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Culture

J’ai rejoint l’église de Justin Bieber

La Hillsong Church attire un nombre croissant de célébrités, en dépit de ses messages contradictoires sur les personnes LGBT et de son soutien à Trump.
Justin Bieber et Carl Lentz à la Hillsong Conference. Photo : Hillsong TV

Je suis face à un mec qui est un croisement entre Bill Murray et Bradley Cooper – il est habillé en noir de la tête aux pieds : top décolleté COS, pantalon slim, bottines en daim. On dirait qu’il s’apprête à présenter une conférence TED. Pourtant, son charisme et son éloquence sont accueillis avec des « amen ». Il ne se contente pas de parler ; il est en pleine extase, ses mots sont crus. Son discours ressemble de plus en plus à une conversation cochonne.

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« Ce que j’essaie de vous dire, c'est que vous n’auriez pas dû venir à l'église ce soir, grommèle-t-il, parce que Dieu est sur le point de détruire votre petite vie de sauvages. »

Cet homme s’appelle Jentezen Franklin et est le fondateur du ministère Free Chapel à Gainesville, en Géorgie, aux États-Unis. Il est aujourd’hui en tête d’affiche de la Hillsong Church qui, chaque dimanche, célèbre quatre offices au Dominion Theatre à Londres, un théâtre d’une capacité de 2 000 places situé à Tottenham Court Road.

Hillsong n’est pas une église comme les autres. Il s’agit de la méga-église pentecôtiste internationale pour laquelle Justin Bieber aurait annulé sa dernière tournée. Elle est qualifiée de « branchée », décrite comme le temple du « christianisme hipster » et comparée à « une boutique Urban Outfitters ».

L’été dernier, Bieber – dont les péchés ont déjà été pardonnés par le grand public après qu’il s’est mis à l’EDM, qu’il a arrêté de pisser dans des seaux et d’abandonner des bébés singes – a annoncé la fin prématurée de son Purpose World Tour. Des sources « proches de Hillsong » ont déclaré à TMZ que la raison à cela est qu’il a décidé de « dédier de nouveau sa vie au Christ ». Bieber est à Hillsong ce que Tom Cruise est à la Scientologie, selon Tanya Levin, transfuge de l’organisation.

En plus d’avoir assisté à la Zoe Church Conference, organisée par le pasteur Chad Veach – dont Bieber est si proche qu’il s’est fait un tatouage en l’honneur de la fille de ce dernier – Bieber a également été vu en compagnie de Judah Smith, fondateur de la City Church de Seattle, et de Rich Wilkerson Jr, fondateur de Vous, une église basée à Los Angeles. Son ami le plus proche au sein de l’organisation est toutefois Carl Lentz, pasteur de la branche new-yorkaise de Hillsong, qu’il a rencontré en 2008 et avec qui il s’affiche régulièrement sur Instagram.

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Le duo était tout aussi proche à la Hillsong Conference qui s’est tenue en Australiecomme en démontre cette interview où Bieber, assis entre Veach et Lentz, porte un survêtement gris avec le slogan « Young & Free », le nom officiel de l’aile jeunesse de Hillsong, et où il déclare : « J'adore voir des gens vénérer et louer Dieu », avant de se laver les dents avec une mini-brosse à dents en plein milieu de l’interview. Wilkerson, qui pose les questions, se montre très patient – il faut dire qu’il s’est fait la main en écoutant le discours de 45 minutes de Kanye West lors de son mariage avec Kim Kardashian en 2014, mariage qu'il a officié. Bieber pose alors sa tête sur l'épaule de Lentz et déclare : « Je veux aimer les gens davantage, je veux aimer Carl davantage », avant d’ajouter : « Ma foi grandit de jour en jour. Ma foi est plus forte qu'elle ne l’était il y a deux ans – plus forte, mais aussi plus sage, plus bienveillante. »

Avec ses 77 avant-postes répartis dans 17 pays, Hillsong compte une congrégation mondiale de 100 000 personnes (800 000 followers sur Twitter, 1,2 million de followers sur Instagram et 4,4 millions de likes sur Facebook). Parmi ses disciples se trouvent également Hailey Baldwin, Selena Gomez, Kendall Jenner et Kourtney Kardashian.

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Il est 16 heures, un dimanche, lorsque j’arrive à Hillsong.

« Bienvenue à l’église ! » s’exclament une bande d'assistants vêtus de noir tandis que j'entre dans le hall du théâtre. Je parcours les stands. Des ouvrages intitulés Live Love Lead, The Jesus Manifesto et God's Economic Engine sont vendus aux côtés des livres de Franklin – Fear Fighters et The Spirit of Python.

