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Mai 2018

« Courez, bande de gauchistes, sinon on vous bute ! »

Les dernières violences de Tolbiac le confirment : évacuer par la force les facs en grève est le nouveau sport des commandos d’extrême droite. Une façon, bien particulière, de célébrer l’anniversaire de Mai 68 ? Enquête.
Photo : Bertrand Langlois / AFP. Manifestation contre l'inauguration du local du Bastion social, Marseille, 24 mars 2018. 

À force de parler du futur anniversaire de Mai 68, on finirait par oublier que c’est aussi celui du GUD. Eh oui, le groupe d’extrême droite est né en décembre de la même année. Et au regard de l’actualité, on dirait que les célébrations ont déjà commencé.

Dernière en date : l’attaque de Tolbiac par un certain « comité anti blocage », vendredi dernier. Casqués, armés de battes en bois et de fumigènes, les assaillants s’en sont pris violemment aux étudiants grévistes, leur hurlant des « antifa fils de putes ». Arrêtés par la police, six d’entre eux, cinq étudiants et un lycéen soupçonnés de « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations » et « violences volontaires en réunion et avec arme », sont déferrés ce lundi matin devant le Parquet de Paris. La presse, elle, parle « d’échauffourées » soit, selon le Petit Robert, des « rencontres inopinées, confuses et de courte durée entre adversaires qui en viennent aux mains ». C’est pourtant la septième agression de ce genre en moins d’un mois et elles n’ont pas l’air inopinées. Le coup d’envoi a été donné le 16 mars dernier quand, au milieu de l’après-midi, une dizaine de militants scandant « Groupe Union Défense », ont débarqué avec fumigènes et barres de fer dans la cour du Lycée Autogéré de Paris, établissement classé très à gauche. Ils ont lancé briques, chaises et assiettes sur des élèves, jeté quelques insultes et effectué le salut nazi, avant d’être repoussés. Quatre jours plus tard, le 22 mars, ce sont les étudiants occupant un amphi de la fac de droit de Montpellier qui se font fait casser la gueule par un commando cagoulé, armé de battes de bois, sous le regard bienveillant de deux de leurs professeurs - qui ont d’ailleurs été mis en garde à vue. Si les membres du commando n’ont pas encore été identifiés, l’un des profs figure sur la photo d'un rassemblement récent de la Ligue du Midi, les identitaires locaux. Le 26 mars, plusieurs étudiants lillois ont ensuite été agressés, en marge d’une AG qui se tenait, là encore, dans la fac de droit. Deux sympathisants de Génération Identitaire ont porté plainte pour coups et blessures, dénonçant des provocations d’extrême-gauche, mais leur version a été contredite par un député Insoumis et une conseillère de quartier EELV, décrivant plutôt une « embuscade » préparée par les identitaires qui tournaient dans deux voitures autour du bâtiment. Le 28 mars, à Strasbourg, six étudiants ont été roués de coup sur le campus par des militants du Bastion social, la nouvelle vitrine solidariste du GUD. « Courez, bande de gauchistes, sinon on vous bute », ont-il crié sur les étudiants, dont certains occupaient le palais universitaire la semaine précédente. Le 3 avril, les grévistes occupant la fac de Tolbiac se sont fait à leur tour chercher des poux par des étudiants de la Cocarde, un groupe souverainiste. Le même jour, une AG qui se tenait à Angers dans la fac de Droit (décidemment) s’est fait bousculer par des membres du Rassemblement des Étudiants de Droite, aidés par des gars de l’Alvarium, un bar identitaire de la ville. « Si vous bloquez la fac, on fera comme à Montpellier ! », ont-ils lancé.

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« Être l’objet d’autant d’attaques en si peu de jours, c’est du jamais vu » - Pauline Raufaste, vice-présidente de l’Unef

