J'ai bloqué le char de la N-VA lors de la Pride d'Anvers
Alle foto's door Laurane Bindelle

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Société

J'ai bloqué le char de la N-VA lors de la Pride d'Anvers

En route avec le parti politique accusé de pinkwashing.
Cornelius Noll
Antwerp, BE
LB
Brussels, BE

« J'ignore s’il va se passer quelque chose », me confie Kevin Vereecken, le vice-président de la N-VA d'Anvers, peu après mon arrivée au char du parti. Il se demande également s'il y aura de fortes protestations aujourd'hui, comme lors de la Pride à Bruxelles. Nous nous trouvons parmi une trentaine de politiciens et partisans du parti anversois, attendant impatiemment de défiler avec les 90 000 autres partisans de la Pride sur les quais de l'Escaut. Ce cortège a pour but de célébrer les droits des LGBT+, mais les politiciens nationalistes flamands sont accusés d'embarrasser les personnes homosexuelles et transgenres en les faisant passer pour des progressistes opposés aux musulmans et immigrés soi-disant « intolérants ».

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« Après la Pride de Bruxelles, certains de nos membres étaient émotionnellement perturbés »

Mais est-ce que ça pourrait vraiment mal tourner pour la N-VA ? Un rapide retour sur la Brussels Pride de mai suffit pour se faire une idée : les opposants ont bloqué leur char et ont tenté d’en arracher les drapeaux et banderoles. « Après cet événement, nous avons dû organiser un débriefing », déclare Vereecken. « Certains membres étaient alors émotionnellement perturbés. » Aujourd'hui, il semble moins inquiet. « Nous avons plus de soutien à Anvers qu'à Bruxelles. »

Manifestations ou pas, les gros bonnets de la N-VA sont introuvables. La ville a mis son caractère gay-friendly en avant des mois durant, mais il semblerait bien que le jour J, le maire Bart De Wever ne soit pas présent. « Bart est en vacances » , explique Vereecken. « Le timing de la Pride d’Anvers tombe toujours mal pour nous, la dernière semaine de juillet et les deux premières semaines d’août, ce sont les périodes de vacances traditionnelles pour les politiciens. » Il ajoute en plaisantant que « la femme de Bart ne le laisserait plus passer la porte si il écourtait leurs vacances pour assister à la Pride. » Les dirigeants des autres grands partis, comme Kris Peeters (CD & V), Wouter Van Besien (Groen), Philippe De Backer (Open VLD), Peter Mertens (PVDA) et Jinnih Beels (SP.A) sont pourtant bien présents lors de cette Pride. De Wever, qui a déclaré il y a cinq ans qu'il ne voulait pas de « t-shirts arc-en-ciel derrière les guichets de la ville», a cependant envoyé un cliché jovial de ses chaussettes multicolores:

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Piet De Bruyn, député flamand et coordinateur du réseau N-VA Rainbow, a les joues recouvertes des couleurs de l'arc-en-ciel. Tout comme Vereecken. Lorsqu’il me demande mon nom, il établit immédiatement le lien avec Cornelius Fudge, le ministre de la magie dans Harry Potter, et est sans doute le centième à me faire la blague. « Mon mari arrive bientôt, il est toujours avec ses parents », dit-il à Vereecken. Ce dernier lui répond qu'il a proposé à ses parents de venir à la Pride, « mais ils ne voulaient pas. » Sur le char voisin, on voit bien que les hommes musclés en combinaison de cuir avaient eux clairement envie de venir ici. Je leur demande si la secrétaire d'État à l'égalité des chances, Zuhal Demir, sera également présente. S’engagera-t-elle activement dans les droits des LGBT+ aujourd'hui ? « Elle est bien sûr avec sa fille [âgée de 8 mois, ndlr], mais il est possible qu'elle vienne plus tard. Après ce qu’il s’est passé à Bruxelles, elle un peu inquiète du point de vue de la sécurité. »

« Nous ne sommes pas durs, nous sommes honnêtes »

Nous atteignons à peine le premier virage que quelqu'un crie « Stop pinkwashing! » à l’adresse du char de la N-VA. Très vite, un deuxième slogan retentit : « Les musulmans sont gentils ! » Je demande à celle qui vient de crier son opinion sur le parti du maire d'Anvers. « La N-VA n'est pas du tout tolérante envers les étrangers », me dit Maja (31 ans). « Ils utilisent les droits LGBT+ pour attirer l’attention sur eux. »

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S’attribuer des bons points avec les droits LGBT+, c’est faire ce qu’on appelle du « pinkwashing ». Le terme vient des États-Unis, où il était à l'origine utilisé comme critique contre les entreprises qui voulaient se donner bonne image en versant de l'argent pour la recherche contre le cancer du sein, traditionnellement associée à la couleur rose, tandis qu’ils gagnaient en fait leur argent sur le dos de la maladie. Plus récemment, les opposants ont utilisé le terme « pinkwashing » contre les partis qui, selon eux, veulent se présenter avec un programme tolérant et pro-LGBT+, tout en défendant des points de vue durs et conservateurs.