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Un mec porte un t-shirt Yeezus et je me demande si c’est un sacrilège. Tout le monde semble plus jeune que moi. Alors que j’avance vers le groupe, quatre autres placeurs me lancent un « Bienvenue à l’église ! » et me guident gentiment à travers l’obscurité jusqu'à mon siège.

Un clip de Hillsong

À ma gauche se trouve un jeune homme en chemise à carreaux. À ma droite, un jeune homme blanc avec une queue-de-cheval, une barbe et un t-shirt Levi’s froissé. Deux filles noires avec de grandes boucles d'oreilles sont assises derrière moi et crieront beaucoup de « aaaamens » tout au long de l’office. À l'avant, une vieille dame antillaise applaudit au son de la musique. Elle est rapidement rejointe par un couple blanc d'âge moyen. La femme ouvre son étui de téléphone en cuir et pianote studieusement – d’un seul doigt manucuré – un texto à sa fille : « Rendez-vous après les louanges et les prières xxx ».

L’office commence et un jeune pasteur pragmatique compare « ce pote de fac qui ne payait jamais sa tournée » aux croyants qui ne rendent pas la pareille à Dieu. Un homme charmant branche une télé et les pasteurs vedettes Jentezen Franklin, Craig Groeschel et Carl Lentz apparaissent brièvement à l'écran pour applaudir et crier. Les placeurs passent récolter les dons.

(Selon son propre rapport financier de 2016, la branche australienne de Hillsong aurait récolté à elle seule 130 millions de dollars en un an.)

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Des applaudissements se font entendre, Jentezen Franklin se présente.

Un miroir et une bible en guise d’accessoires, il commence à raconter une histoire – celle de Marina Chapman, une Colombienne qui, à l’âge de cinq ans, a été traînée dans la jungle par un homme. Après avoir abusé d’elle, il l'a laissée pour morte. Très vite, des singes l’ont trouvée et l’ont élevée. Au bout de dix ans, elle ne s’exprimait plus que par des grognements et marchait à quatre pattes. Un jour, elle a trouvé un miroir dans la jungle et a compris, en voyant son reflet, qu’elle n’était pas un singe, après quoi elle a rapidement été sauvée.

Chapman n’a pourtant pas la même version : elle n'a jamais dit avoir été violée dans la jungle. Quant au miroir, n'y avait-il pas de reflets dans les cours d’eau dans lesquels elle buvait ?

Franklin confesse : « Ce n'est pas ce qui est dit dans son livre, mais c’est comme ça que je l’interprète. » Et lui d’exposer sa façon de voir : Chapman a vécu comme un singe dans la jungle. Mais le miroir l'a aidée à comprendre qu'elle était différente ; qu’elle faisait partie du plan de Dieu. Franklin – de manière impressionnante – lève le miroir et la Bible d'une main ; le micro de l'autre. Il regarde dans le miroir et dit : « Derrière chacune de mes faiblesses, je vois le visage souriant de Jésus qui me dit : ‘Quand je me serais occupé de toi, voici ce à quoi tu ressembleras : à la perfection. »

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Pour moi, l'histoire de Chapman est celle de la survie envers et contre tout, celle de la nature commune à l’homme et l’animal. Si la congrégation savait qu’après avoir quitté la jungle, Chapman a été vendue à un bordel et asservie par un gang, le message de Franklin, qui veut que les singes soient des êtres inférieurs aux humains, n’aurait peut-être pas la même portée.

Pourtant, Chapman semble approuver cette réécriture de son histoire ; elle se trouve à l'église avec son mari et retweet les liens des sermons de Franklin.

Franklin poursuit en se plaignant que les non-croyants « ne savent pas ce qui est bien ou mal, ce qui est masculin ou féminin ». Il insiste également sur le fait que nous « ne devons pas laisser la culture définir ce à quoi doit ressembler le mariage ». C'est de l'homophobie, et elle est accueillie avec des cris de joie.

« Bien qu'elle ait des ‘amis gays’, la Hillsong Church n'adopte pas ‘un mode de vie gay’ – elle tolère les fidèles LGBT+, mais les empêche d'occuper des rôles importants au sein de l’église. »

Je ne m’attendais pas à ce que la Hillsong Church soit tolérante envers les personnes LGBT, bien qu’elle ait coupé les ponts avec les groupes de « thérapies » censés « guérir » les homosexuels. Un disciple ayant adhéré à Hillsong après son coming out a déclaré au Daily Beast que « les homosexuels doivent savoir que s’ils vont à Hillsong, ils seront contraints de rester en retrait ».

