Gérard Fauré est né voyou. C’est son père qui le dit à sa naissance au sortir de la Seconde Guerre mondiale, persuadé que son fils sera « une pure source d’emmerdements ». Et le moins qu’on puisse dire, c’est que Fauré n’a pas fait mentir son père. Aujourd’hui âgé de 72 ans, Gérard Fauré a passé sa vie dans le crime, et ce dès sa plus tendre enfance. C’était au Maroc, où il déterrait des morts pour leur piquer des bijoux, avant de se convertir dans le change de monnaies étrangères à Tanger, puis dans le trafic de dope en Hollande – « son université du crime » – et en France.
Dans Dealer du Tout-Paris (éditions Nouveau Monde), en librairie ce jeudi 25 octobre, Fauré rembobine une vie à peine croyable, faite de braquages, d’allers-retours en prison et de voyages à travers l’Amérique du Sud à la recherche de la meilleure coke. C’est en France que Fauré a gagné son surnom le plus fameux, celui de « prince de la cocaïne », quand il exerçait la fonction de pourvoyeur en blanche de la jet-set parisienne des années 1980.
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Les actrices, chanteurs, mannequins et politiques de l’époque connaissaient tous Fauré, qui passaient ses soirées dans les boîtes ou dans sa grande villa de Versailles, où les afters étaient apparemment légendaires. Dans son bouquin, le voyou règle ses comptes avec plusieurs de ses illustres clients et accointances, dont Johnny Hallyday, une princesse et un ancien président de la République. Le voyou à la vie bien remplie revient sur cette période où les boîtes de nuit parisiennes n’ouvraient pas avant le passage de Fauré.
VICE : Après un passage en prison aux Pays-Bas, vous partez pour Paris à la fin des années 1970. Et rapidement, vous devenez le « prince de la coke » des nuits parisiennes. Comment s’est faite cette ascension ?
Gérard Fauré : Après plusieurs années aux Pays-Bas, je n’avais pas d’autre solution que de quitter le pays, sinon je me faisais flinguer. Je suis donc parti vers la France pour aller habiter chez ma mère, à Versailles. C’est avec Fernand Legros, un peintre spécialiste des copies de tableaux de maîtres, que tout a vraiment commencé. Il sortait de prison, il avait une Rolls, il voulait de la coke, mais il n’avait pas de fric. Du coup, il m’a dit : « Je te promène dans toutes les boîtes de Paris, et en échange tu me mets de l’essence, tu me payes à boire et à manger de partout, et moi je te fais tourner tout le monde ». Et c’est vrai, qu’il m’a présenté beaucoup de monde. Il me coûtait cher entre les pleins d’essence tous les jours, les restos, les boîtes, la cocaïne. Mais sur le long terme, je n’étais pas perdant avec lui.
En plus de fournir la jet-set de l’époque, vous étiez aussi le fournisseur des grands braqueurs comme Bruno Sulak et le gang des postiches…
Beaucoup de braqueurs ne pouvaient pas faire de braquage sans coke. Pour me payer, ces gens-là m’amenaient donc un diamant ou des montres Cartier contre quelques grammes de coke, ce qui m’arrangeait bien. Je leur vendais de la [cocaïne] colombienne, qui rend vachement agressif. Avec ça, on se sent invulnérable, on se prend pour un lion. Je ne leur donnais pas de la péruvienne, sinon ils allaient avoir envie de danser et de s’amuser – ce qui n’est pas vraiment le but dans un braquage. C’est aussi ça que les braqueurs appréciaient chez moi, je connaissais bien le produit.
Très vite, vous fournissez en cocaïne les actrices, mannequins, politiques, chanteurs… À quoi ressemblait le Tout-Paris de cette époque ?
C’était un sacré panier de crabes – avec des crabes assez spéciaux. Pour moi, c’était quand même quelque chose. J’étais adulé, gâté, adoré. Quand je rentrais dans une boîte, les femmes venaient me voir pour s’asseoir à ma table. Je n’étais pas fier, mais ça me faisait plaisir d’être en bonne compagnie.
Vous aviez l’impression d’être le moteur de la nuit ?
Les gens le disaient oui. J’avais ce sentiment, mais c’était réel. La cocaïne met l’ambiance, surtout quand elle est bonne – la mienne était pure à 98 %, du jamais vu en France. Ça dansait, ça s’entre-baisait, c’était de la folie… Je faisais aussi affaire avec tous les patrons de boîtes, notamment avec Hubert Boukobza, le boss des Bains Douches. Il me demandait 10 grammes tous les soirs, et il n’ouvrait pas la boîte avant que je l’aie livré. Donc logiquement, j’avais le sentiment d’être le moteur de ces nuits. Après, attention, la cocaïne ce n’est pas de l’aspirine, mais c’est vrai que ça a fait danser le Paris by Night.