Dans les smartphones des migrants

« Nous ne sommes pas durs, nous sommes honnêtes », se défend l'échevin anversois de la Diversité, Fons Duchateau (N-VA), lorsque je lui en parle. « Il y a simplement un certain nombre de droits et de valeurs fondamentales que tout le monde doit accepter. Par exemple, les réfugiés ont le droit individuel de ne pas moralement accepter les personnes homosexuelles, mais pas le droit d'agir en conséquence. » Mais c'est bien sûr à cause de ce genre de discours que le lien entre homophobie et réfugiés s’est si rapidement établi.

Après deux cas de « gay bashing » cette semaine à Gand et à Anvers, le message de la N-VA est malheureusement très actuel : « LIBRES ET EN SÉCURITÉ DANS NOTRE VILLE » est sur leur bannière, avec à côté de ça, une version cartoon de Bart De Weaver les yeux dans les fesses dénudées de la statue de Silvius Brabo.

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v.l.n.r.: Piet de Bruyn (derde van links), Kevin Vereecken, Annick De Ridder en Bruno De Saegher.

Lorsque « Sexy Back » de Timberlake sort des haut-parleurs, je me sens de nouveau adolescent. Je vois du coin de l’oeil que Kevin Vereecken hoche également la tête. Peu de temps après, il se lance dans une danse agitée qu'il poursuivra tout au long de la Pride. Bien que De Bruyn n’est pas en reste, Vereecken semble être le party animal de la journée.

“« L'année dernière, nous avions des cuistax rouges, qu'on a été obligés de transformer en jaune »

Bruno De Saegher, trésorier du parti N-VA d'Anvers et échevin à Berchem, se distingue quant à lui par le nombre de photos qu'il prend. D'après le « photographe du parti », le défilé s’arrête trop fréquemment. « L'année dernière, nous avions des cuistax, c'était plus sympa. Annick De Ridder, numéro deux sur la liste électorale à Anvers après De Wever, se précipite à nos côtés et ajoute: « Un problème avec les cuistax, c’était qu’ils étaient rouges. Ce n'était évidemment pas envisageable, alors nous les avons rendus jaunes à l’aide de bandes adhésives, ce qui a bien pris quelques heures. Et après, on a dû passer du temps à tout enlever. » De Ridder pense qu'Anvers met incroyablement bien la Pride en lumière, littéralement : « As-tu entendu parler des lightshows que la ville diffuse ce week-end ? Ils sont vraiment méga dingues. » Plus tard, je les vois chanter en choeur sur « Barbra Streissand » de Duck Sauce. Woo hoo woo hooo hoo.

Parce que je veux aussi voir la fête d'en haut, je demande au garde de sécurité si je peux monter sur le char de la N-VA. Quand il arrête le char pour m'aider à monter comme un sexagénaire rouillé, une femme de l'organisation débarque sur le champs pour me dire que « ce n'est pas permis. » Apparement, ça prendrait trop de temps et il pourrait alors y avoir des « brêches »dans cette farandole d'un kilomètre. Mais maintenant que le char est à l’arrêt, les freins bloquent et la voiture ne veut plus démarrer. Le char N-VA ressemble à un fêtard qui aurait trop tapé dans son stock de kétamine : il en veut toujours plus, mais plus rien ne fait d’effet. Il faudra sept longues minutes (oui, je les ai comptées) avant que le cortège ne puisse continuer sa route. De Saegher continue à prendre des photos et Verreecken me taquine en me demandant si c’est moi le responsable de ce bordel. Toutes mes excuses à l'organisation.

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Après cet incident, un homme portant un manteau noir se joint au groupe N-VA. Ils évoquent le débat autour des droits des LGBT+ qui s’est déroulé la veille. Curieux de la raison de son intérêt politique, je lui demande s'il est sympathisant de la N-VA. Vereecken réagit étonné : « Tu ne sais pas qui est Dave ? » L'homme en face de moi semble être l'éminent politologue, Dave Sinardet, lui-même gay.

« D’un point de vue électoral, la N-VA ne peut se permettre de ne pas être ici. Mais les politiciens les plus à droite ne sont bien sûr pas présents. »

