Les Japonais ont une mascotte pour à peu près tout. Beaucoup sont pleines de bon sens, comme cette employée animée du métro de Tokyo qui vous aide à retrouver votre chemin dans le système ferroviaire de la ville, ou cette perceuse électrique anthropomorphe qui promeut les outils Hitachi.
Mais certaines sont un peu plus perchées. Comme Benki-Shiroishi, un chanteur de blues avec des toilettes en guise de tête qui joue les ambassadeurs d’une entreprise de désinfectants. Ou bien Kanzou-kun, la mascotte mi-foie, mi-éléphant qui encourage le dépistage de l’hépatite à Tokyo. Ou encore Madori-kun, un lutteur dont le visage est un plan d’appartement qui fait la promotion d’une agence immobilière.
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Chris Carlier, un Anglais qui vit au Japon depuis 16 ans, est une sorte de fada des mascottes. Il alimente son site Internet, Mondo Mascots, et ses comptes sur les réseaux sociaux avec divers personnages. Il me dit que même si les mascottes ont toujours été à la mode au Japon, leur popularité a explosé il y a environ cinq ans après que Hikonyan, la mascotte chat-samouraï d’un château à Hikone, est devenu extrêmement célèbre, ce qui a conduit à une hausse du tourisme et de la vente de produits dérivés de cette attraction.
« Toutes les autres villes s’y essayent, et il y a des petits villages qui sortent des mascottes vraiment bas de gamme. Genre, ils la bricolent avec du carton et du tissu d’après le dessin d’un gosse de huit ans, et ça donne une mascotte absurde qui se balade dans la ville, explique Carlier. Presque toutes les autres villes, petites ou grandes, ont essayé d’avoir une mascotte. »
Actuellement, il y a des milliers de mascottes à travers le Japon. J’ai contacté Carlier par téléphone afin de parler de ses préférées et des plus bizarres d’entre elles.
VICE : Pourquoi les mascottes ?
Chris Carlier : Quand je suis arrivé au Japon, je ne lisais pas vraiment le japonais, donc je faisais seulement attention aux mascottes et aux enseignes dans les boutiques et les restaurants. C’était ma manière de me souvenir des choses. Puis je suis tombé un peu par hasard sur un événement à Tokyo où une centaine d’entre elles s’étaient rassemblées dans un parc et je me suis dit « Oh punaise, c’est génial ». Je me baladais, je les ai prises en photo et j’ai commencé à les poster sur Instagram. Elles sont devenues très connues il y a quatre ou cinq ans. On voyait des mascottes marrantes à la télé faire des numéros d’équilibriste, des sauts en parachute, de la plongée ou du saut à l’élastique, ce genre de trucs. C’est aussi ça qui me les a fait aimer.
C’est quelque chose de répandu ou tu représentes la communauté de fans à toi tout seul ?
Chaque mascotte individuelle a une communauté de fans qui achètent les jouets, les t-shirts, et autres produits dérivés, mais il n’y a pas beaucoup de gens qui les aiment toutes. C’est vraiment un intérêt de niche, donc quand je vais à ce genre d’événements et que je prends des photos, je vois assez souvent la même poignée de gens. Ce sont souvent des femmes d’une soixantaine d’années ou des gens assez solitaires – des hommes d’âge moyen avec des appareils photo dotés d’énormes téléobjectifs autour du cou.
Sais-tu combien il en existe à peu près ?
Si on inclut celles qui sont simplement des images en 2D sur les sites Internet d’entreprises, il y en a des milliers et des milliers.
J’entends par là celles qu’on pourrait théoriquement rencontrer dans la vraie vie.
Ça reste difficile à compter. Je suis allé sur des bases des données où il y en avait plus de 3 000. Ils organisent chaque année un événement appelé le Grand Prix Yuru-chara, dans lequel toutes les mascottes participent à une élection pour devenir la plus appréciée du pays. Généralement, il y a environ 1 500 participants à cette compétition.
Tu es allé à cette compétition ?
Eh bien c’est seulement un vote en ligne, donc non…
Ah. Ce n’est pas un Grand Prix au sens propre. Voilà qui est décevant.
Ouais. Ça serait marrant si elles conduisaient des bolides.
Peut-être un peu dangereux.
Mais ça ne me surprendrait pas. Je suis allé à un événement où il y avait des courses de chaises de bureau. Mais l’année dernière, le vainqueur du Grand Prix Yuru-chara s’appelait Unari-kun, un croisement entre un avion et une anguille, et c’est la mascotte de la ville de Narita. À la fin, il y a une cérémonie avec à peu près 100 mascottes de réunies et ils annoncent qui est le grand gagnant. Je n’y suis pas encore allé parce qu’ils ont tendance à organiser ça dans des coins vraiment paumés.
Quelles sont celles qui ont eu le plus de succès, parmi celles que tu as postées sur les réseaux sociaux ?
Celles qui ont le plus de succès sur les réseaux sociaux ont tendance à être les moins connues dans la réalité. Donc les plus bizarres. Il y en a une que j’ai postée, Momiji-chan, qui est une sorte de renne rose qui se balade avec un fusil de chasse et qui suit un précepte selon lequel il faut chasser pour ne pas être chassé. Récemment, Chi-tan la loutre a fait un gros buzz. Elle n’arrête pas de faire des acrobaties.
Quelles sont les autres mascottes bizarres que tu as rencontrées ?
