Pigalle sex shop dvd
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Life

J’ai été vendeuse dans un sex-shop de Pigalle

Entre stupre et lucre, Marie a passé un an à conseiller des clients plus ou moins chevronnés. Elle nous raconte son expérience.
Keuj
propos rapportés par Keuj

L'histoire des sex-shops hexagonaux est relativement récente. S'il existe déjà des librairies libertines à Paris dans les années 1920, le commerce érotique en France se développe à partir des années 1960. Le premier sex-shop parisien ouvre ainsi ses portes en 1966. Puis, dans la foulée de mai-68, les choses s'accélèrent. En pleine vague de libération sexuelle, le nombre de magasins passe de 18 en 1969 à 55 en 1972. Cette même année sort le film Sex-shop de Claude Berri, popularisant encore davantage le terme auprès du grand public.

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Mais dans un pays où le sexe reste un sujet tabou, le développement de tels commerces ne se fait pas sans opposition, et préfets, élus locaux et riverains tentent d'en limiter la visibilité. Également réfractaires, les féministes parlent de « viol commercialisé ». En face, une bonne partie des nouveaux commerçants du sexe mettent en avant la nécessaire « éducation sexuelle » pour légitimer leur activité. À partir de 1975, ils reçoivent un coup de pouce lorsque la loi sur le cinéma X, freinant la projection en salles, pousse les consommateurs à se replier sur les cabines de leurs magasins.

En 2015, on recensait 85 sex-shops à Paris – un chiffre en baisse, ce qui s'explique par une législation particulièrement sévère à l'encontre des commerces vendant des « objets à caractère pornographique ». Quartier historiquement « chaud », c'est à Pigalle qu'on en trouve le plus. Dirigés par une poignée de familles, ces magasins ont résisté à la concurrence d'Internet en attirant un public plus hétéroclite que par le passé. Terminé le fameux rideau et les ambiances glauques : le touriste y rentre désormais (presque) comme chez Sephora. C'est au premier étage de l'un de ces établissements que Marie, jeune étudiante en histoire de l'art, a travaillé comme vendeuse pendant près d'un an. Celle qui a raconté son expérience dans le livre Et ça, ça se met où ? a accepté de revenir pour nous sur ses 12 mois passés auprès d'une clientèle plus ou moins rodée.
– FLAMEN KEUJ

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Ce matin-là, je remarque un couple d'une cinquantaine d'années, particulièrement gêné, entrer dans le magasin. La femme est vêtue d'un poncho informe, comme pour dissimuler quelque chose. Alors que je m'approche pour proposer mon aide, l'homme se met à m'expliquer un brin amusé les raisons de leur présence dans les rayons. La veille, le duo a acheté une paire de menottes en acier. « Les menottes en moumoute, ce n'est pas ma tasse de thé », précise le monsieur. Le produit en question, utilisé le soir même, a visiblement donné satisfaction – du moins, dans un premier temps. Car au moment de délivrer madame, l'homme s'est rendu compte que les clés avaient été jetées par inadvertance dans le vide-ordures de leur immeuble. La prisonnière vient donc de passer la nuit menottée. Elle a même dû poser un RTT pour se faire délivrer au magasin. Le poncho est la seule chose qu'elle a réussi à enfiler. Rassurant les clients sur l'existence de clés de secours à serrure universelle, je ramène un trousseau. Problème : aucune des clés ne fait l'affaire. Face à l'inquiétude grandissante de la cliente, mon collègue rapplique avec une scie. Un « clac » salvateur retentit dans la foulée. Après les remerciements d'usage, le couple finit par me demander un modèle moins « sérieux » – et déverrouillable à la main.

Ceci n'est qu'un exemple parmi d'autres des multiples anecdotes mêlant stupre et lucre que je suis aujourd'hui en mesure de raconter. À l'origine de cette éphémère carrière de vendeuse dans un sex-shop – à laquelle rien ne me prédestinait – il y a un coup de tête, un après-midi quelconque de la fin du mois d'août 2015. À l'époque, je m'apprêtais à entamer ma dernière année de licence. Alors que je cherchais en vain un job me permettant de suivre mes cours sans avoir trop de soucis financiers, je suis tombée sur une annonce placardée sur la devanture d'un sex-shop, situé boulevard de Clichy. Une vendeuse était recherchée, et je suis directement entrée me présenter, sans trop réfléchir. Le feeling est tout de suite passé avec le patron, et je suis revenue le lendemain avec mon CV et ma carte Vitale pour signer mon contrat. Trois jours après, je démarrais.