« Les blocages d’université ne sont évidemment pas de leur goût », soupire la vice-présidente de l’Unef, Pauline Raufaste. L’ampleur prise par le mouvement contre la loi sur la sélection à l’université échauffe l’ultra droite – mais suffit-elle à expliquer une telle vague de violence ? « Je n’ai pas le souvenir d’agressions de ce genre dans les autres mouvements. Pas même contre la loi Travail, qui était bien plus massif », précise Raufaste. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que des étudiants de gauche, syndiqués ou non, se font agresser : en 2014, un adhérent de l’Unef s’est fait défoncer la tête à coups de casque de moto à Lyon III. Et en 2013, un étudiant de Sciences Po, Clément Méric, est mort sous les poings d’un militant identitaire, à Paris. Mais les agressions collectives étaient quasiment inexistantes : « on est régulièrement menacé par Lyon III et Paris II (ndlr, bastions du GUD), précise Raufaste. Mais être l’objet d’autant d’attaques en si peu de jours, c’est du jamais vu ». Alors, est-ce que la droite hardcore aurait décidé d’organiser une sorte de « mai 68 à l’envers » en rejouant les affrontements de la grande époque ? Le scénario de ces dernières semaines rappelle en effet les bastons comme celle de la rue d’Assas, en 1973… Si on laisse de côté le cas du lycée autogéré de Paris, régulièrement pris pour cible depuis qu’il est installé dans le XVème arrondissement de Paris, au beau milieu du fief des identitaires, la première attaque visant des étudiants a eu lieu dans la nuit du 22 mars. Soit précisément la date anniversaire du début de Mai 68, originellement baptisé « mouvement du 22 mars », par les étudiants de la fac de Nanterre occupant un bâtiment administratif. L’idée n’est pas absurde quand on constate que l’extrême droite, dans son ensemble, a les yeux rivés sur le calendrier. « Le 28 avril, nous ferons à Paris un colloque sur le thème : « 50 ans après, en finir avec Mai 68 ». Car en finir avec Mai 68, ça fait partie de notre projet », annonçait Marine Le Pen dans son discours de clôture du congrès du Front National, le 11 mars dernier. Dix jours plus tard, l’hebdomadaire Valeurs actuelles titrait en Une « Mai 68, l’héritage maudit ». Dans la foulée, la revue « catholique nationale », Monde et Vie, consacrait son dossier de couverture à « Mai 68, la farce qui dégénère », tandis que Radio Courtoisie organisait un « débat » entre Bernard Antony, catholique traditionaliste et ex-FN et le frontiste Bruno Gollnish sur le thème « Mai 68 : pour faire de l’Histoire à l’endroit ». Clairement, ca vire à l’obsession.

« Il s’agit de s’appuyer sur l’anniversaire de Mai 68 pour revenir en force » - Jean-Paul Gautier, politologue

« Il y a probablement un effet Mai 68 chez les militants d’extrême-droite. C’est l’anniversaire d’un mouvement qui les a marginalisés, jetés hors des lycées et de la plupart des universités : ils ont une revanche à prendre », reconnaît le politologue Jean-Paul Gautier. D’autant que le GUD et Génération Identitaire sont tous deux restés en marge de la tentative d’institutionnalisation des groupes comme l’Union des étudiants patriotes, l’Action française étudiante ou le Collectif Marianne, qui se présentent depuis deux ans aux élections des conseils centraux dans les universités - et qui ont quelques élus à la Sorbonne, à Assas et en Haute Alsace. « Mais il ne s’agit pas tant de rejouer Mai 68, que de s’appuyer sur son anniversaire pour revenir en force et tenir la rue », nuance Gautier. D’ailleurs, le chercheur croit savoir que l’offensive sur les universités ne serait pas coordonnée : « les Jeunesses nationalistes, par exemple, ne s’entendent pas avec Génération Identitaire. Mais la réussite de l’attaque de Montpellier a pu avoir un effet d’entraînement. Et ils peuvent se donner des coups de main sur des actions ponctuelles ». Il semblerait même que des militants marseillais soient impliqués dans l’agression de Strasbourg.

« En ce moment, la priorité c’est plutôt la surveillance des islamistes » - Alexandre Langlois, policier au Service Central du Renseignement Territorial

Reste une question. La surveillance des mouvements radicaux, à l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite, fait partie des missions du SCRT (Service central du renseignement territorial). Des agents qui sont suffisamment efficaces pour se trouver sur les lieux d’une « action secrète » aussi grave qu’un déploiement de banderole sur un monument public, par exemple, avant même que des militants d’extrême-gauche n’y arrivent. Alors, comment le GUD et les identitaires ont-ils pu attaquer six établissements, sans que les services de renseignement n’aient rien vu venir ? Se préoccuperaient-ils moins de l’ultra-droite ? « A priori, on surveille autant l’extrême-droite que l’extrême-gauche », assure Alexandre Langlois, policier au SCRT. Qui ajoute : « Cela dit, les agents changent d’affectation en fonction de l’actualité et en ce moment, la priorité du gouvernement, c’est la surveillance des islamistes ». En off, d’autres ne tiennent pas le même discours : « Aujourd’hui, l’activité des services de renseignement est de 75 % sur les islamistes. Le reste étant réparti aux trois quarts sur l’extrême-gauche et un quart sur l’extrême-droite », reconnaît anonymement un haut responsable des forces de l’ordre, longtemps en poste dans la région lyonnaise, où l’extrême-droite a pourtant élu domicile. « Dans nos réunions hebdomadaires, on n’en parlait pas régulièrement… On évoquait le sujet à l’occasion d’un événement - un rassemblement néo-nazi ou un match où l’on savait que des hooligans d’extrême-droite seraient présents. On n’opérait un suivi que lorsqu’ils faisaient l’actualité. La plupart du temps, on ne pratiquait qu’une veille distante ». Le politologue Jean-Paul Gautier va plus loin : « les renseignements surveillent davantage les franges radicalisées de gauche car ils ont peur de tentatives de sabotage, comme à Tarnac, et des ZAD, qu’ils considèrent comme un terreau dangereux ». Pourtant, si l’on fait le compte des agressions physiques de ces dernières années, l’ultra-droite représente un danger bien supérieur… Combien faudra-t-il de victimes pour que l’État prenne des véritables mesures ?