Avec les militantes climat qui volent les portraits de Macron

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Jeudi 4 avril à 11 heures, un petit groupe de militants – dont une majorité de militantes – s’introduit dans la mairie du très chic 8ème arrondissement, située rue de Lisbonne à Paris. Leur but : se faufiler dans les étages et dérober le portrait d’Emmanuel Macron afin de dénoncer l’inaction du gouvernement en matière de justice climatique. Pendant que deux d’entre elles, carnet à la main, « bonnet et lunettes de hipster » sur la tête, se font passer pour des étudiantes en architecture afin de faire diversion, le reste du groupe accède à la salle des fêtes. Très vite, la troupe enfile des gilets jaunes et prend la pose pour les photos destinées aux réseaux sociaux.

Attaché au bout d’une corde, le portrait est descendu par la fenêtre et réceptionné par des complices postés dans la rue. Une fois les gilets jaunes retirés, le groupe quitte rapidement les lieux en repassant par la grande porte et s’empresse de fuir le quartier sans avoir été repéré. L’action, minutieusement préparée, n’aura duré en tout qu’une quinzaine de minutes. Un véritable succès pour la vingtaine de militants d’ANV-COP21 mobilisés sur cette mission (18 sur le terrain et 4 en base arrière), qui vient s’ajouter à une longue liste d’interventions jusqu’ici savamment accomplies : depuis le lancement, le 21 février, de l’opération baptisée « Sortons Macron », plusieurs dizaines de portraits ont en effet été dérobés à travers la France par des militants de ce réseau lancé en 2015 qui, comme son nom l’indique, privilégie l’action directe non-violente. « On les garde et réquisitionne jusqu’à ce qu’enfin le président prenne des mesures » me souffle, stressée mais ravie Elodie, porte-parole d’ANV-COP21 : « Celui-là, c’est le 32ème ».

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À trente ans, Elodie a travaillé cinq ans dans une asso de sensibilisation autour du commerce équitable avant de jeter l’éponge et de basculer dans l’action : « Je sens une sorte de tournant de l’histoire, que ce soit la mobilisation pour le climat, les “gilets jaunes” ou les jeunes qui font la grève, il se passe quelque chose de fort. Partout dans le monde, on sait que ce sont les dernières années où on peut peut-être avoir un impact sur la trajectoire climatique ». Un sentiment partagé par Sandy, 24 ans, étudiante en école de communication et actuellement en service civique à Alternatiba Paris, qui ajoute : « L’urgence, c’est maintenant. Au-delà du climat et de la perte de biodiversité, je milite aussi pour le côté social et contre le vide de la politique d’Emmanuel Macron : en cas de dérèglement climatique, ceux qui vont payer, ce seront les plus pauvres ».

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Julie et une autre militante

Pour Julie, 25 ans, elle aussi à Alternatiba Paris, la découverte de l’activisme a été un véritable soulagement : c’est pour faire face à « l’éco-anxiété » – l’angoisse liée à l’effondrement imminent de la biodiversité et de notre système économique – et à un sentiment d’absurdité grandissant qu’elle a plongé dans l’action. « Jusqu’ici, j’avais une démarche écolo dans mon coin comme beaucoup de monde – vélo, 0 déchet, véganisme – mais j’ai passé la vitesse supérieure, témoigne-t-elle. Il y a quelque chose d’assez salvateur et réconfortant à avoir le sentiment d’agir vraiment. Ça m’a vraiment permis de m’en sortir psychologiquement par rapport à cette grosse inquiétude existentielle ». Décrivant l’action directe non-violente comme quelque chose de jouissif, elle poursuit, s’adressant notamment à ceux de sa génération qui hésiteraient à s’engager : « Je pense qu’on a tous de l’éco-anxiété, le sentiment qu’il y a quelque chose de profondément problématique avec la manière dont on vit et le système tel qu’il est. Il y a un remède à ça, qui est de se retrouver entre personnes qui ont la même angoisse, construire le monde d’après, faire des actions de résistance et s’organiser ».