En plus de fournir les stars, vous étiez aussi le maître de l’after dans votre demeure de Versailles, boulevard du Roy. À quoi ressemblaient ces soirées ?
Tous les soirs, j’étais « ouvert ». Quand les boîtes fermaient, ou même avant, quand je ne sortais pas, les gens venaient chez moi. J’avais une villa immense, avec sept chambres à coucher. Quand les clients arrivaient, je pesais une pierre [de cocaïne] devant eux, puis à la sortie je pesais à nouveau, et ils me payaient la différence. Il y avait aussi du champagne, mais ça c’était cadeau.
Tout en devenant un personnage quasiment incontournable de la nuit parisienne, vous continuez à faire des allers-retours avec l’Amérique du Sud pour aller chercher du produit. Vous utilisiez encore la « technique du boa », qui consistait à remplir une chèvre morte de coke, de la donner à manger à un boa pour camoufler la marchandise ?
Ah non, le boa je l’ai fait quelques fois, mais le secret c’est qu’il faut se réinventer. Puis on est passé aux mules. Des mecs qui me faisaient passer un kilo, donc quatre à la coupe. Puis après, c’était par bateau. On s’est arrangé.
Pourquoi vous lancez-vous dans la « vente au détail », alors que le trafic depuis l’Amérique du Sud était bien plus lucratif ?
J’ai fait ça pour la notoriété. J’étais un grand frimeur. J’aimais être vu en présence de tous ces gens-là. Puis avec les stars, j’étais obligé de faire du détail, je n’allais pas leur vendre des kilos. Aux Pays-Bas, j’avais une reconnaissance, mais elle était tout autre. En gros, je faisais peur à tout le monde. J’étais un enfant terrible. Mais ce n’est pas ça que je voulais. Je tirais sur des mecs pour un oui ou pour un non. Pas dans la tête, hein. Mais pour leur faire mal. En France, c’était une autre sorte de reconnaissance. Je suis français et fier de l’être, donc j’ai toujours voulu être reconnu dans mon pays. C’est cette envie de reconnaissance qui m’a coûté. Si je m‘étais contenté de faire du gros, je ne serais peut-être pas tombé.
Vous dîtes qu’il est plus dangereux de fournir des gens connus, parce qu’ils n’hésitent pas à vous balancer pour se sortir d’affaire. Pour vous, tout s’arrête en juillet 1986, quand vous êtes récupéré par la brigade des stups. Comment vous vivez ça ?
Le problème avec les gens connus c’est qu’ils balancent. Johnny [Hallyday] en particulier, qui a balancé un truc que les flics ne savaient pas : mon after. Et ça a pesé sur ma condamnation, parce qu’on m’a accusé de proxénétisme hôtelier. Quand je me suis fait attraper, je savais que ça me pendait au nez. Il fallait bien que cela arrive. J’étais un peu énervé contre moi-même. Certains clients étaient néfastes pour mon business, mais il y avait trop d’argent à se faire. Après, d’un autre côté, j’avais l’habitude de la prison. Quand on prend des risques, il faut s’attendre à ça. Ça fait partie des paramètres à prendre en compte.
Vous ressortez de prison en 1991, mais jusqu’au début de cette année vous allez enchaîner les allers-retours entre la détention et la liberté. C’est fini maintenant ?
Là, c’est définitivement fini. Je n’ai plus d’années à donner, je suis trop vieux. Quand j’étais jeune, je m’en foutais un peu d’aller en prison, mais là c’est bon.
Dans votre livre, vous citez nommément plusieurs de vos clients, vous n’avez pas peur des représailles ?
Je n’ai peur de rien. J’en ai rien à foutre, ils font ce qu’ils veulent. Ils vont m’attaquer ? Je suis insolvable. Ils veulent me mettre en prison ? J’ai 19 années de taule derrière moi, ça ne me fait pas peur. Au pire, ça me fera des vacances. Si je mentais, je pourrais me faire du souci. Mais je dis la vérité. S’ils veulent me faire des procès, ce sont eux qui perdront, parce que moi j’ai des preuves.
L’adrénaline des trafics et vos connaissances du milieu ne vous manquent pas trop ?
Bien sûr que ça me manque, mais faut se raisonner un petit peu. Mes amis du milieu sont tous morts. Il y en a encore deux ou trois qui me téléphonent, mais je n’ai plus envie de les voir. C’est le passé. Les autres se sont pris des balles dans la tête, ont été « suicidés » ou sont morts du SIDA. Moi je suis un heureux survivant. Je suis passé à travers tous les pièges de la nature, peut-être parce que j’ai toujours consommé du bon produit – de la coke bio. Maintenant, j’ai trouvé mon adrénaline en achetant une ferme dans le centre de la France, où je cultive des belles pommes bios. Le fait de créer, de faire pousser des trucs, ça me rend heureux. C’est une belle fin de vie ça.
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