Il y a Kan-chan, la mascotte d’une entreprise pharmaceutique spécialisée dans les laxatifs et les lavements rectaux. La mascotte est un croisement entre une figue et une poire à lavement, avec un visage de pingouin. Elle faisait une sorte de pub à un événement pharmaceutique et elle était devant un étalage constitué d’une réplique du système digestif et d’un distributeur automatique. C’est vraiment l’une des plus bizarres sur lesquelles je suis tombé.
Il y en a d’autres ?
Il y a Melon Kuma. C’est assez fréquent que ces personnages soient un croisement entre un fruit et un chat, un ours, etc., et le résultat est assez mignon, mais celui-là est en fait similaire à ce à quoi il ressemblerait dans la vraie vie. Une sorte de chimère terrifiante, ou quelque chose dans le genre. C’est un ours avec un melon en guise de tête, mais il a des griffes pointues et on a l’impression qu’il hurle de douleur. Lors des événements, il court dans tous les sens, s’attaque aux autres mascottes et s’assoit sur elles.
Est-ce qu’il y en a qu’on ne peut simplement pas traduire ?
Ouais, plein. Beaucoup de noms sont basés sur des jeux de mots qui sont assez drôles et très simples en japonais, sauf qu’il faut genre cinq paragraphes pour les traduire et les expliquer. Il y en a une qui était la mascotte d’une sorte de fort, c’était une espèce de carpe dont l’esprit d’un soldat mort avait pris possession, mais elle portait aussi des collants, des jarretelles et des talons hauts. Je crois que c’était une carpe parce qu’il y a des carpes koï dans les douves autour du château. Et il y a eu une bataille là-bas, donc des soldats sont morts, mais Dieu sait pourquoi elle porte des collants et des jarretelles.
Quelles sont tes préférées ?
J’aime bien Chi-tan, parce que ce personnage nous sort quelque chose de nouveau tous les jours. Je suppose que je me dois d’être loyal envers ma mascotte locale, celle qui représente la ville dans laquelle j’habite. Elle s’appelle Sanchawan, c’est un chien avec un bol à thé sur la tête. Certaines mascottes sportives sont assez marrantes. Vous avez vu la mascotte Mysterious Fish ? Elle représente l’équipe de baseball des Chiba Lotte Marines. Mais elle évolue un peu tout le temps.
Je vois de laquelle tu parles. Elle a quelque chose dans sa bouche, non ? Et qui en sort doucement ?
Ouais, un genre de squelette qui se glisse hors de sa bouche mais depuis peu, c’est un squelette dont la tête est un poisson entier. Ça évolue sans cesse.
Est-ce qu’il y en a qui sont à chier, selon toi ?
Ouais, quelques-unes. Celles qui ressemblent à des personnages furry ne m’enthousiasment pas beaucoup. Il y en a certaines où quelqu’un est juste déguisé en loup, par exemple, et le design n’a rien de créatif.
Y a-t-il des passerelles entre la communauté furry et les mascottes ? Est-ce qu’il y a des gens qui fantasment sur les mascottes ?
Pas des gens que je connais, en tout cas. Les autorités locales fabriquent souvent des mascottes pour les villes, mais beaucoup de gens deviennent des sortes de mascottes autoproclamées. Donc ils enfilent un costume et errent comme ça dans la ville. Ou ils vendent des jouets et des t-shirts. C’est fréquent que l’excentrique du coin porte un costume fait maison ou qu’il a acheté sur internet, et en gros ça ressemble à des costumes furry. Ils ont des événements où ils se rassemblent, mais je ne sais pas ce qu’ils y fabriquent. Mais ce n’est pas un truc répandu. Ce n’est pas quelque chose dont je me tiens informé. Je recherche toujours des mascottes pour des choses obscures. Donc j’ai regardé s’il existait des mascottes pour des trucs comme des studios de porno, des maisons closes, etc. Mais par manque de chance, mes recherches dans cette catégorie n’ont pas mené à grand-chose. Je pense qu’en règle générale, c’est quelque chose d’asexué.
Est-ce qu’il y en a qui ont été pensées pour être sexy ?
Certaines évoquent le sexe mais de manière comique, parce qu’elles ont une apparence marrante. À Hokkaido, il y en a une avec une érection bien visible. Elle est basée sur un jeu de mots, elle s’appelle Marimokkori. Marimo c’est une sorte d’algue et mokkori ça veut dire érection, donc celle-ci joue sur les mots. Et puis il y a Paiko-chan, qui est un genre d’oiseau avec une énorme paire de seins – elle, c’est la mascotte de Oppai Ramen, un restaurant de ramen tenu par une femme qui a des gros seins, je crois. Je ne pourrais pas citer des mascottes qui sont censées être séduisantes. D’habitude, elles sont assez hideuses.
J’ai lu sur ton site que tu essayais de te lancer dans le design de tes propres mascottes ?
Ouais. La plupart des designs des mascottes des petites villes sont soumis par des membres du public et les villes choisissent les meilleurs. J’ai participé à quelques-uns de ces concours. Mais pour l’instant, je n’ai jamais gagné. Un jour, je finirai peut-être par en dessiner une, faire fabriquer le costume et l’associer à quelque chose. Il y a des cas où des gens ont simplement décidé de créer des mascottes par eux-mêmes pour une cause qui leur tient à cœur, comme la lutte contre le tabagisme par exemple.
Quelle serait ta cause à toi ?
Peut-être un genre de mascotte qui représenterait la communauté des immigrés au Japon. J’aime assez l’idée de fabriquer des mascottes pour des concepts abstraits comme une mascotte qui personnifie le sentiment d’ennui, de léthargie, ou autre chose. Je ne sais pas. J’ai pas mal d’idées sur le feu et j’arriverai à en faire quelque chose tôt ou tard.
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