Le professeur Sinardet me donne une brève introduction à l'histoire des droits des LGBT+. « Ces derniers temps, il y a beaucoup de consensus politique sur les droits des LGBT+. En 1996, c'était très différent », dit-il alors que « Danza Kuduro » - le reggaeton de l’été 2010 - tente de rendre notre conversation impossible. À côté de nous se trouve une drag queen dans un costume gris métallisé particulièrement audacieux, surplombé d'une paire de lunettes de soleil futuriste. Sinardet continue sans être pour autant dérangé : « Nous avons ensuite organisé une première Pride à Bruxelles avec peut-être 2 500 personnes. C'était un grand succès à l'époque. Il y avait quelques hommes politiques d'Agalev [précurseur du parti Groen, ndlr.], et du SP.A, mais certainement pas de politiciens très connus. » Traditionnellement, les personnes queers recevaient le soutien de la gauche, comme toutes les minorités. Les partis de droite n'étaient pas ce qu’on aurait pu appeler de grands fans de cette cause. « L’aile droite de l’ancien Volksunie [l’un des précurseurs de la N-VA, ndlr.] était spécialement contre. Parallèlement, il y a eu une évolution sociale qu’il a fallu suivre. Et ce n'est pas une mauvaise chose non plus. » Nous rencontrons un ami de Sinardet qui nous offre une pinte. Pendant ce temps, nous sommes confrontés à deux femmes d'âge moyen. L'une d’entre elles s’adresse de façon assez désagréable au professeur de science politique: « Mec, tu vas rester tout le temps planté sous mon nez ? » On dirait bien que je ne suis pas le seul à ne pas l’avoir reconnu.

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D’après Ramsès (36 ans) - un participant de la Pride à qui j’ai parlé plus tard - la droite politique n’est toujours pas une grande adepte des droits des LGBT: « D’un point de vue électoral, la N-VA ne peut se permettre de ne pas être ici. Mais les politiciens les plus à droite ne sont bien sûr pas présents. » Selon lui, cela explique tous ces abonnés absents. « Mais je pense que des gens comme Piet De Bruyn sont ici sincèrement. Je ne comprends d'ailleurs pas ce que fait Piet dans un parti comme la N-VA. » Certaines personnes pensent que la politique devrait rester en dehors de cet événement : « Pour moi, il ne devrait pas y avoir de partis politiques présents aujourd'hui, ce n'est pas nécessaire », me dit Wesley (39 as). « Nous sommes tous unis ici et les partis ne causent que des problèmes. Ils ne sont ici que dans le but de recruter des votes. »

« La N-VA n'en a rien à battre de nos droits LGBT+. Je suis incapable de m'identifier aux gens sur leur char : uniquement des vieux hétéros de droite ! »

Plusieurs personnes à qui j’ai parlé aujourd'hui, jeunes et moins jeunes, ne sont pas vraiment impressionnés par le char de la N-VA. « Il manque des gens d’origines différentes sur leur char. Ces vieilles personnes, c'était mignon, mais ce n'était pas sincère », explique Enya (21 ans). Amy (20 ans) résume ainsi: « J’ai bien l’impression que ceux de la N-VA n'en ont rien à battre de nos droits LGBT+. Je suis incapable de m'identifier aux gens sur leur char : uniquement des vieux hétéros de droite ! »

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« La N-VA utilise le discours LGBT+ comme argument supplémentaire dans son débat contre l’islam », me dit Sinardet. Ce n’est d'ailleurs pas un hasard s’il a dit ce week-end dans le journal De Tijd que « les homosexuels devraient être reconnaissants envers les musulmans. » Pourquoi? « Pour certains partis, et certainement pour le Vlaams Belang, mais aussi pour certains membres de la N-VA, le discours pro-LGBT+ semble motivé ou du moins renforcé par le discours sur les migrants et les musulmans. » Concrètement : en tant que parti, le discours LGBT+ sert contre les musulmans et / ou les réfugiés.

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Un exemple frappant est le plan d'action contre l'homosexualité et la transphobie publié récemment par la secrétaire d'État à l'égalité des chances Zuhal Demir. Les opposants estiment que le plan d’action « dépeint la population musulmane à certains moments comme étant homophobe, sans aucune nuance ». Duchateau, l'échevin local des Affaires sociales et de la Diversité, collègue de Demir, est plus nuancé sur ce débat : « La foi est finalement une sorte de doctrine. Elle peut exister, mais dans le respect de nos normes et valeurs, y compris la liberté d’orientation sexuelle. Et parfois, il y a des affrontements sociaux avec les croyants à propos de ces thématiques. Il ne s’agit pas seulement d'affrontements avec les musulmans, mais aussi avec, par exemple, les juifs ou les membres des églises pentecôtistes africaines. » Selon lui, les cours d'intégration devraient garantir que tout éventuel croyant homophobe comprenne que les personnes LGBT+ ont également le droit d'exister.

Lorsque le cortège se termine brusquement à 16h au lieu des 18h initialement prévues et que le char N-VA disparaît à toute allure vers l'horizon, je perds finalement l'espoir de monter au sommet du char pour dominer la fête. Parmi les membres du parti restés sur place, Vereecken continue de papoter avec ses collègues : « Beaucoup de gens nous ont pris des tracts, ça m'a vraiment surpris. » Puis, il me dit que tout est resté cordial sinon correct, contrairement à ce qu’il s’est passé lors de la Pride de Bruxelles. « On n’a pas vu de bières ou de pierres lancées contre le char. Le char est peut-être resté bloqué à un moment ou à un autre, mais au moins il n’a pas été attaqué. »

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