Lorsqu’on entend les mots « sugar daddy », la première image qui nous vient à l’esprit est celle d’un homme d’âge moyen, bien habillé, avec une soif insatiable pour les jeunes femmes et un solde bancaire illimité pour les gâter en échange de temps, de compagnie et/ou de sexe.
En raison de la crise financière et à la hausse du chômage provoquée par la pandémie, les sugar daddies sont devenus un refuge psychologique et financier pour des jeunes du monde entier. Pourtant, la pop culture les dépeint souvent comme de vieux croûtons autoritaires et grincheux qui aiment que leur whisky soit âgé et que leurs maîtresses soient jeunes. Mais ces idées préconçues peuvent faire oublier que sous le vernis, il y a un être humain avec ses propres motivations et expériences qui l’ont catapulté dans le monde des rencontres transactionnelles. Nous nous sommes entretenus avec des sugar daddies pour en savoir un peu plus sur leurs motivations.
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Le syndrome du sauveur
« J’aime avoir le sentiment de contribuer à l’avenir de quelqu’un, explique Richard Doe*, un consultant en gestion de 42 ans originaire d’Adélaïde, en Australie, qui est sugar daddy depuis quatre ans. Beaucoup des filles avec qui j’ai été ont été élevées par des mères célibataires et ont besoin d’un soutien financier. Au moins, je sais que mon argent n’est pas gaspillé parce qu’il sert à remplir le frigo de quelqu’un. »
Doe s’est lancé dans le « sugar dating » après s’être séparé de sa femme en 2016. Son emploi du temps est chargé et il doit s’occuper de ses deux enfants, si bien qu’il n’a pas le temps d’entretenir une relation sérieuse. « Je mentirais si je disais que je fais ça par altruisme, mais disons que je préfère de loin que mon argent aille à dans les poches d’une femme qui m’apprécie plutôt que dans celles d’une strip-teaseuse. »
Il n’est pas le seul.
Pour Sanjay Desai*, banquier d’affaires de 52 ans qui fait la navette entre l’Inde, Singapour et Hong Kong, le principal attrait du sugar dating est le sentiment de satisfaction que procure le fait d’aider quelqu’un qui a moins d’expérience ou de possibilités.
« Ma sugar baby avait des difficultés dans sa carrière, dit-il. Après avoir eu son diplôme, elle a été embauchée dans une entreprise de technologie mais n’aimait pas son travail. Elle avait besoin de beaucoup de conseils, et j’ai pu lui en donner grâce à mon expérience dans le secteur technologique. » Desai a rejoint le site de rencontres Seeking Arrangement il y a trois ans. Sa situation financière et ses relations ont non seulement permis de booster la carrière de sa sugar baby, mais sont également devenues pour elle une bouée de sauvetage dans les premiers mois du confinement de l’Inde l’année dernière. « Son père est décédé subitement alors que tout le pays était en quarantaine. Cette période a été terrible pour elle. J’ai pu l’aider en lui fournissant un moyen de transport et de l’argent alors qu’elle était confrontée à une crise financière majeure, ainsi qu’un soutien émotionnel. »
Le sentiment de puissance
Si certains sugar daddies ressentent le besoin d’aider les autres, beaucoup aiment avant tout le sentiment de puissance qu’offre ce type de relation.
« Les sugar daddies se sentent bien quand ils peuvent aider les autres à réaliser quelque chose qu’ils n’auraient peut-être pas pu faire autrement. Si cela peut découler du syndrome du sauveur, cela peut aussi découler d’une soif de pouvoir », explique Seema Hingorrany, une psychologue basée à Bombay qui a suivi plusieurs sugar daddies. Contrairement à une relation conventionnelle, où l’équilibre des pouvoirs peut dangereusement basculer si c’est toujours l’homme qui donne et la femme qui reçoit, les limites et les attentes semblent plus établies, même si elles sont parfois inexprimées.
Selon Hingorrany, en raison du rôle financier que les hommes ont tendance à jouer dans notre société, les sugar daddies sont mieux acceptés socialement que leurs homologues féminins.
« Je peux contrôler la situation sans avoir l’impression d’avoir engagé une prostituée ou une escorte », dit Jack Manning*, un sugar daddy de 60 ans originaire de Singapour. La nature financière du sugar dating l’aide à se sentir plus sûr de sa relation.
« Au début, j’étais préoccupé par le fait que mes sugar babies ne voulaient de moi que pour mon argent », admet Desai, en précisant qu’il a progressivement commencé à accepter que ces arrangements s’accompagnent de telles attentes.
L’aspect financier permet à certains sugar daddies d’établir leurs limites de manière plus claire. « Lorsque vous utilisez une application de rencontre traditionnelle, les personnes s’attendent à ce que la relation se termine par un mariage ou des enfants. Mais en tant que sugar daddy, vous pouvez fixer des limites dès le début », explique Michael Swan*, un ingénieur qui partage son temps entre Londres et Paris. Bien que Swan soit maintenant fiancé à sa sugar baby, la souplesse de leur arrangement leur a permis d’instaurer une relation ouverte.
Le transfert des émotions
Certains hommes deviennent sugar daddy en raison de traumatismes cachés ou de complexes que leur cerveau n’a pas encore traités. « J’ai suivi un sugar daddy qui a eu une relation difficile avec sa fille et l’a perdue à cause d’un cancer, dit Hingorrany. Il m’a dit que même s’il ne considérait pas sa sugar baby comme sa fille, puisqu’il éprouvait une attirance sexuelle pour elle, il y avait sans doute un transfert d’émotions en ce qui concerne le fait de la soutenir financièrement. »
Le transfert, pour rappel, est un phénomène psychologique qui consiste à rediriger des émotions refoulées sur une autre personne.
« J’ai toujours voulu une fille, mais ma femme et moi n’avons eu qu’un fils. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime m’occuper de ma sugar baby », avoue Desai.
Une deuxième chance
« Je n’ai pas connu beaucoup de femmes avant de me marier, et mon mariage n’a pas fonctionné, poursuit Desai. Avoir une sugar baby, c’est comme avoir une seconde chance. » Très souvent, les sugar daddies ont le sentiment de retrouver ou de se réapproprier leur passé lorsqu’ils sont en compagnie d’une femme plus jeune qui les admire.
« Ces hommes ont souvent des complexes profonds ou des traumatismes cachés, et le fait de se sentir désirés par des femmes plus jeunes leur donne une forme de validation », fait remarquer Hingorrany. La psychologue ajoute que dans de nombreux cas, sortir avec une femme plus jeune devient un substitut à la thérapie ou peut émerger comme un sentiment d’avoir un nouveau départ dans la vie. « Un de mes clients m’a dit qu’il se sentait non seulement plus désirable après avoir conclu son arrangement, mais qu’il avait aussi l’impression que cela rallongeait sa durée de vie. »
Le fétichisme de la domination financière
« C’est comme une version améliorée et plus excitante du jeu de rôle, sans la prostitution et le proxénète », dit Manning, qui avoue avoir des orgasmes intenses quand il paie des femmes pour qu’elles le dominent.
La domination apparaît comme un thème commun dans les motivations qui animent les sugar daddies à qui nous avons parlé.
« J’ai eu des sugar babies qui venaient de milieux financièrement aisés, mais qui avaient le kink des relations monétisées, dit Doe. En fin de compte, c’est un arrangement plus sûr et plus consensuel qui permet aux deux parties d’en profiter, alors que la prostitution ne profite généralement qu’à une seule personne. »
*Les noms ont été modifiés.
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