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Sports

Pourquoi le SPVM s’intéresse-t-il soudainement aux sports de combat amateurs au point d’en annuler les compétitions?

Des combats amateurs, il y en a depuis plusieurs années au Québec. La police les tolérait… Qu’est-ce qui a changé?

Le SPVM a forcé la fermeture d'un événement de kickboxing amateur Aisudan au Casino de Montréal, organisé par le Victor Thériault (le frère du légendaire champion mondial de kickboxing full-contact Jean-Yves), le 23 février dernier. Au début mars, c'était au tour des qualifications canadiennes de la coupe du monde de jiu-jitsu brésilien d'être annulées sous peine de représailles judiciaires à quelques heures d'avis. L'événement rassemblait plus de 200 compétiteurs venus de partout au pays. L'événement s'est tenu à Ottawa quelques jours plus tard sans esclandre, mais avec environ 60 participants en moins.

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Mais bordel, que se passe-t-il?

Pourtant, des combats amateurs, qu'ils soient en jiu-jitsu brésilien, kickboxing, muay-thaï ou en arts martiaux mixtes, il y en a depuis plus de dix ans au Québec. Pourquoi est-ce le SPVM décide d'arrêter de les tolérer et d'appliquer la loi subitement? La crise de confiance au sein de la police montréalaise y est-elle pour quelque chose? Au cœur de toute cette affaire se trouve l'article 83 du Code criminel, qui encadre ce que le système judiciaire appelle des « combats concertés ». L'article, qui compte maintenant quatre exclusions documentées depuis un amendement de 2012, les décrit comme suit : « un match ou combat, avec les poings, les mains ou les pieds, entre deux personnes qui se sont rencontrées à cette fin par arrangement préalable conclu par elles, ou pour elles. » En gros, pour éviter qu'un combat soit traité comme une bagarre à la sortie des bars, il doit être régi par le Comité international olympique, le lieutenant-gouverneur de la province ou un organisme mis en place par la province où la confrontation se déroule. Vous en connaissez, vous, des lieutenants-généraux qui organisent des combats? Si un combat amateur n'est pas homologué par le Comité international olympique comme la boxe l'est, par exemple, ou le judo, c'est pas mal la fin du parcours pour un organisateur de combats. Mais pour que le SPVM se charge du dossier, il faut d'abord que quelqu'un les appelle et leur demande de faire appliquer l'article 83 du Code criminel. « Le SPVM m'a appelé le vendredi soir pour me faire savoir qu'ils avaient eu une plainte au sujet de mon tournoi », affirme Fabio Holanda, organisateur du tournoi déplacé à Ottawa au début mars. « Nos interactions n'ont été que pratico-pratiques. Ils m'ont dit qu'étant donné qu'il y avait une plainte, ils se devaient d'agir et que si l'événement avait lieu, tous les compétiteurs seraient arrêtés. Alors on a annulé. Fin de l'histoire. » C'est plate, mais il y a un stool en ville. Plusieurs organisateurs qui n'ont pas voulu prendre la parole publiquement m'ont d'ailleurs confirmé que c'était le cas. Que la police n'agissait que si une plainte était déposée. S'agit-il d'une seule personne travaillant dans l'ombre afin de prendre contrôle de la scène pugilistique amatrice montréalaise? Est-ce que les organisateurs rivaux se mettent des bâtons dans les roues l'un l'autre? Le milieu se questionne, mais on ne le sait pas pour l'instant. Une partie du problème provient du fait que le milieu opère sous le statu quo depuis plus d'une décennie et que ça plaît un peu à tout le monde. Personne ne veut prendre le dossier en charge et tout le monde fait sa petite affaire de son côté. Et les guerres de fiefs tirent maintenant à leur fin. La plupart de ceux que j'ai rejoints n'avaient pas grand-chose à me dire sinon qu'ils étaient complètement écœurés de se heurter à un mur de procédures juridiques afin de légitimer leur sport. « Au bout de cette histoire, ce sont les jeunes qui en payent le prix », raconte Philippe Allaire, entraîneur réputé et organisateur de combats de boxe thaïe à Montréal, un sport de combat permettant les coups avec les genoux et les coudes. Ce sport est régi par le Conseil de muay-thaï du Québec, les combattants doivent se soumettre à des examens annuels et être membres en règle afin de faire de la compétition. Mais le sport n'est malheureusement pas reconnu par le Comité olympique international, il n'est pas donc légal. Pour cette raison, Philippe Allaire a donc décidé d'arrêter lui-même d'organiser des galas afin d'éviter les ennuis judiciaires. Il explique : « Les petits gars qui volent des chars parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire de leur vie. Les kids qui fument du pot à 8 heures le matin avant d'aller à leurs cours. Le muay-thaï, ça leur donne une raison de marcher droit, d'être disciplinés. Si la police les empêche de faire de la compétition, qu'est-ce qu'ils ont d'autre à faire sinon que de recommencer à faire du trouble? »

