base de tout engagement, pour moi. Surtout quand on s’adresse à des personnes qui ne se sont jamais engagées avant et qui sont éloignées de ces questions. Il faut leur faire la preuve que par une mise en action collective, on peut créer du positif pour améliorer sa situation et celle des autres. Pour moi, la coopération est le principal levier de changement de la société. Il faut apprendre aux gens à faire ensemble en prenant des initiatives et casser l’idée qu’on est bon à rien, ou que pour réussir, il faut marcher sur les autres. Il faut aussi donner aux personnes les outils de leur autonomie et de leur émancipation, si on veut susciter leur investissement. Dans l’éducation nouvelle, telle que je la pratique aux CEMEA, un des leitmotivs est « apprends-moi à faire seul ». C’est pour moi la base de toute action citoyenne ou éducative. Il faut créer les conditions pour rendre les personnes actrices de leur vie et de leurs destinées individuelle et collective. Ce sont des grandes phrases, mais j’y crois et c’est par petites touches qu’on fait découvrir aux personnes leur potentiel.
Ouah, c’est super inspirant ! Tu veux ajouter quelque chose ?
Oui, quand est-ce qu’on va rider ensemble et refaire le monde !?