« La lutte antiterroriste devrait avoir bien d’autres choses à faire que de traquer des militants qui décrochent des portraits » – Elodie, porte-parole d’ANV-COP21

Si elles font vibrer les activistes et sourire les supporters, les actions menées par ANV font beaucoup moins marrer les forces de l’ordre, qui semblent prendre très au sérieux ce crime de lèse-majesté : selon Elodie, la porte-parole, les décrochages de portraits auraient donné lieu à 43 convocations, 23 gardes à vue et 17 perquisitions, les militants poursuivis pour vol en réunion – et dont les différentes audiences sont prévues le 26 juin à Strasbourg, le 2 septembre à Lyon et le 11 septembre à Paris – risquant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Selon des révélations récentes, le Bureau de la lutte anti-terroriste (BLAT) aurait même été saisi afin d’identifier les membres impliqués. « Même si on est au courant des risques juridiques, on est assez étonnés du côté disproportionné de la répression et des moyens utilisés, témoigne Elodie. La lutte antiterroriste devrait avoir bien d’autres choses à faire que de traquer des militants qui décrochent des portraits ».

Loin de s’arrêter aux seuls activistes, la répression toucherait désormais même les médias qui couvriraient les actions de décrochage, un journaliste et un correspondant local de presse de la Sarthe ayant récemment été convoqués par la gendarmerie dans le cadre d’une enquête – « du jamais vu », selon le Syndicat National des Journalistes. « Ça montre que ça dérange », analyse à son tour Sandy, avant de préciser : « Qu’on s’attaque au vide de la politique de Macron, aux lois qu’il ne met pas en place et devrait mettre en place suite aux accords de Paris, celles qu’il prône à l’international mais n’instaure pas au sein de son propre pays, ça réduit à néant tout le travail de communication qu’a essayé de construire notre président, le blabla concernant la politique climatique ».

Loin de se laisser intimider, les militantes pro-climat semblent au contraire galvanisées par la violence de la répression : « La répression nous rend encore plus solidaires, ça ne nous fait pas peur. Cette répression, vue à travers les gilets jaunes ou le traitement de la presse, me donne encore plus de courage et d’envie de le faire », explique Sandy, approuvée par Julie, qui confie à son tour : « J’ai peur des conséquences, mais j’ai beaucoup plus peur de ne rien faire pour le climat que de finir en garde à vue ».

À travers toute la France, les activistes d’ANV semblent plus déterminés que jamais à poursuivre leurs actions de décrochage, et ont mis en place une cagnotte en ligne afin de soutenir leurs camarades poursuivis par la justice et payer les frais d’avocat. Si elles ont peu d’espoir d’obtenir une réaction positive ou significative de la part du gouvernement, Elodie, Sandy et Julie espèrent à terme gagner le soutien massif de la population : « Ce qu’on essaye de faire, c’est créer une bascule dans les esprits pour montrer à quel point le régime est illégitime dans sa façon d’agir, que les politiques ce ne sont pas celles que veulent la majorité des Français : polariser l’opinion publique et faire en sorte de gagner la bataille culturelle », explique Julie, qui poursuit l’air rieur : « On appelle à ce qu’il y ait un millier de portraits décrochés dans toute la France : qui que vous soyez, allez voir votre maire et décrochez votre portrait ! Il y a même des maires qui nous ont offert leur portrait en disant “allez-y, prenez le nôtre, on n’en a pas besoin” ! ».

Au-delà des visites de mairies, les activistes planchent sur d’autres initiatives d’envergure afin de faire entendre leur voix : le 19 avril, ANV-COP21 s’associera aux Amis de la Terre et à GreenPeace afin de mettre en place la plus grande action de désobéissance civile jamais organisée en France pour le climat, selon ses organisateurs : « “Bloquons la République des pollueurs”, c’est une action qui vise directement le gouvernement et son lien incestueux avec les grandes entreprises les plus polluantes », explique Julie, enthousiaste. On espère que nos militantes seront encore en liberté d’ici-là.

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