Les combats amateurs seront-ils légaux un jour?

Pour légaliser les combats amateurs, il faut d'abord soumettre des règlements au ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport en accord avec l'amendement à l'article 83 mentionné plus haut. La personne qui reçoit ces règlements est M. Michel Fafard, directeur de la promotion de la sécurité au Ministère. M. Fafard peut soumettre des recommandations au gouvernement provincial, qui doit alors légiférer. Et le gouvernement du Québec n'en a historiquement rien à battre des combats amateurs. C'est trop controversé. Trop compliqué. Trop demandant pour un gouvernement qui a des centaines, voire des milliers d'autres choses à faire. On peut demander à Lise Thibault aussi, entre deux bouchées de viande de panda vieillie.
Le problème serait-il sans issue pour les jeunes combattants montréalais? Sont-ils condamnés à parcourir le monde afin de pouvoir compétitionner en toute légalité? Est-ce qu'on en viendra à tourner des films d'arts martiaux hyperviolents et surréels sur l'époque des combats illégaux à Montréal dans quelques années? Pas si vite. « Un comité pancanadien a été mandaté par le gouvernement fédéral pour réviser l'article 83 du Code criminel et établir des balises claires afin d'encadrer les sports de combat amateurs », dit Yves Lavigne, arbitre au UFC et légende vivante des sports de combat au Québec. « Ça fait plusieurs fois qu'on essaie de faire changer cette loi et, chaque fois, on s'est buté à un mur. Pour être honnête, je n'aurais pas accepté de faire partie de ce comité si la demande ne venait pas d'en haut. Si on peut enfin réussir et donner aux jeunes combattants un cadre sécuritaire et positif dans lequel se développer, j'aurai laissé quelque chose au milieu des arts martiaux. Une sorte d'héritage. »

Mais comment on s'en sort?

Ce n'est pas la police qui va empêcher les combattants de compétitionner. La loi n'a jamais vraiment rien changé à cela depuis la nuit des temps. Ils vont juste se cacher et mettre leur santé à plus grand risque pour le faire. Ce que les organisateurs souhaitent, c'est de pouvoir encadrer le développement du sport en toute sécurité. Faire annuler des galas organisés à la sauvette où les combattants remplissent une salle de 300 personnes en vendant des billets à leurs amis, c'est une chose. S'attaquer à des tournois d'arts martiaux et des galas de kickboxing reconnus, permettant à nos athlètes de se qualifier pour des compétitions de niveau mondial, c'en est une autre. Cela s'arrêtera-t-il un jour ou reviendrons-nous bientôt aux jours de Bloodsport et des tournois d'arts martiaux secrets?

Ne riez pas, 2016 nous a prouvé que ça se peut. L'idée peut avoir l'air farfelue lancée comme cela, mais il y a deux ans personne n'aurait imaginé Donald Trump à la tête des États-Unis. Les compétitions d'arts martiaux et de sports de combat amateurs sont illégales. C'est triste, révoltant et bizarre pour beaucoup, mais cela n'en change cependant pas la réalité. Les jeunes athlètes ne sont pas des bandits, bien au contraire. Ils souhaitent souvent marcher sur le droit chemin, accomplir quelque chose dont ils peuvent être fiers et devenir de meilleurs humains. Le parcours en arts martiaux, c'est ça. Si ce bras de fer avec les forces de l'ordre est indicatif de quoi que ce soit, c'est qu'il s'agit d'un milieu qui doit se réinventer et faire ce qu'il se doit afin d'encadrer la pratique des sports de combat. Le vent pourrait bientôt tourner et tout le monde qui souhaite en profiter se doit d'être prêt.