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Allemagne

Deux anciens chefs de la rébellion hutu condamnés en Allemagne pour leurs crimes en RDC

Ignace Murwanashyaka et Straton Musoni ont été condamnés à 13 et 8 ans de prison pour des crimes commis en RDC en 2008 et 2009, qu’ils ont orchestrés depuis l’Allemagne, où ils résidaient.
Photo via Flickr

Ignace Murwanashyaka et Straton Musoni, ont été condamnés ce lundi matin à respectivement 13 ans et 8 ans de prison, au terme d'un procès de quatre années à Stuttgart en Allemagne, pays où ils résident depuis des années et depuis lequel ils étaient accusés d'avoir dirigé des crimes en République démocratique du Congo (RDC), en 2008 et 2009.

Alors que l'accusation de crime contre l'humanité était retenue contre Ignace Murwanashyaka, il a finalement été déclaré coupable d'avoir aidé et de s'être rendu complice de crimes de guerre et d'avoir dirigé une organisation terroriste. Musoni a pour sa part été reconnu coupable d'avoir dirigé une organisation terroriste. Ce dernier a déjà effectué cette peine, compte tenu de la durée de sa détention provisoire, a estimé la cour dans son verdict.

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Les deux accusés étaient respectivement ancien président et ancien vice-président des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) — la rébellion hutu rwandaise, dont certains cadres auraient été impliqués dans le génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda. Cette rébellion est aujourd'hui active dans l'est de la RDC.

Élise Le Gall, docteur en droit de l'université Paris I et auteure d'une thèse sur la lutte contre l'impunité menée au sein des juridictions pénales internationales, note que les condamnations de ce lundi sont d'importance vu « l'envergure du procès. »

Contactée par VICE News ce lundi en début d'après-midi, la spécialiste explique que prouver des faits de crimes contre l'humanité n'est pas chose aisée, puisque cela répond à des « points de définition très stricts. »

« Toute la palette d'atrocités »

À l'ouverture du procès, l'accusation a lu pendant près d'une heure la liste de tous les crimes que Murwanashyaka et Musoni étaient accusés d'avoir planifié, ou au minimum de n'avoir pas empêché, depuis l'Allemagne : meurtres, viols, pillages, incendies de maison, recrutement d'enfants-soldats, prises d'otage… « Toute la palette d'atrocités que l'on peut s'imaginer dans une guerre civile, » a dit le procureur général, Christian Ritscher.

Selon les informations du quotidien allemand Tageszeitung, le procès s'est notamment focalisé sur la destruction de villages congolais en 2009, dont celui de Busurungi, dans la nuit du 10 mai 2009, qui a causé la mort d'au moins 96 personnes. Un rapport de l'ONU datant de 2009 dénonçait déjà la responsabilité de Murwanashyaka dans cette attaque. La destruction de ces villages aurait eu lieu en représailles d'attaques conjointes de l'armée du Rwanda et de RDC contre les FDLR, plus tôt dans l'année, en janvier 2009.

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Ignace Murwanashyaka, 51 ans aujourd'hui, serait arrivé en Allemagne en 1989, selon Human rights watch. Toujours selon l'organisation de défense des droits de l'homme, il aurait étudié l'économie à l'université de Cologne, et aurait été élu président des FDLR en 2001. Il aurait alors fait plusieurs voyages en RDC pour y rencontrer les membres de la rébellion hutu, et aurait été réélu à la présidence de cette rébellion en 2005, une fonction qu'il a exercée jusqu'à son arrestation en 2009.

Straton Musoni vit en Allemagne depuis 1986, a lui aussi fait ses études Outre-Rhin, et est devenu vice-président des FDLR en 2004. « Je récuse tous les reproches qui me sont faits, » avait-il déclaré lors de son audition par la Cour en août 2013. « Je ne me reconnais pas dans ces accusations. Je ne suis pas comme ça. »

Tous deux avaient reçu le statut de réfugié à leur arrivée. Ils ont été arrêtés en Allemagne le 17 novembre 2009 et étaient jusqu'à aujourd'hui retenus en détention provisoire. Ils auraient organisé les crimes depuis l'Allemagne via des téléphones satellite, des SMS ou encore par e-mail.

Le procureur général Christian Ritscher, qui s'est rendu en Afrique pour trouver des témoins, avait requis la perpétuité pour Ignace Murwanashyaka — qui en tant que président des FDLR est coupable, selon la formule employée dans le plaidoyer du procureur général, de ces crimes « comme s'il les avait commis lui-même ». Le procureur avait requis 12 ans de prison pour Straton Musoni.

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Certains témoins (d'anciens combattants des FDLR ou des survivants congolais) ont fait le voyage depuis le Rwanda pour venir témoigner ou ont été entendus par un système de vidéo-conférence, et parfois sous couvert d'anonymat, alors que les FDLR sont toujours actives dans l'est de la RDC aujourd'hui.

À lire : La RDC dénonce l'incursion de soldats rwandais sur son territoire

Pourquoi un procès en Allemagne ?

Lors de l'annonce du verdict ce lundi, le président de la cour Jürgen Hettisch a ouvertement critiqué les conditions du déroulement du procès : la justice allemande ne serait pas capable, selon lui, de venir à bout d'une procédure aussi massive, avec une telle composante internationale. « Comme cela, ça ne fonctionne pas, » a-t-il dit. De nombreux problèmes de traduction et des pressions sur les témoins ont émaillé la procédure.

5/ German judge says German system not geared to conducting this kind of trial properly. His verdict on the — Dominic Johnson (@kongoecho)28 Septembre 2015

Le procès a eu lieu en Allemagne, soit à près de 6 000 kilomètres de la RDC, où ont été commis les crimes jugés. « Pour les non-initiés, ce procès peut sembler surprenant, » explique la spécialiste Élise Le Gall. « En réalité, il s'agit de l'application de ce qu'on appelle la compétence universelle. Il s'agit d'un instrument juridique que tous les États peuvent utiliser pour poursuivre les auteurs de certains crimes, peu importe le lieu du crime et la nationalité des auteurs ou des victimes. »

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Ce procès a aussi été rendu possible par la simple application du principe de territorialité, puisque les crimes ont été ordonnés depuis l'Allemagne, où résidaient les deux prévenus.

Les crimes de guerre et contre l'humanité sont aussi jugés par la Cour pénale internationale (CPI), mais « La compétence universelle est un instrument juridique bien plus facile à saisir que la CPI, quoique « encore nouveau », selon Élise Le Gall qui estime que les recours à la compétence universelle vont être de plus en plus fréquents. En effet c'est la première fois que ce type de procès se tient en Allemagne.

Toutefois, « il faut avoir les moyens de le faire, puisque tout est à la charge des États qui veulent poursuivre, » précise Le Gall, qui avance l'idée d'un possible fonds pour les pays qui appliquent cette compétence universelle.

Le procès des deux chefs rwandais, qui s'est étiré sur 320 jours de session, aurait coûté 4,8 millions d'euros, selon les estimations de la Cour rapportées par le média allemand Tagesschau.

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg

Pierre Longeray a participé à la rédaction de cet article. Suivez-le sur Twitter : @PLongeray