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Le job en poche, il m'a tout de même fallu prévenir mes proches. N'ayant pas bien entendu – ou voulu entendre – mon annonce, ma mère a d'abord assimilé mon lieu de travail à un « magasin de fringues ». L'effet de surprise a donc été quelque peu rude quand je lui ai raconté mon premier jour. L'univers du sex-shop l'angoissait – du moins au début, jusqu'à ce qu'elle rencontre mes collègues et mon chef, un jeune père de famille avenant et professionnel. Bizarrement, cette annonce a laissé de marbre mon paternel, tandis que le reste de ma famille a pris ça avec humour et philosophie.

Mon quotidien, rythmé par des cours en journée et mon emploi de vendeuse le soir entre 18 heures et 2 heures du matin, ressemblait à celui d'une personne masquant une double vie, intense physiquement.

À l'image de mon embauche, mon intégration auprès de mes nouveaux collègues s'est également très bien déroulée. Pourtant, si je possédais déjà quelques sex-toys chez moi, c'était l'une des premières fois de ma vie que j'entrais dans un sex-shop – auparavant, acheter une simple boîte de capotes dans une pharmacie m'angoissait. Malgré cette candeur juvénile, j'ai rapidement pris conscience du décalage existant entre l'image véhiculée par les sex-shops, et la réalité.

Travaillant de nuit, j'étais entourée d'une équipe composée en majorité d'hommes, toujours à l'affût d'un éventuel souci avec un client. Cette bienveillance m'a incitée à donner le maximum, pour ce qui était au départ un simple job alimentaire. Mon quotidien, rythmé par des cours en journée et mon emploi de vendeuse le soir entre 18 heures et 2 heures du matin, ressemblait à celui d'une personne masquant une double vie, intense physiquement – double vie qui me faisait régulièrement somnoler dans l'amphithéâtre de ma fac de sciences humaines. Opérant dans un tel magasin, j'y ai vu une opportunité unique de me retrouver aux premières loges pour observer une clientèle particulière, à la recherche de nouvelles sensations.

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C'est comme ça que j'ai découvert un savant mélange de pauvres et de riches, de Parisiens et de touristes, d'hommes et de femmes. Chez les premiers, il n'existait aucune figure classique de consommateur – d'un côté, vous aviez le mec seul et intimidé, de l'autre, le mâle dominant faisant les courses pour sa copine, et, entre les deux, le gars insupportable, à l'humour lourdaud. Les femmes rencontrées – très souvent dans le cadre de l'achat de sex-toys – avaient tendance à assumer leurs emplettes – du moins, davantage que les hommes – même s'il leur fallait se départir de ce voile de honte entourant la masturbation féminine.

La substitution du glamour au libidineux a pris forme lorsque la suppression des cabines vidéo est devenue la norme. Symboles historiques des sex-shops, ces placards de quelques mètres carrés dans lesquels les clients pouvaient mater un porno attiraient un public difficilement contrôlable.

Les hommes n'ont donc jamais été les derniers au niveau de la gêne – notamment lorsqu'il s'agissait d'acheter un stimulateur prostatique, que certains demandaient à demi-voix. Ne supportant pas les tabous autour de la sexualité, j'en venais à les encourager et à leur faire comprendre que se prendre des objets dans le cul n'avait rien à voir avec une quelconque perte de leur virilité. Mais, malgré mes conseils, un sentiment de honte masculine a toujours régné dans l'atmosphère du sex-shop, sentiment qui a souvent abouti à des situations plutôt cocasses – à l'image de ces types qui prétendaient acheter un DVD hard-core pour « leur belle-sœur », utiliser du poppers « à des fins psychédéliques », ou de ce célèbre acteur français se fournissant régulièrement en accessoires SM « pour un tournage ». D'autres partaient carrément en courant après avoir tenté de bredouiller un argumentaire sans queue ni tête.

