Dans la campagne roumaine où les gens vivent sans sanitaire

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« Mieux vaut ne pas avoir d’envie pressante la nuit », rigole Petruta alors que nous traversons Hulubești, un petit village niché entre des collines et des forêts, à une trentaine de kilomètres au nord de Bucarest. « Dès que tu poses ton cul sur ce siège froid, ta merde remonte à l’intérieur de toi. »

Petruta vit à Hulubești depuis 58 ans et a toujours fait ses besoins dans la dépendance prévue à cet effet à l’arrière de sa cour. Qu’il fasse très froid ou très chaud, elle traverse le jardin jusqu’au trou creusé dans le sol. Elle n’est pas la seule. Dans ce village de 3 500 habitants, peu de gens disposent de toilettes chez eux. Petruta dit qu’elle peut les compter sur les doigts de la main.

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Selon Eurostat, près du tiers des ménages roumains utilisent des toilettes extérieures (un euphémisme pour désigner un trou creusé au fond du jardin), mais cette proportion est beaucoup plus grande à la campagne. L’an dernier, l’Institut national de la statistique a constaté qu’environ 6% des citadins n’avaient pas de toilettes intérieures, contre 58% des habitants des zones rurales de la Roumanie.

Le comté de Giurgiu, où se trouve Hulubești, possède les pires installations sanitaires publiques des 41 comtés de Roumanie. Seulement deux de ses 51 villes et villages sont équipés de réseaux d’égouts publics. Dans le village de Petruta, des infrastructures existent, mais le conseil local est toujours à la recherche d’une entreprise privée pouvant prendre en charge le système d’égouts.

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La dépendance de Paula.

Il n’y a pas que les maisons qui manquent de toilettes. Il y a un an, le ministre de l’Éducation roumain a promis de résoudre le problème des 2 418 écoles du pays équipées de toilettes extérieures. Mais pour l’instant, rien n’a changé.

Bien que la plupart des Roumains trouvent honteux que le gouvernement ne soit pas en mesure de faire face à une crise de santé publique, certains préfèrent simplement utiliser des toilettes extérieures, même dans des endroits équipés de sanitaires. Certains n’ont pas les moyens d’acheter une fosse septique et de la faire vider régulièrement, d’autres préfèrent garder les déjections humaines hors de chez eux, et d’autres encore s’y sont juste habitués. Mon grand-père, par exemple, utilisait toujours les toilettes extérieures, alors même qu’il disposait de toilettes fonctionnelles à l’intérieur. Il préférait son ancien monde, celui dans lequel il avait grandi.

Mais parce qu’il est facile de se plaindre de tout cela depuis le confort d’un bureau, j’ai décidé de passer quatre jours avec les parents de mon amie à Hulubeşti pour voir à quoi ressemble leur quotidien.

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Chauffer une maison glaciale avec du bois est plus difficile que je ne le pensais.

Paula et moi traversons la cour dans laquelle elle a grandi. C’est une simple maison avec un porche blanc, un petit garde-manger, un hangar à bois et des latrines dissimulées dans un coin du jardin.

La dépendance contient un trou dans le sol, bordé de lattes de bois, de morceaux de bois préfabriqués et d’une porte assez louche. Le premier jour, je passe cinq heures à boire du vin chaud et à écouter des anecdotes avant de ressentir l’appel de la nature. La nuit est déjà tombée sur le village alors que je traîne les pieds dans la neige. La porte des toilettes est bloquée par un morceau de bois afin que le vent ne puisse pas entrer et déraciner la vieille structure en ruine.

Mes pas sont guidés par la lampe de poche de mon téléphone et, à mesure que je m’approche, je me dis que je vais pouvoir passer un peu de temps sur les réseaux sociaux, car cet endroit offre la meilleure réception 4G. Je déchante vite. Comparé aux toilettes modernes, celles-là nécessitent un certain équilibre et beaucoup de concentration – pas le temps de faire défiler des stories.

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Ma première sortie aux latrines.

Je fais ce que j’ai à faire, remonte mon pantalon et retourne dans la cuisine, mais pas avant de m’être lavée les mains sous l’eau glacée de la fontaine.

Un peu plus tôt, Petruța, la voisine de Paula, m’a conseillé de faire tout mon possible pour éviter d’avoir à sortir au milieu de la nuit. « Quitter ta couette pour aller dehors ? Ce n’est pas marrant, ma fille. »

Je dors toute la nuit et je pense pouvoir m’en tirer, mais peu après mon réveil, je me rends compte qu’il n’y a rien de bien marrant non plus à commencer la journée par une sortie dans la neige glacée. Même si j’essaie de me concentrer sur la tâche à accomplir, mon corps ne semble pas être sur la même longueur d’onde. Avant que je quitte Bucarest, ma mère, qui a passé un hiver à utiliser des toilettes extérieures dans son enfance, m’a rappelé à maintes reprises que le premier effet du froid sur les organes est la constipation. Elle avait raison.

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Une dépendance en briques.

Au fil du temps, les choses commencent à se simplifier, mais cela est probablement dû au fait que j’ai pris l’habitude d’enfiler une couche supplémentaire à chaque fois que je sors.

Il existe bien sûr des moyens de rendre l’expérience un peu plus supportable. Quelques voisins de Paula ont réussi à moderniser leurs installations extérieures. En me promenant dans Hulubești, j’ai tout vu, des dépendances en briques aux vitrines dotées de fenêtres à double vitrage en passant par les murs décorés d’affiches et de banderoles.

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Mon hôte Paula (au milieu) et sa voisine Petruta (à droite).

Après quelques jours, je me suis résignée à l’idée d’utiliser des latrines, mais personne ne m’avait préparée aux autres pièges de la vie à la campagne roumaine. Je passe la plupart de mes journées à porter et casser du bois pour maintenir la maison au chaud. Vous n’avez pas idée de la quantité de bois nécessaire pour ne pas mourir de froid.

Ensuite, il faut faire des voyages pour puiser l’eau du puits, ce qui me rappelle mon enfance et cette fois où j’ai bu de l’eau qui avait un goût d’essence chez mes grands-parents – et pour cause : le puits avait été contaminé par la station-service locale. Heureusement, l’eau de Hulubești n’a pas ce problème.

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Pour être honnête, il n’y a pas beaucoup de choses à faire dans les rues du village en hiver, alors c’est bien d’avoir des travaux ménagers pour me tenir occupée. J’ai l’impression de travailler très dur, mais Petruța me dit qu’en été, quand il y a des animaux à surveiller, ils ont à peine le temps de respirer.

Après quatre jours à la campagne, en plus de ma constipation, j’ai acquis un immense respect pour les millions de Roumains contraints de faire caca dehors simplement parce que les autorités locales ne se soucient pas suffisamment de leur bien-être. Et j’ai appris que s i jamais il y avait une crise des eaux usées à Bucarest, du moment que j’ai accès à une dépendance, tout irait bien.

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