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Brian Houston, co-fondateur de Hillsong, a écrit en 2015 un billet de blog intitulé « Aimez-vous les homosexuels ? » Et la réponse est la suivante : bien qu'elle ait des « amis gays », la Hillsong Church n'adopte pas « un mode de vie gay » – elle tolère les fidèles LGBT+, mais les empêche d'occuper des rôles importants au sein de l’église. Et Houston d’ajouter : « Tout le monde est le bienvenu à Hillsong, à l'exception des prédateurs connus. »

Quand il parle de « prédateurs », il fait référence à son propre père, Frank Houston, pasteur dans une autre église, qui aurait agressé sexuellement un petit garçon de sept ans trente ans auparavant. Il aurait également tenté d'acheter le silence de sa victime pour 10 000 dollars.

Houston Jr. a par la suite appris que son père avait commis d’autres agressions sur des mineurs. « Je pense que mon père était un homosexuel, un homosexuel refoulé… Et que quelles que soient ses frustrations, il les a projetées sur les enfants », a-t-il déclaré à Good Weekend.

En septembre 2015, Franklin s’est rendu à la Trump Tower, aux côtés de 21 prédicateurs chrétiens et d’un rabbin, et a prié pour que Trump soit élu, implorant ses disciples de faire de même sur les réseaux sociaux. En juin 2016, il a été nommé au conseil évangélique de Trump, faisant valoir dans la presse locale que le futur président avait décidé de consacrer de nouveau sa vie à Dieu, à l’âge de 60 ans (les affaires d’agressions sexuelles seraient survenues lorsqu’il en avait 59, ndlr).

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Shermel

Une fois le sermon terminé, Chi, 29 ans, m’explique que Dieu est là pour « nous rappeler que les humains se sous-estiment » et pour « faire en sorte que tout le monde se sente détendu et bienvenu ».

En accord total avec l'interprétation de Franklin sur la « culture aérographe », Shermel, 27 ans, me dit que « vivre selon la parole de Dieu est ce dont nous avons vraiment besoin et fera ressortir le meilleur de nous ».

Mais le fait d’exclure les personnes LGBT+ est-il en accord avec Dieu ? Je demande à Neil. À 46 ans, il est l’un des plus anciens membres de Hillsong, même s’il n’en a pas l’air. Il porte un jean, un t-shirt noir et un sac à dos. Il était baptiste mais a commencé à venir à Hillsong il y a 14 ans pour se moderniser, ou « grandir », comme il aime à l’appeler. Quand je le questionne au sujet de l'approche de l'église envers les personnes LGBT+, il me demande ce que signifie LGBT+.

« Eh bien, c’est comme pour les personnes qui couchent en dehors du mariage. C’est totalement accepté par l’église, sauf en qualité de leader. Vous ne pouvez pas promouvoir le mariage alors même que vous avez des rapports sexuels hors mariage – c’est pareil pour les personnes LGBT+. »

Et lui d’ajouter : « Les gays et les lesbiennes sont très à la mode en ce moment. J’ai un tas d’amis gays. Et je suis content de les compter parmi mes amis – ce sont des personnes géniales avec qui je n’ai pas le moindre problème. Mais ce n’est pas la même chose lorsque vous essayez de donner l'exemple et de diriger les gens. Vous devez définir des normes dans ces cas-là. »

Giann, 19 ans, est originaire des Philippines, où sa mère l'a emmenée à Hillsong pour la première fois. Elle aussi a des amis LGBT+ : « Je les trouve très bien comme ils sont, ce n'est pas mon devoir de les changer. » Elle préfère laisser cette tâche à l’homme là-haut : « Je suis certaine que Dieu arrivera à les changer. »

Son amie Mélanie, 17 ans, confirme : « Nous avons tous nos trucs, mais les gens restent des gens. L’essentiel est d’être une bonne et gentille personne… »

Je retourne à Hillsong quelques semaines après ma première visite. Sur le trottoir en face du Dominion, je tombe sur un homme en Yeezy Boost, jean noir et pull démesuré. Ses cheveux dorés tombent sur ses épaules ; ses dents sont d'un blanc céleste. Il s’agit de Dan Blythe, un pasteur de 31 ans. Plus tard, sur Instagram, je découvre que Dan a 14 000 followers et qu’il est une sorte de télé-évangéliste – il présente des émissions sur la chaîne YouTube de Hillsong, FearlessTV.

Reste que tous les disciples que j’ai rencontrés s’accordent à dire que la Hillsong Church exerce une bonne influence sur Justin Bieber. Mais si vous le permettez, je préfère retrouver ma vie de sauvage à présent.

@sophwilkinson