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Selon les dires des principaux concernés, l'univers du sex-shop a profondément changé au cours des dix dernières années, sous l'action de professionnels désireux d'attirer une clientèle plus aisée et, disons-le clairement, « moins porno » – l'objectif étant de rompre avec l'image de la boutique lugubre tenue par un vieux pervers ventripotent. La substitution du glamour au libidineux a pris forme lorsque la suppression des cabines vidéo est devenue la norme. Symboles historiques des sex-shops, ces placards de quelques mètres carrés dans lesquels les clients pouvaient mater un porno attiraient un public difficilement contrôlable, notamment composé de prostitués, de clochards, de toxicomanes. Pourtant, j'entends encore un de mes collègues me parler avec nostalgie du « Pigalle d'avant », celui où les sex-shops étaient des lieux de perdition, avec leur lot de peep-shows, saunas libertins et théâtres érotiques (comprenez « porno en live »).

Du côté de l'offre « matérielle », les énormes godemichés des années 1980 ont laissé place à des objets au design raffiné, et j'ai pu constater au quotidien que cette stratégie marketing fonctionnait – quitte à attirer une nouvelle clientèle plus « respectable » mais pas plus agréable pour autant, en témoigne ce couple imbuvable, tout droit sorti d'une pub The Kooples, désireux de pimenter sa vie sexuelle. La femme, inquiète au sujet de l'origine des colorants et du silicone utilisés dans la fabrication d'un sex-toy, n'avait pu s'empêcher de me demander s'il était possible d'acheter un lubrifiant issu du commerce équitable.

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Dans un secteur où le panier moyen reste relativement faible – autour de 30 euros –, l'arrivée d'une clientèle aisée ravit les propriétaires de sex-shops, désireux d'accueillir de plus en plus de CSP+ – comme ce cadre supérieur, arrivé tout droit du bureau, la cravate encore bien serrée, un 24 décembre, et qui nous avait demandé de lui fournir une longue liste de produits (des cadeaux de Noël pour offrir), comprenant un godemiché, deux bâillons, un mètre de corde, des pinces d'électrostimulation, un kit de tiges à urètre et un pot de Lubrifist. Rien que ça.

Comme je parlais de cul toute la journée, certains se disaient que derrière le visage d'une jeune femme souriante se dissimulait une fille facile.

Si certains clients provoquent logiquement la satisfaction du patron ou le sourire complice des vendeurs – surtout lorsque leur liste de courses est longue comme le bras – d'autres sont tout ce qu'il y a de plus relous. Il faut savoir qu'environ un homme sur dix rencontrés dans le magasin a tenté sa chance avec moi. J'ai ainsi appris avec tristesse – même si c'est évidemment très subjectif – que je valais autour de 450 euros, selon les déclarations de certains clients désireux de passer à la vitesse supérieure. Comme je parlais de cul toute la journée, certains se disaient que derrière le visage d'une jeune femme souriante se dissimulait une fille facile – c'est d'ailleurs tout le problème d'un tel métier, qui dilue la frontière entre ce qui relève du professionnalisme (à savoir l'utilisation de termes précis, simples, et pas trop crus) et ce qui a trait à l'intime. Il me suffisait bien souvent de prononcer les mots « pénis » ou « clitoris » pour générer des fantasmes.

De ces pensées (à peine) dissimulées sont souvent nées des propositions indécentes, la plus marquante restant celle d'un client m'ayant proposé 6 000 euros pour le fister. Élancé, aux cheveux gominés, tiré à quatre épingles, ce mec avait fait une entrée fracassante dans le magasin en parlant fort et en remplissant sans compter son panier. Présentant tous les signes du consommateur régulier de cocaïne, il m'avait prise par le bras pour m'expliquer sans retenue son problème : son chauffeur refusait de le fister. Malheureusement pour lui, j'ai également refusé.

À défaut de répondre favorablement aux avances de tous les clients, je me suis obstinée à les mettre à l'aise, tout en tentant de comprendre silencieusement ce qui pouvait les amener dans cette boutique du boulevard de Clichy – exercice délicat, tant le sentiment de honte empêche un individu de verbaliser correctement ses envies. Souvent, la seule solution était de me mettre dans la peau d'un pilier de comptoir, de ceux qui écoutent les complaintes sexuelles des gens et les orientent en conséquence. Pour être la meilleure vendeuse possible, il m'aura donc fallu être à la fois psychologue, médecin – les interrogations relatives à la sodomie n'ont jamais manqué – et pharmacienne.

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